Vivre puis mourir

Katty se leva et aussitôt un horrible mal de crâne la saisit. Elle se traina jusqu’à la douche et s’écrasa à l’intérieur de celle-ci. D’un bras hésitant elle tourna le pommeau, laissant l’eau ruisseler sur son corps. Ses yeux finirent par s’ouvrir douloureusement, rougis par le manque de cocaïne.

L’iris est dilaté, les narines un peu trop ouvertes et les bleus sur ses bras trop visibles. Si on la touche, on peut sentir la peau rugueuse et sèche, les côtes qui ressortent et les pommettes émaciées, la fatigue permanente. Sa vie ressemble à une fuite perpétuelle, guidée par un sentiment d’urgence.

Elle attrape les vêtements qui lui tombent sous la main et sort dans les rues de  Manhattan. Elle rejoint son quartier habituel et arrive sous l’enceinte du club de strip-tease dont elle passe rapidement la porte.

Elle se laisse emporter par le tourbillon de la vie, par la vitesse de la rue. Qui lui fournit ses doses quotidiennes, la propulse en avant. Son fournisseur, Otis lui a promis de lui faire tester gratuitement une nouvelle drogue. Il l'appelle Re-fi 2. Qui vous élève tel un phénix et vous fait brûler toutes vos forces vous procurant une énergie telle que vous pouvez danser des jours durant sans vous arrêter.

A cinq heures du matin Katty quitte le club pour un bar dansant qu’elle connaît bien, c’est là qu’elle s’approvisionne.

Elle repère rapidement Otis et lui fait un clin d’œil. Nouvelle drogue, effets hallucinatoires puissants. Addiction extrême.

Elle s’enferme dans les toilettes. Saisit la seringue entre ses doigts, la fait tourner doucement, hypnotisée par le liquide bleuté. Elle saisit un élastique dans sa poche, en enserre son bras. La veine ressort et doucement elle y insère l’aiguille, serre les dents sous la douleur et l’excitation. Elle appuie sur le piston, fait passer le liquide dans ses veines. Katty se rejette contre le mur et le monde s’illumine brusquement autour d’elle. Elle part dans un rêve infini, croit se retrouver dehors. Elle y est, elle peut sentir l’herbe sous ses pieds nus, sentir le vent dans ses cheveux, goûter le soleil sur sa peau.

Dans un état second elle rejoint la piste de dance, se place sous les néons au centre, commence à faire onduler son bassin, frôler les corps qui s’agitent autour d’elle. Elle est elle et elle est le monde en même temps. Tout tourne et se mélange dans un dégradé de couleurs autour d’elle tandis que ses yeux se ferment. Elle n’a plus conscience de la fatigue, de son corps vide, des limites de ses membres.

Autour d’elle les danseurs tombent uns à uns au fur et à mesure que la Re-fi 2 cesse de couler dans leurs veines et les fait chuter comme des pantins. Des pantins brisés, morts de fatigue au sens littéral. Un sourire béat sur les lèvres, morts avant même d’avoir compris que la danse était finie. La transe commence peu à peu à ralentir pour elle aussi.  Elle fouille fébrilement dans sa poche et en extirpe l’échantillon de poudre qu’Otis lui a donné en même temps que la seringue. De quoi tenir encore quelques minutes, de quoi repousser l’échéance encore un peu. Elle verse la fine poudre au creux de sa paume. L’admire une seconde puis la respire à plein poumons. Le déclic est immédiat. Toute entrave disparait brusquement. Le soleil retrouve son éclat, l’air devient plus piquant. Le sol retrouve sa fermeté sous ses pieds, le son de la musique lui parvient amplifié, limpide. Le sang coule dans ses veines, pulse dans ses oreilles. Le son de sa vie, le bruissement de son cœur qui bat à une vitesse folle. Un sourire éclate sur son visage, ses bras se tendent vers le ciel et son dos s’arque en arrière tandis qu’elle a l’impression que c’est tout son corps qui s’élève vers le ciel. Jouir toujours plus vite, toujours plus fort. Encore et encore.