Vices et Controverses

cerise-david

Je suis métisse. Mère métropolitaine, père malgache... J'ai les yeux bleus de ma mère, la peau miel de mon père. Je vis à Londres, loin de mes parents qui m'entretiennent allègrement. J'ai vingt-cinq ans. Le bel âge. Des mensurations parfaites. Ma vie est faite de simplicité et de vices. Je suis chroniqueuse pour un hebdomadaire britannique. J'écris autant que je me défonce. L'inspiration est partout sous cocaïne... J'aime dénoncer les travers de cette société capitaliste... qui possède pourtant de nombreux attraits...

La vie est une source intarissable de chroniques; chaque image que nous renvoie le monde peut devenir un sujet de réflexion. Les possibilités sont infinies et inépuisables puisque le point de vue de chacun est essentiel à l'évolution de l'homme. Ce dernier à d'ailleurs créer toutes sortes de langage et "on ne peut pas ne pas communiquer". Les mots, les gestes, les images, les sons, la photographie, l'art sous toutes ses formes. On nous inonde d'informations, mon rôle est d'en capter l'essentiel, de rendre le superflu non pas intéressant mais informatif. Les données se cachent partout. Faut juste poser l'œil dessus et ne pas détourner le regard. Quand je vois un enfant de huit ans qui joue de l'accordéon pour quelques livres et un bout de pain, je ne lui donne rien. Je n'alimente pas la misère. Je la combat. Aujourd'hui les gens refusent de voir certaines choses, je ne fais que leur arracher les œillères. La lucidité est un fardeau; l'ironie un passeport contre la folie. La drogue fait le reste. J'allie les trois pour un résultat assassin. Mes mots sont les vôtres, ceux d'illustres inconnus ou des plus grands. Faut savoir accepter qu'un autre avant vous ai déjà vu et écrit sur un sujet. Mieux écrit. Les gens ne lisent plus. Si seulement, je pouvais me nourrir des bouquins; je dévore les pages, j'engloutis des tomes entiers en quelques heures. Je suis boulimique de l'information, pourtant je ne recrache rien, garde tout en mon sein. Je tente de capturer de l'instant ce qui m'interpelle et me touche. Il me reste à le figer sur le papier... glacé ou pas.

Ce soir, j'arpente mon appartement. Dans le plus simple appareil. A poil. J'aime la nudité, le confort de ma peau sur le sol, la chaleur que dégage la batterie de mon PC sur mes cuisses. J'ai passé ma journée à dormir. Il pleuvait. Je déteste Londres, pour cette unique raison. Je l'adule pour tant d'autres. Ville de la mode, du luxe, de la royauté. Ville des putes et des pickpockets. Villes des rats et des aristos chats. Paris à son charme mais les gens y sont trop cons. Et puis la langue de Shakespeare reste un atout lorsque l'on travaille dans le monde de l'information, de la dénonciation. J'hésite. Entre soirée chez la jeune bourgeoisie britannique et un pub irlandais. Une heure plus tard, je quitte mon duplex en talon aiguille turquoise et ensemble beige. Les bobos sont plus drôles lorsqu'ils sont bien défoncés. Et puis, comme ça je pourrais me fournir en dope. Mon stock baisse à vue d'œil. J'attrape mon parapluie et claque la porte. J'hèle un taxi et indique l'itinéraire. Sur la route, je décide de m'arrêter déguster des sushis. Le taxi me dépose le long du trottoir, et je descends, les pieds dans l'eau. Je hais Londres. Quand je rentre dans le restaurant, l'air sans le riz parfumé et le caramel. Je m'attable face au plan de travail du chef et le laisse m'émerveiller. J'aime sa manière de découper soigneusement le poisson. D'un coup net, il tranche la chaire crue. Le chef me regarde le sourire aux lèvres. Ça le fait rire de voir une malgache chez les jaunes. Dans l'océan indien nos peuples se mélangent... Ici, chaque communauté vit recluse. On me sert un plateau de délicieux mets, je m'attaque goulument aux makis... la feuille d'algue est craquante sous mes dents blanchis aux rayons. Qu'il fait bon vivre lorsqu'on est riche, belle, célibataire et londonienne. Alors que je me rince les doigts délicatement à l'aide d'une de ses serviettes chaudes que l'on met à vôtre disposition, un jeune anglais pousse la porte d'entrée.

Brun, grand. Imperméable Burberry°, et col roulé chocolat. Levis et Paul Smith aux pieds. Il me regarde et s'assoie à quelques tables de la mienne. Face à moi. J'ai l'impression de le connaitre. Il demande quelque chose à la serveuse en me montrant du doigt. Elle lui indique plusieurs plats sur la carte. Il acquiesce et commande du saké... La serveuse s'approche de moi, un plateau à la main.

-          Le jeune homme aimerait savoir si vous dégusterez le saké en sa compagnie ?

-          Je n'y vois pas d'inconvénient.

Je ne suis pas surprise, ce genre d'attitude est fréquent. Je me lève et m'approche de ce jeune éphèbe, la main tendue. Il s'en empare et la baise du bout des lèvres. J'aime le côté rétro des anglais. Rares sont les vrais gentlemans, mais un seul d'entre eux suffit à faire disparaitre les goujats du passé. Il se lève, me tire la chaise et attends que je me présente. Je me montre réservée. Je l'observe, me contente d'acquiescer et de répondre à ses questions. Je regarde ma montre et m'aperçois que je suis à présent très en retard pour la "Young party"... Ca sera pub irlandais. Je l'invite à m'accompagner.

-          Il me faut juste repasser par chez moi, pour me changer. Je n'aime pas être en talons pour taper du pied sur les airs irlandais !

-          C'est selon vôtre désir...

-          Tu peux dire "tu", tu ne t'adresses pas à ta mère…

Arrivé chez moi, je me glisse jusqu'à la salle de bain, enfile un jean et une paire de Nike verte pomme. Un petit pull assorti au basket, j'attache ma crinière brune en un chignon négligé. Quelques gouttes de N°5. Lorsque je reviens au salon, je le trouve devant ma bibliothèque. Je m'installe devant ma table basse, attrape une boite en fer, sors ma CB et une paille en verre... je ne le vois pas s'approcher. Quand l'un de nos sens est en alerte les autres ne nous sont d'aucune utilité. Seul mon nez est éveillé. Alors que je m'apprête à succomber à mon vice, une tornade vient éparpiller ma ligne de coke. Je lève les yeux. Il est là, un air malicieux dans les yeux...

-          Tu n'auras pas besoin de ca pour t'amuser avec moi !

Je le regarde méduser... je bouillonne. Mais trop bien éduquée je ne dirais rien. On quitte l'appartement en silence. Je ne prends pas de parapluie, la pluie froide qui coule de mes cheveux sur ma nuque, me calme peu à peu. On rentre dans le premier pub que je trouve... je commande un verre de vodka, pure. Va au moins me falloir ca pour finir de me détendre. Je le bois cul-sec sous le regard étonné du barman. Mignon. Jeune, trop jeune mais mignon. Benjamin, nôtre gentleman se prénomme ainsi, commande la même chose et me suit. Un, deux, trois, quatre verres. J'ôte mon pull et l'attache à ma taille. J'ai chaud. J'attrape un glaçon et le passe sur ma nuque et mon décolleté... il fond sur ma peau et quelques gouttes glissent entre mes seins nus. Il s'approche de moi, un glaçon dans la bouche et commence à le passer du bout des lèvres sur ma peau écarlate. Personne ne fait attention à nous. Le bar est bondé et la foule trop occupé à danser au son des musiques irlandaises ne nous remarque même pas. Je croise le regard du jeune barman et lui fait un clin d'œil. Il tourne la tête gêné. On danse l'un contre l'autre. On boit encore. J'ai la tête qui tourne. Il dit qu'il est temps de rentrer chez moi... Je lui lance un regard sans équivoque...

Le lendemain, tard dans l'après-midi alors que j'émerge lentement, je m'aperçois que je suis seule dans mon lit... nue. Je m'extirpe péniblement de mes draps. Y'a une bouteille de champagne fracassée au pied de mon lit. Dans le salon plusieurs livres sont à terre et la table basse regorge de traces étoilées... Apparemment, je me suis rattrapée en rentrant. Lorsque je croise mon regard dans le miroir de la salle de bain, je sursaute. Mes pupilles sont dilatées et mon regard est vide de sens. On dirait un cadavre... Je me glisse sous la douche. Ma peau est couverte d'hématomes... Je ne me rappelle de rien. Je m'enroule dans un peignoir, fais du thé et m'installe devant mon ordi... Je décide d'écrire, de me rappeler par l'écrit cette soirée. Où donc est-il passé? Alors que j'achève les premières lignes, ca toque à la porte. Ca insiste, je traine à ouvrir, ca tambourine. Je fixe la chaine de sécurité et entrouvre ma porte.

-          Commissaire Bully. Ouvrez, je vous prie.

Je referme pour enlever la chaine de sécurité et laisser entrer le visiteur. C'est un homme de taille moyenne. Barbe entretenue, imperméable foncé et chapeau. Petite lunette ronde. Sa peau est striée d'une multitude de rides, mais ces yeux sont emplis de gentillesse. Il me dévoile l'objet de sa venue. Une rixe à la sortie du pub irlandais dans lequel j'ai bu hier soir. Étant donné que j'ai payé par carte bancaire, ils ont facilement pu m'identifier comme témoin. Je dis avoir trop bu, et avoue ne me souvenir que de mon arrivée. Il décide de me montrer des photos de la victime. C'est alors que je reconnais Benjamin. Son état est critique. J’informe le commissaire que nous avons passé la soirée ensemble, je lui raconte nôtre rencontre et commence à sangloter. Pourquoi avoir oublié ? Il m'arrive souvent de boire plus que de raison... mais je garde en mémoire chaque instant de la soirée. Le commissaire me propose de faire des analyses sanguines. Je me décompose; il m'interroge du regard et quelque chose me dit que je peux lui dire. Qu'il faut lui dire. Je lui dis clairement que je me drogue. Qu'on trouvera des traces de cocaïne dans mon sang. Que je ne peux pas me permettre d'être arrêté pour quelques lignes de poudre blanche. Je lui dis qu'avant de quitter l'appartement, je n'avais rien pris... mais qu'à mon réveil ce matin j'ai trouvé ma réserve vide.

-          Vous ne serez pas embêtée. Je vous le promets. Je ne pense pas que vous êtes responsable de ce qui est arrivé, vous êtes juste une victime supplémentaire. On va vous faire une série de tests, vous serez accueillis dans le même hôpital que vôtre ami. Comme çà, vous serez à ses côtés, s’il se réveille.

Le si, me fit tressaillir. Je m'en voulais d'avoir bu. J'ai passé trois heures en salle d'examens. Tests sanguins et gynécologiques furent effectués, puis on m'installa un lit à côté de celui de Benjamin. Il était bien mal en point mais les médecins étaient confiants, son état se stabilisait et les hémorragies avaient toutes été stoppées. Il faudrait juste faire preuve de patience. Mr Bully me tenait informé des évolutions de l'enquête. J'avais eu un ou plusieurs rapports sexuels et on avait trouvé la trace de GHB. Hors l'ADN trouvé ne correspondait pas à celui de Benjamin et j'avais tenu en main mes verres toute la soirée. Il était passé de la main du barman à ma main. On n’avait pas trouvé de cocaïne dans mon sang. Dans mes urines seulement, ce qui était normal puisque ma dernière prise remontait à 3 jours. Benjamin ne pouvait pas avoir tapé dans mon stock… Plusieurs personnes furent interrogées. Le commissaire Bully portait de lourds soupçons sur un individu mais refusait de me dévoiler son identité. Il me dit qu'une chroniqueuse de ma renommée résoudrait sans doute l'affaire avant lui. Pourquoi devient-on aveugle lorsqu'un drame nous touche? Je décidai de ne pas me laisser aller, refusa de me lamenter sur mon sort. On avait tout de même abusé de moi. Je continuai de retranscrire la soirée sur mon ordinateur...

Au fur et à mesure que mon récit avance, je me remémore la soirée. Et lorsque je prends conscience de ce qu'il s'est passé, je saisis mon téléphone. C'est à ce moment, que Benjamin se réveille. Une infirmière entre et me demande de sortir quelques instants. Je m'exécute et en profite pour appeler le commissaire.

-          C'est le barman.

-          Bien joué, Melle Holmes... On l'a interpelé ce matin pour qu'il se soumette aux tests ADN. Il a avoué. Il parle de jalousie. Vous êtes une jolie fille... faites attention à vous à l'avenir et diluez vôtre vodka.

Lorsque je rentre dans la chambre de Benjamin, il me regarde comme pour la première fois...

-          Je crois que j'ai bu trop de vodka... murmure t-il.

-          Je crois aussi.

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