Vivre dans une péniche

Lou

Début d'histoire un peu folle, qui n'aboutira, je pense, à rien.

Les vagues fendaient l'eau. Le clapotis des vagues me parvins lointaine, presque inexistantes, comme un murmure. Bercée, allongée sur mon lit aussi dure que le bois, je regardais le plafond, silencieuse et rêveuse. Par le hublot je voyais les passants nous jeter des coups d'œil intéressés. C'est sur, vivre sur une péniche n'est pas donné à tout le monde. Cette existence, originale pour d'autres, me paraissait normale à présent. Le roulis de l'eau salée, les plongeons des poissons, le soleil qui vient éclaircir ma peau quand je suis sur le pont, les passages des écluses, les amarrages... Tout cela me semblait familier.

Je me levai, décidée à me préparer un smoothie avant le retour de mon père, qui devait m'acheter des affaires de cours pour ma rentrée en 3eme dans un établissement inconnu prévu pour la semaine suivante. J'avais l'habitude de l'inconnu. Mon père, un marin un peu fou, amoureux des rivières et de l'océan, avait enfermé sa passion bien longtemps. Petit à petit, cette passion qui le dévorait de l'intérieur, qui l'appelait à chaque fois qu'il allait se promener sur le large, il l'avait libéré. D'abord en achetant un chalutier d'occasion qui tombait en ruine, puis un vrai beau bateau, pour la pêche. Enfin, à la mort de ma mère, et pour noyer son chagrin, il avait acquis une péniche et avait sillonné les torrents.

Nous déménagions souvent, et si au début, les cours par correspondance étaient les plus adaptés, très vite mon père me trouva un petit côté associable. Depuis toujours, j'avais du mal à parler avec les autres. Depuis, il m'inscrivait à toutes écoles se trouvant à proximité de notre port de fortune malgré mes vaines protestations.

Les chauds rayons du soleil vinrent caresser ma peau caramel tandis que je replaçais mes mèches rebelles derrières mes oreilles. Comparablement aux autres filles, adeptes d'une chevelure aussi longue que celle de Raiponce, j'avais opté pour un carré plongeant, plus en adéquation avec mes yeux émeraudes. Voulant affirmer mon caractère déjà bien trempé, et bravant les interdictions paternelles, je m'étais faite percée les oreilles plusieurs fois. Quatre d'un côté, trois de l'autre.

Je soupirai en regardant la berge. Une jolie mélodie résonnait dans l'air, transportée par le vent. De loin, je voyais l'auteur de cette musique à la fois triste et joyeuse. Un garçon de mon âge, aussi blond que j'étais brune, les yeux fermés et concentré, grattait une guitare sèche. Il fredonnait, comme ailleurs, se fichant des passants qui le fixaient avec tantôt mépris, tantôt admiration. Quand il eut fini sa chanson, et après que j'en ai pleinement profité, il releva les yeux vers les miens. Nos regards se croisèrent. Il avait des yeux bleus, bleus comme l'océan qui m'entourait alors. C'était un regard transperçant, qui lisait en moi comme par magie.

Sans savoir pourquoi, je rougis jusqu'aux oreilles et retournai dans ma cabine, troublée.

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