« Intérieur, femme en bleu fouillant dans une armoire » « Amours défuntes »

Rémi Bisson

Tu as noté dans ton carnet de comptes :
« 13 décembre 1903 : réglé ma robe d'intérieur, dix-neuf francs vingt-cinq centimes... La couleur lui plaira t-elle ? »
La chambre n'est pas grande, et sobrement rangée. Le soleil blafard, presque artificiel, projette des ombres discrètes. Tu en deviens le personnage central.
Je connais ton visage. De mes doigts il est fait de mille touches, comme les mots peints sur tes lèvres. Ils sont là. On ne les voit pas. Moi seul les entends.
Tu cherches dans cette armoire le feu encore vif que mon corps de glace renferme. Ces gravures, ces sanguines, ces toiles qui attisent ta jalousie !
Comme une enfant tu veux y trouver un trésor caché, ressembler à toutes ces femmes dénudées pour lesquelles ma palette a vibré.
 
À ce moment rien ne peut te distraire, ni le miaulement d'un chat, ni la fanfare tonitruante avançant au rythme saccadé des chevaux des Dragons.

Tu cherches, tu fouilles de tes mains agitées. Un instant tu redeviens la tonique, unique, sans qui ma vie est une œuvre terne.
Ton esprit trouve, ton esprit de nouveau s'y perd.
Il demande à tes yeux une aide. La projection de leurs pigments qui te redonnerait mon amour. Mais le temps les a ternis. Le vernis a craquelé. Le cadre a moisi.
 
Dans cette robe bleue tu n'es plus qu'un corps figé.
Un instantané de ma mémoire.

Une touche de couleur aux tonalités délavées.

  • très bien écrit.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Gif hopper

    Marion B

    • Merci Marion ! Ce texte m'est venu en lisant cette description absurde à propos de l'œuvre : "L'action du modèle, anodine, sert de prétexte à une variation essentiellement décorative", et sur laquelle je n'étais absolument pas d'accord. Il y a deux esprits qui vivent une scène intime.

      · Il y a plus de 10 ans ·
      %c3%89cusson rb 15x15

      Rémi Bisson

Signaler ce texte