Vienne ou le "rituel von Nutzlos" et le mur des murmures

koss-ultane

          Vienne ou Le “rituel von Nutzlos” et le mur des murmures

     Un foyer pour une guerre froide.

     Aujourd’hui, un corps de vieillard a été découvert dans la rue derrière chez lui avec le crâne abîmé et rien dedans. Allongé sur la chaussée, près du trottoir, il avait l’air surpris.

     Avant, c’était presque automatique parce que systématique. Le marché du pneumatique connaissait le flux tendu.

     Dans le tube à essai viennois : Berlin et ses restes morcelés et le monde partagé, à l’exception de quelques nations chochottes non alignées.

     A Vienne : la théorie, les réunions derrière de belles façades et, parfois, au pire, l’élimination discrète au fleuret moucheté de poison d’un adversaire estimé entre deux gerbes de fleurs.

     A Berlin : la pratique, les complots sous ruines et, souvent, au mieux, l’éradication massive à la hache d’un réseau ennemi abhorré entre deux gerbes d’étincelles.

     Tout ceci, suspicions et reptations, était tellement intense que l’air viennois semblait chargé en particules factieuses pour qui voulait bien y voir une guerre de braises sous la cendre d’un second conflit généralisé qui avait terrassé une peste ou deux mais en avait engendré d’autres.

     L’antagonisme était né de la révélation au monde de deux monstres aux idéologies aussi opposées que leurs racines étaient communes. Car des deux côtés du pacifique on était nés du mépris, voire de la vindicte, de ces êtres à particules qui imposèrent leurs obscurantismes et immobilismes aux minoritaires en nombre ou déficitaires en titre pendant des siècles de supercherie sanguinaire. Dans un camp, on avait eu l’opportunité de débarquer en un monde nouveau, dans l’autre, on avait débarqué la caste régnante en tout mais plus souveraine en rien parce qu’omnipotente et incapable. Comme souvent.

     Depuis plus de quarante ans, sa riche maison de famille adossée à l’ennemi juré, Helmut-Harald von Nutzlos était de toutes les écoutes afin de préserver le modèle chéri de civilisation auquel il sacrifiait son inclination dans le but ne pas perdre cette double couverture en or qu’était sa particule nobiliaire surannée et cette vie dégoûtante de confort petit bourgeois dans laquelle il s’était vautré ostensiblement afin de se garder mieux contre toutes les défiances de son impérialiste entourage. En effet, sa bicoque de maître en plein Vienne jouissait d’une extension souterraine mentionnée sur aucune carte d’aucun cadastre parce qu’illégalement creusée par un arrière-grand-père fouisseur pour de nébuleuses raisons. Cette expansion occulte s’achevait par un mur mitoyen avec les soubassements de l’ambassade américaine. Toutes les fois qu’il l’estimait de la plus haute importance, depuis le prolongement de son excavation sous son jardinet donnant dans la rue de derrière, il expulsait, au moyen d’une vieille installation pneumatique détournée, une fidèle retranscription des propos entendus ou devinés depuis cette cloison partagée avec cette repoussante antenne, ce pouacre confetto, des “Etats-Subis”. D’ailleurs, s’il ne devait leur reconnaître qu’une seule qualité à ces chiens d’oppresseurs, c’eut été leurs progrès en matière d’isolation phonique tout au long de ces quatre décennies et plus particulièrement la dernière. Tous les sons étaient de plus en plus feutrés et les voix inaudibles malgré les progrès sensibles des moyens d’écoute dont il usait et abusait. Le schnaps était moins fort mais faisait plus mal à l’estomac et les marches de l’escalier de la cave étaient plus hautes désormais, certainement creusées par ses incessants va-et-vient dans ce sous-sol aménagé en avant-poste de la résistance prolétarienne. Sitôt les propos ouïs et notés à la volée sur un petit carnet en termes encodés, il se ruait dans sa chambre à air afin d’expédier son pneumatique. A la surface, il ne se départait jamais de ce sourire qu’il pensait franc et de son stéthoscope, porté sous la chemise et dont il logeait l’extrémité en bout de cravate, si jamais il avait fallu le dégainer en urgence au cours d’une de ses rares sorties. C’était devenu une extension de sa personne, son atout caché, cette arme absolue que personne d’autre que lui ne pouvait comprendre et envisager sous ses aspects les plus utiles : à la fois diagnosticienne de futures attaques et médicament anti-impérialiste. Parfois, il lui parlait à cet instrument magique et entendait sa voix lui répondre en échos. L’était con l’Helmut. Par “sorties” comprenez “emplettes” qu’on ne pouvait lui faire ou livrer sans éveiller ses pires ennemies rampants, les soupçons. Achat d’un dernier modèle de stéthoscope par exemple pendant que, dans sa cave, d’autres, ses préférés, restaient collés au mur des murmures les écouteurs fichés dans des cornets acoustiques dont les pavillons susurraient bémols, souffles et crachouillis à des enregistreurs ultra sensibles à longues bandes. Il en avait une collection impressionnante de ces serpents à deux queues et tête plate qui tapissaient son antre troglodyte déguisés en sculptures d’art moderne qu’il pensait indétectables.

     Helmut-Harald von Nutzlos était grand invalide de guerre suite à une mauvaise manipulation d’une munition, qu’à peine affecté dans l’artillerie, il avait placé à l’envers dans la culasse d’un canon le soulageant ainsi d’une partie de sa tête et de son torse. Ses quatre coreligionnaires de l’époque étaient morts sur le coup. Il n’y avait pas encore son nom dessus mais, au moins, lui avait-on posé une plaque afin d’étanchéifier son crâne incomplet.

     Depuis la guerre froide, Vienne était devenue la capitale aux espions se regardant le nombril et Berlin celle des agents auxquels on essayait d’en percer un second. Deux capitales devenues plaques tournantes, celles-ci, de l’ensemble des informations et désinformations venues de toutes les superpuissances et autres pays qui voulaient encore se donner l’illusion de ne pas compter pour du beurre. Et il avait bien l’intention de ne pas laisser sa part aux chiens. Dès dix-neuf-cent-quarante-sept, des hommes étaient venus chez lui pour constater l’excellence de sa position près du nid ennemi et lui installer ce système unique de transmission d’informations. Par un habile et bref réseau pneumatique, le message, inscrit sur n’importe quel support pouvant s’insérer dans un de ces suppositoires de l’épouvante, était expulsé par une cartouche d’air comprimé jusque dans le globe du lampadaire de la petite rue de derrière via le corps tubulaire du luminaire. Ainsi, de faux employés de la commune, mais véritables communistes, venaient-ils relever ces gélules géantes une fois leurs ombres apparues dans l’œil de ce torchère du vingtième siècle. L’inauguration fébrile et enjouée du système fut une véritable… catastrophe. Au moment où l’homme, perché en nacelle, s’apprêtait à collecter le pneumatique informatif un second arriva pour le cueillir au menton, rata cette protubérance toute masculine, et se ficha dans son orbite gauche jusqu’au cervelet. Sous l’impact, il bascula dans la rue en lâchant projectiles et verroterie qui se fracassèrent au diapason de son squelette à cheval sur le trottoir et la chaussée. Son collègue, déstabilisé par cette vision d’horreur, tenta de récupérer le précieux colis en le retirant de là où il était entré. Mais l’entêté pneumatique demeurait en orbite. Après avoir vomit son bortsch, la partie vivante du binôme était à l’unisson du dégringolé de l’éclairage et n’avait plus que le pneumatique en tête. Il tira aussi fort qu’il le put et se retrouva au bout de la rue. Les craquements des os rompus et autres articulations martyrisées de son camarade l’affolaient et le dopaient dans sa course muette mais désordonnée. Enfin, le souffle égaré, l‘obscurité retrouvée, la raison recouvrée, il revint chercher son camion sans en descendre la nacelle et appela au secours afin que l’on vînt derechef replacer un verre sous l’ampoule sous peine de voir des pneumatiques top-secrets traverser la capitale autrichienne à haute vitesse. Il hissa son défunt camarade dans le camion, abaissa la nacelle, revomit un petit coup pour la route et partit… puis repassa à faible allure dans la rue tranquille et s’arrêta cueillir le premier pneumatique qu’il avait totalement oublié dans l’affolement. Une équipe bis, de camarades à la digestion achevée, déboula afin d’effectuer les travaux nécessaires dans la demie-heure. Globe remplacé, des bidons d’huile de vidange furent répandus tout le long de la voie sur les traces de sang, de matière cérébrale et autre humeur vitrée. Dès la toute fin des années quarante les informations potentiellement cruciales étaient quasi journalières. Les cueilleurs passaient alors la nuit, tous feux éteints, afin de ne pas susciter l’éveil d’une éventuelle surveillance improbable mais toujours possible dans le dos de la demeure cossue qui servait d’ambassade à l’ennemi, et ramassaient les dernières retranscriptions en date des écoutes von Nutzlos. La fin de race, quant à elle, cultivait son jardinet, se montrait affable et serviable et aucun Viennois ne se douta jamais que ce grand et respectable invalide de guerre épanouît ses incapacités en des activités inavouables. Il était rouge par conviction bien qu’il ne se souvînt jamais exactement de ses positions d’avant son accident bombardier. Tout au long de ces années, il reçut un unique message de félicitations, en vieil encodage, le désignant comme “fourmi méritante au premier chef”. Une bafouille bien tournée et lapidaire qui parlait aussi “d’homme à la pointe de l’obsolescence”. Ce qui n’était pas rien et sonnait bien qu’il ne se rappelât pas très clairement non plus le sens de ce mot. Mais là, c’était la tuile. Depuis fin dix-neuf-cent-quarante-sept et le problématique incident aggravé en accident de la voirie du premier envoi doublé qui avait tué le préposé aux ramassages en le débarrassant, dans l’ordre, de son œil gauche, de sa nacelle et de ses lendemains qui chantent, plus aucun avatar sérieux n’était venu parasiter la transmission de son savoir. Jusqu’à ce jour. Au milieu des factures, dans son courrier, l’annonce du périodique introuvable “das Neue Instrument Xylophon”, à l’acronyme “N.I.X.”, “rien” en argot allemand, lui signalait une absence de rapport depuis un trop grand nombre de jours pour être normale. Le pneumatique devait s’être coincé en route. Rien de véritablement innovant, cela arrivait fréquemment, mais il savait en l’espèce avoir entendu des noms de codes qui impliquaient forcément quelque chose de grande envergure. Contrarié, il avait plusieurs fois sollicité sa réserve de cartouches à air comprimé au point qu’il n’en restât plus. Il s’était discrètement promené au pied du lampadaire et avait tenté d’y voir mais rien d’autre que l’ampoule et des cadavres d’insectes n’habitaient le logement précieux ou sa vitrine. En désespoir de cause, tel un proctologue fou de désir, depuis sa tanière, avec un manche à balai puis un hérisson de ramoneur, il avait essayé de déconstiper le colon métallique occlus à la hussarde. Mais rien n’y fit. Il chercha dans sa réserve de cartouches et dans son désespoir en envoya une pas comme les autres supposée être à cet usage uniquement mais qui se révéla pleine d’encre. Il pensait cette fantaisie sans conséquence, autre qu’un peu de jus noirâtre redescendu de sa tuyauterie, lorsqu’il regarda au dehors et vit le globe, aveuglé, en deuil de tout éclairage possible. Si cette dernière pétulante dragée avait rempli son office laxatif, il ne pouvait s’en assurer car l’optique du réverbère municipal était totalement obscurcie à cette heure. Il réalisa soudain que cette ultime charge explosive noire ne devait être utilisée qu’en cas de découverte avérée ou fortement suspectée de sa position préférentielle. Encore une erreur de munition pour ce vieil ex-apprenti artilleur. Ce que l’on dit des hommes est donc vrai : un homme ne change pas, il vieillit. Comprenez : un con ne varie pas, il rassit. Une main sur le front, la tête basculée en arrière implorant les toiles d’araignée de cette cave si particulière, Helmut-Harald tapait du pied en rageant et en écoutant son cœur avec son stéthoscope favori. Voici qu’il venait peut-être de se griller aux yeux de sa fantomatique hiérarchie vénérée, après quarante années de bons et loyaux services, au moment où il allait possiblement être le plus utile à l’épanouissement prolétaire mondial.

     A l’ambassade mitoyenne, l’ambiance était toute autre. Depuis toujours. Elle était souvent festive derrière les fenêtres donnant sur le parc privatif. Le spectacle de ce vieux communiste crédule essayant de deviner en lousdé le contenu du candélabre devant chez lui était toujours un grand moment de détente et de paris en perspective. Après les sévères et les dangereuses, le “rituel von Nutzlos” était la première consigne que l’ambassadeur ricain passait à son successeur avant même les recommandations pour les bals, valses, cafés, pâtisseries, mondanités débilitantes, Sigmund ou le Danube du temps où il avait encore une chambre en ville avant de changer de lit. Les simagrées de ce vieil idiot avaient même été filmées et circulaient dans toutes les agences de l’ouest et quelques-unes de l’est aussi. Lorsque l’on voulait être au spectacle pour le goûter des gosses à seize heures trente, on allait parler un peu fort dans le cellier à seize heures quinze d’une géopolitique novatrice et aberrante ou d’une opération coup-de-poing ou bien encore d’un de ces fameux transfuges qui empoisonnaient la vie de tout le monde ici. De là, vautrés sur le tapis du salon particulier au premier ou assis en rang d’oignons sur les chaises de la salle de réception du rez-de-chaussée, côté fenêtres, les enfants et les collaborateurs de l’ambassadeur, quand ce n’était pas l’ambassadeur lui-même, venaient se payer une bonne tranche d’apfelstrudel et de rigolade.

     Tout au long de ces années, afin de solutionner l’enrouement de son moyen de transmission par gaz, Helmut-Harald eut d’abord une période gaule maladroite mais c’était pesant et peu adapté à toutes les saisons et des plus suspects pour qui ne possédait pas d’arbres fruitiers en son jardin. Puis, l’âge venant, il eut une période lance-pierre mais la gestuelle, trop caractéristique, risquait de le faire prendre. Surtout par une police jamais loin de ces diplomatiques parages. Mais le plus drôle c’était qu’à chaque fois, il y avait auscultation stéthoscopique préalable, du sol jusqu’à hauteur d’homme, du bec de gaz obstrué par ce docteur ès tubulure avec moult diversions plus maladroites les unes que les autres. Il étalait alors un large éventail de justifications à sa présence dans sa rue : de la sortie urinaire du chien, auquel il interdisait de pisser sur son lampadaire et qui, inévitablement, s’y soulageait quand même, jusqu’aux fausses affichettes d’annonces ou de publicités sauvages qu’il faisait mine de décoller avec peine juste après les y avoir placées, sans parler de la taille erratique d’arbustes décédés depuis longtemps à force de se faire circoncire le bourgeon de tout temps à toutes époques par cet ignare du sécateur. Or, en ce jour funeste, il fallait un moyen radical pour résoudre ce problème qui l’était tout autant. Par le passé, il avait déjà usé de l’arbalète pour en casser la cristallerie. Mais en pleine nuit, à soixante ans passés, tirer sur une source de lumière qui vous éblouit, la tête totalement renversée, sonnait plus comme un problème supplémentaire qu’une solution. D’ailleurs à l’époque, il n’avait fait que se meurtrir une épaule et découvrir dans le journal du surlendemain la mort d’une courge du voisinage percée d’un létal et mystérieux carreau tombé d’un ciel serein. Et puis, le geste devait être discret et furtif afin de passer le plus inaperçu possible au grand jour et l’objet, lanceur ou lancé, offrir l’opportunité à son propriétaire de ne pas le trahir en cas de contrôle policier. Il s’était essayé à plusieurs solutions dans son cul-de-basse-fosse lorsque les écoutes signalaient un endormissement du voisin exécré. La sarbacane l’avait conduit aux urgences, tout ce qui était bruyant était proscrit de fait et tout ce qui nécessitait que l’on braquât son lanceur vers la lumière aussi. Trop ostentatoire. La sarbacane abandonnée sans regret, et sans plus de luette, et toute autre arme de jet délaissées, la fronde s’imposa d’elle-même. Quelques entraînements douloureux et malhabiles permirent de mettre au point une cravate lanceuse de missiles domestiques qui devaient être suffisamment lourds afin de briser un globe de lampadaire lambda bien qu’il ne le fût pas. Puisque l’on devait pouvoir le fouiller sans trouver anormal d’inventorier ce projectile parmi le contenu de ses poches, ce devait donc être un objet d’un usage suffisamment courant pour demeurer anonyme aux yeux d’un investigateur sourcilleux. Il se fit ainsi livrer briquets et montres métalliques en pagaille. Des piles aussi. Mais maintenant, c’était le grand jour. Le globe noirci devait être descendu au plus vite sous peine de ne plus être utile au camp qu’il s’était choisi au sortir de son étrange guerre qui n’avait duré qu’une demi-minute de conflit et cinq années de convalescence. Temps de repos forcé qui lui avait laissé le loisir de réfléchir avec le morceau de tête qui lui restait de ses années de jeunesse. A l’ambassade, tout le monde était en pose. La corbeille de fruit recueillait billets de banque et cotes épinglés ensemble et à l’étage du dessus les enfants se restauraient avec gloutonnerie et piaffaient et ricanaient déjà du futur spectacle sans cesse renouvelé. Helmut-Harald von Nutzlos sortit comme si de rien était en feignant gauchement de se soucier, en cascade, du temps qu’il faisait, de son jardinet, de son chien et enfin de ses arbustes pétrifiés par tant de bêtise. Il ouvrit sa porte sur la rue de derrière et y fit quelques pas avec son bâtard incontinent pour alibi. Mais très vite, il tira subrepticement sur sa cravate dénouée en regardant autour de lui puis la plia en deux et y glissa un briquet de belle taille. Au premier essai, les moineaux s’envolèrent de la ligne électrique jouxtant le bulbe perché à face de suie. L’hilarité était déjà générale à l’ambassade et le décompte des essais scrupuleusement comptabilisé par les parieurs. Personne n’avait misé sur une réussite inaugurale, tous restaient donc dans la course au pot. Chez les enfants, à l’étage du dessus, un “Helmut ! Helmut !” était scandé entrecoupé de rires inextinguibles. Second essai pour notre apprenti délinquant, une grosse pile, pour transistor ventru, fut placée en position. Quelques moulinets plus tard, le vieil handicapé fut contraint d’esquisser un approximatif pas de bourrée en urgence afin de ne pas réceptionner la batterie miniature avec le carafon. Il tança le chien pour s’être intéressé de trop près à la pile assassine, la ramassa, l’épousseta et la replaça sur sa rampe de lancement en soie sauvage. Il fit entrer Vladimir Ilitch, son indocile quadrupède, dans le jardinet, posa un sécateur sur le pilier de sa clôture à côté de sa porte, justification de secours à sa présence statique devant chez lui, jeta un nouveau regard circulaire, moulina, fit quelques petits pas d’ajustements, moulina, encore, encore… ramassa la pile qui était tombée, regarda une fois encore autour de lui, moulina, moulina… puis lâcha une des deux extrémités de sa cravate lance-missile. Son voisin de l’autre côté de la rue et trois numéros plus loin venait de gagner une batterie neuve mais qui avait déjà beaucoup voyagé. Le goûter cessa à la tentative numéro sept et les paris furent rembourser à l’étage diplomatique après une dizaine d’essais ratés de rang. Tout le monde reprit sa petite vie, les abdominaux redessinés par ce fou-rire au long cours. Et l’on oublia… jusqu’au lendemain lorsque le corps fut découvert par un facteur, aux poches pleines de piles, de montres en métal et de briquets, qui alerta des policiers perplexes. Le crâne était encore en partie là et en place mais le reste avait disparu et surtout son contenu n’y était plus. Sanguinolente, une plaque métallique de belle taille, et d’un autre âge de la chirurgie temporale, égayait le regard de l’égout. Le médecin légiste fit ouvrir la bouche à son aplomb et l’on aperçut, quelques mètres en contrebas, une cervelle humaine, quasi intacte, posée sur sa farandole de détritus malodorants. Mais la révélation qui laissa les enquêteurs encore plus dubitatifs fut la mise au jour de ce que cette cervelle couvait : une bille de billard que quelques implants capillaires, empoissés d’hémoglobine à demie coagulée, humanisaient en lui donnant à la fois de la contenance et du toupet.

     L’avènement de nouveaux moyens de transmission permit aux Soviétiques de cesser cette comédie. Helmut-Harald von Nutzlos n’eut pas de successeur. L’heure n’était plus aux mimes afin que perdurât la pantomime. La plus longue carrière d’informateur répertoriée dans les archives du K.G.B. sous le nom de code “H-H v Nutz” dans le sous-répertoire “NOMEXA”, “leurre” en russe, venait de s’achever sur un coup de tête. Quarante années à fidèlement retranscrire de la pure désinformation, il en était devenu une lui-même. Agitez un chiffon rouge au mufle de votre ennemi et il vous fera comprendre qu’il n’est pas idiot, proposez-lui un spectacle pitoyable et il rira de vous de bon cœur. Les gens intelligents ne sont pas des taureaux, tel le commun des mortels, que l’on emmène où l’on veut, fut-ce à l’abattoir, non. Mais des bœufs comme les autres, oui. Le pathétique est magnétique, soit il vous attire soit il vous repousse mais toujours il vous distrait juste le temps qu’il faut afin de vous faire regarder ailleurs. Jamais les Américains ne découvrirent comment, au moment du réchauffement entre les deux superpuissances, autant de micros et de caméras miniatures avaient pu être insérés en leurs murs à Vienne. Deux paires d’yeux qui regardent dans la même direction peuvent être une belle preuve d’amour en temps de paix mais en tant de guerre cela s’appelle un faux-pas, mordre à l’appât. Alors une douzaine de mirettes embuées de larmes de rires, imaginez les coudées franches que cela offre à celui qui veut trahir.

     “H-H v Nutz” est officiellement décédé d’une mauvaise chute. Personne ne s’est sentit le cœur d’expliquer à la famille que ce vieux con s’était explosé le cabochon en jouant le sauvageon. Bien que doté d’un esprit frondeur et traître à son camp de naissance, Helmut-Harald von Nutzlos, le rebelle à bretelles à l’esprit le plus étroit et le crâne le plus ouvert de la planète, constata, trop tard hélas, qu’être de la fronde n’était pas donné à tout le monde.

  • Je regrette une chose Koss : ne pas t'avoir lu plus tôt. J'adore le rythme et le détachement. Gros coup de cœur.

    · Il y a presque 14 ans ·
    Manege orig

    jeff-balek

  • est-ce que les écoutes sournoises, et ces appareils à gaz, qui n'ont de la transmission que la courroie, appartiennent à la "communication" ? Normal que la fronde explose dans ces mains disqualifiées...

    · Il y a presque 14 ans ·
    Crater orig

    gun-giant

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