Voyage de lumières (I)
Camille Verdier
Il s'arrêta sur le seuil, juste dans la faible ouverture de la porte, dans la faible luminosité du soleil, dans les faibles bruits de respiration. Son corps muet reprenait souffle de sa course dans l'hôpital - c'eut été davantage une marche dans un labyrinthe, mais il sentait son coeur battre vite, et son souffle précipité.
Il avait trouvé la chambre, et désormais, il y faisait entrer un soupçon de lumière chaude, de lumière vivante, de cette lumière de l'extérieur, qui n'existait pas dans cette pièce; qui n'existait plus.
Il fit un pas. La lumière s'agrandit : il prit soin de faire reculer ce halo dérangeant pour ne pas qu'il imprègne le lit, pour ne pas que lui, puisse voir distinctement ce corps presque inanimé.
Le corps d'Anna était torturé, depuis longtemps déjà, mais désormais intensément, quotidiennement, éternellement. Elle se crispait. Ses os craquaient, se tordaient, se coinçaient dans tous les sens. Ses muscles se tendaient, se déchiraient, se contractaient inlassablement. Ses tendons se figeaient, ses ligaments s'entortillaient. Elle était seule dans cette souffrance, refusant tout apport extérieur, toute lumière bénéfique, tout breuvage apaisant. Elle était tordue de l'intérieure, et se tordait de l'extérieur : sa colonne vertébrale se vrillait, ses épaules n'étaient plus dans l'axe de ses hanches. Elle souffrait, mais c'était son seul moyen de penser, de ne pas oublier ce corps faible et amaigri.
Il vit ce corps allongé, soulevé par de profondes contractions, crispé: le dos cambré, les mains figées dans une posture irréelle, les yeux durement fermés, fermés. Anna suffoquait à l'intérieur d'elle-même; elle se refermait de plus en plus, consolidant sa forteresse invisible, s'excluant.
Il s'approcha d'elle. La porte avait été partiellement fermée, la lumière ne passait plus: elle s'arrêtait juste au pieds du lit. Pourtant, étrangement, Anna semblait sentir cette lumière brulante sur son petit corps devenu frêle et fragile. Elle sentit une chaleur nouvelle et insoutenable s'approcher d'elle. Elle perçu l'odeur amère du matin voler dans cette pièce sombre et dure. Ces réminiscences firent naître en elle de nouveaux chocs violents; elle n'en pouvait plus : elle ouvrit les yeux.
A suivre.
Texte très intérieur, pudique et brutal à la fois par l'émotion qui s'en dégage..J'adore...Et la musique l'accompagnant
· Il y a presque 8 ans ·aurevoir
Une belle description de la souffrance dans un contexte hélas inconnu.
· Il y a presque 8 ans ·daniel-m
intéressant!
· Il y a presque 8 ans ·Natacha Karl