Wrath Dhiaga

christinej

Une nuée de nuages apocalyptiques s'embourbe dans le jour déjà morne. Des corbeaux bien trop repus, s'accumulent sur les branches d'un arbre mort, l'habillant d'un feuillage de mauvais présages.

Un vent, trompeur et fourbe, se glisse jusqu'à l'os, rongeant et rognant comme un chien enragé, la chaleur des vivants. Dans un pré, des vaches aux cotes enfoncées et nouées sur l'estomac, regardent, d'un œil vitreux, l'orage se précipiter vers elles. Tout ce qui a du bon sens, se sauvent ou se terrent à l'approche de ce croquemitaine fulminant et grondant.

Le hameau, déjà d'allure misérable par temps ensoleillé, revêt d'un coup un habit de pauvreté. Les ombres s'étendent sur maisons aux pierres bancales, les teintent de couleurs blafardes, leurs toits en chaumes sont envahis de moisissures fantomatiques, l'herbe ingrate se faufile dans chaque fêlure, chaque craquement, prolifère comme du chiendent, comme une variole verte.

Les hommes portent ce chapelet de misère. Misère collante et puante comme une deuxième peau d'un chagrin qui ne rétrécit jamais. Leurs sabots frappent le sol, dans leur course pour se mettre à l'abri. Au début le sol répond coup pour coup, puis il commence à céder et devient visqueux, glissant, réclamant une chute ou un drame.

Un rideau de pluie s‘est abattu sur le paysage, avec la lourdeur d'un assommoir, arrachant des toits une complainte, des sols un requiem et des hommes un frisson. On se presse près du feu, on tord les haillons gorgés d'eau, on cherche un peu de chaleur.


Un peu à l'écart du village un homme traine une femme derrière lui, lui imposant un rythme bien trop soutenu. A plusieurs reprises ses pieds glissent dans la boue et à chaque fois il la rattrape avec force. Ils arrivent enfin à une maison à l'allure très modeste.

Quand il referme la porte, la pluie continue à s'égoutter de leurs habits comme un ru glacial venant des profondeurs de la terre. Elle n'ose pas bouger, appuyée au mur tout son corps lui fait mal. Elle est frigorifiée et terrifiée. Sa robe de laine verte est empesée par la boue qui tombe en tas autour de ses pieds, eux même ensevelis dans des sabots doublés de boue. Dans la poche de son tablier, son fichu et son bonnet pèsent des tonnes.

Elle sait que si elle fait un pas de plus elle va se briser tout simplement.

L'homme, après s'être occupé d'allumer un feu, se tient maintenant en face d'elle. Il écarte ses cheveux flamboyants de son visage et admire avec tendresse la porcelaine de sa peau tachetée de paillettes d'or. Ses yeux sont si grands, si verts, comme les prairies l'été où fleurissent les marguerites. Il l'aime comme jamais.

Elle le regarde un peu perdu, tout est un peu flou dans son esprit. Pourtant elle sait qu'il est là pour la protéger. Elle le trouve fort et beau, ses cheveux noirs, lissés par la pluie, fuient dans son cou en traits droits et luisants comme des aiguilles. Ses yeux la fixent avec tellement d'intensité qu'elle sent ses joues bruler. Elle voudrait rester aux creux de ses bras pour l'éternité, respirant son odeur et écoutant son cœur chanter pour elle.


Le vent, comme un démon, se rappel à leur bon souvenir et vient frapper à leur porte, il érafle les murs de la maison avec violence.

Ils n'avaient jamais vu une tempête de cette ampleur.

Les enfers craquent le ciel, lancent leur terreur en hurlant comme des loups affamés par la colère. Chaque nouvel éclair fait trembler les hommes et les bêtes.

Aslinn tremblante est toujours incapable de bouger. Cet, lui caresse la joue avec toute tendresse dont il est capable, il sait combien sa femme a peur des orages. Lentement il lui retire sa robe détrempée. Elle est là devant lui, si fragile comme une petite grive, comme celle qui vient au lever du jour sur le muret chanter des notes de soleil. Sa chemise sous sa robe est, elle aussi mouillée, elle se colle à son corps, épousant ses formes et dévoilant son ventre déjà bien rond. Le cœur de Cet se rempli d'une fierté sans mesure, il sera bientôt papa.

Il l'enveloppe dans une couverture et la porte près du feu. Dehors la nature se déchaîne. Le tintement rouillé de la vieille cloche, qui avait survécue presque cent après la destruction de l'église, s'effondre. Un son terrifiant résonne sur les cordes du vent comme le glas des dernières heures du monde.

Le vent redouble d'effort pour s'inviter dans leur demeure, son sifflement continu glace le cœur des plus valeureux.

Dans le cellier quelque chose tombe et se brise. Aslinn sent tout son corps se crisper.

- ne t'en fait pas cela doit le vent, ce n'est rien.

Cet essaie de la rassurer, mais lui-même se sent nerveux.

- tu es sûre, murmure Aslinn.

- mais oui. Si tu veux je vais aller voir.

- non! Ne me laisse pas.

- il n'y a rien à craindre je te le promets.

- alors je viens avec toi.

- si tu veux, mais reste derrière moi.


Devant la porte du cellier, Cet hésite quelques secondes puis soulève le loquet. Du maïs et des pois jonchent le sol. Il fait trop sombre pour distinguer quoique ce soit, pourtant Cet pense avoir aperçu une ombre se déplacer. C'est peut être juste son imagination qui lui joue des tours, avec cette tempête cela ne l'étonnerait pas. Soudain un éclair est venu fendre la ciel , bref, sec, mais suffisant pour en être sûre, il y a quelqu'un dans leur cellier.

A droite de la porte sur un établi, il tâtonne, pour trouver une bougie, sa faible lueur est presque friable, mais il devra s'en contenter. Il voudrait demander à Aslinn d'aller se mettre à l'abri, mais il la connait par cœur, elle refusera comme toujours. Alors il avance, Aslinn agrippée à son bras, tremblante.

Ils s'enfoncent, il croit entendre des frôlements, une respiration. Ils arrivent au fond du cellier là où se trouve les sacs de blé et d'orge.

Sans trop prêter attention, Cet sent bien un liquide sur le sol, qu'il associe à de l'eau mêlée à de la boue. C'est quand l'odeur est venue lui chatouiller les narines et en penchant la bougie vers le sol qu'il s'est rendu compte que depuis tout à l'heure il pataugeait dans une marre de sang.

Un sang noir et poisseux.

- s'il te plait Aslinn ne regarde pas.

- pourquoi?

- écoute moi pour une fois, ne regarde pas c'est tout.


Aslinn n'insiste pas, de toute façon elle a trop peur maintenant pour oser jeter un coup d'œil. Elle ressert son étreinte et sent son cœur s'affoler.


Cet ne voulait pas qu'elle voit le cadavre éventré de Ron, l'idiot du village. Ses entrailles éparpillées semblent avoir été pris d'une soudaine envie de prendre l'air. Ses yeux révulsés et sa bouche ouverte en un cri éternellement muet, ajoutent à cette scène d'horreur une chape de terreur.


- on va reculer maintenant, d'accord.

- d'accord.


Un pas timide après l'autre ils se dirigent vers la sortie.


- T.T.T.T, ou pensez vous aller comme ça?

- qui est là? Montrez vous! Cet hurlait.

- je suis là!!! Derrière vous!

- écoutez, laissez ma femme partir je reste là avec vous, d'accord? mais laissez la partir, s‘il vous plait.

- Cet, non!! Aslinn n'arrive plus à retenir ses larmes.

- tout va bien ma chérie.


Il a beau essayer d'être rassurant, sa peur dégouline par tout les pores de sa peau. Pour ne rien arranger, deux éclairs, coup sur coup, frappent le sol revendiquant leur colère.


- non, ce n'est pas possible. Vous voyez ce que vous avez fait. Cette tempête, c'est Dieu qui l'a déclenché à cause de votre abomination.

- qui êtes vous à la fin.

- ohhh tu ne me reconnais pas! Je suis blessé.

- curé?

- oui mon fils c'est moi, votre cher curé. Et je suis là devant vous pour effacer vos pêchers, selon Sa volonté.

- vous êtes devenu fou!

- fou! Fou!!! FOU!!!!!! Non lucide au contraire. J'ai tout compris, ce soir tout est devenu clair. Cela fait 100 ans que l'église s'est effondrée et jamais, non jamais!, personne n'a essayé de la reconstruire. Je fais la messe dans une étable qui pue la bouse de vache. Et vous, mes ouailles, vous êtes des fornicateurs, des menteurs, des voleurs. Vous devez payer par le sang votre infidélité à votre Dieu…..


Le curé continue sa tirade gesticulant, un couteau à la main, du sang plein le visage et sa bure. Dans un geste vif il attrape le bras d'Aslinn et pose le couteau sur son cou.


- tu portes un batard, pècheresse.

- mais non, nous sommes mariés, devant Dieu, vous le savez.

- pas ici, pas dans ma paroisse. Je ne reconnais pas votre union et Dieu non plus. Vous allez engendrer une créature du diable. Je vais purifier le village de toutes ces horreurs. J'ai déjà commencé, bien heureux les simples d'esprits. Oui heureux, c'est ça oui, la main toujours dans le pantalon…

- arrêtez nous n'avons rien fait de mal, lâchez ma femme, maintenant.

- la lâcher, mais c'est elle, elle d'où vient le problème. Toi Jesabelle, tu tentes les hommes tu les pousses au vices. Et toi tu n'es pas mieux tu es son complice. Allez dehors, je veux que Dieu me voit accomplir sa volonté.


Cet essaie de garder son calme, de trouver une solution. Mais le curé est un fou furieux qui ne veut pas entendre raison. Son couteau a déjà entaillé le cou d'Aslinn, un faux mouvement et il risque de lui trancher la gorge.

Tout les trois sont dehors, maintenant, sous la pluie battante. Le curé regarde le ciel, ivre de sa folie.

- Seigneur, regarde moi accomplir ton œuvre. Pour toi je vais effacer de la surface de la terre la vermine et les infidèles. Cette femme a péché elle porte l'enfant du démon. Je vais les sacrifier sur l'autel de ta grandeur.

- noooonnnn!


Cet essaie de courir mais il glisse et trébuche. Il ne peut plus l'arrêter.


Aslinn est agenouillée devant le curé, priant, pleurant, suppliant.

Il lève son couteau au dessus de sa tête et hurle comme un dément.

Mais avant qu'il ait eut le temps de frapper sa proie, un éclair est venu le foudroyer net. Des flammes bleues dévorent son corps sans concessions, entament également la chair du dos d'Aslinn.

Même si la douleur est vive, sa peur surpasse tout.

Cet arrive près d'elle. Il n'est pas sûre d'avoir vraiment compris la scène qui vient de se dérouler sous ses yeux. Il ne sait qu'une seule chose. Sa femme est vivante. Il l'a prend dans ses bras, incapable de se retenir plus longtemps il pleure pour la première fois de sa vie.


La pluie a enfin cessé et les nuages s'effilochent comme de mauvais souvenirs.

Le monde semble avoir enfin retrouvé sa raison.



Wrath Dhiaga : colère divine (gaélique) irlandais

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