A croquer !

rafistoleuse

Elle déchire doucement le duvet d'aluminium des tablettes de chocolat. L'eau est en ébullition, la tête de Colline aussi. Aux premiers frémissements elle éteint le feu, ce serait dommage qu'il soit trop cuit, trop vite. Le bain-marie est fin prêt. Elle tourne doucement la spatule dans la robe du chocolat et veille à ce qu'il ne lèche pas les rebords du bol. En dessous, l'eau s'émoustille, mais elle peut toujours bouillir, elle n'en verra pas un bout. 

Les jaunes d'œufs flottent dans leurs blancs. Ils se la pètent un peu comme ça, ils veulent se faire mousser. Mais pour faire ça bien, il faut plus qu'un grain. De sucre. Colline active sa main gauche sur le fouet afin de blanchir le tout. Toujours tamiser la farine, prendre son temps, si on ne veut pas de grumeaux. Et Colline pense avant tout à ça. Que tout reste agréable en bouche, quoiqu'il arrive. 
Elle n'oublie rien, surtout pas la levure, qu'elle prend soin de distiller rigoureusement afin que ça gonfle. Elle remue énergiquement pour que les réactions espérées se produisent. Pour le moment, tout se passe à merveille, Colline est dans son beurre. La consistance de la pâte semble à point, ce sera moelleux où ça ne sera pas. Elle est confiante.

Elle enfourne sa préparation non sans une certaine appréhension. Elle a beau connaître les bons gestes, elle n'est jamais certaine à cent pourcents du résultat. Le final est loin d'être annoncé. 
Une odeur éveille son attention. Le caramel. Le thermomètre ne l'a pas attendue pour rougir, en commençant par le bas. Heureusement, le sucre n'a pas encore bruni. Elle reprend les choses en main. Elle saisit le manche de la casserole qu'elle fait vaciller doucement pour uniformiser la cuisson. Elle répète plusieurs fois ce petit mouvement circulaire jusqu'à ce que ça change de couleur. Les effluves sucrées la titillent, elle y plongerait bien ses doigts mais elle se doit d'attendre. Refroidir pour mieux le couler ensuite.
Elle glisse son index sur les pourtours de l'ustensile et le porte enfin à sa bouche. Elle n'avale pas goulument, elle savoure. Ses papilles font le grand huit. 
Une poignée de minutes plus tard, tout est à point, madame peut se servir. Mais elle ne compte pas céder à la tentation. Il manque encore la touche finale.

Elle empoigne le rouleau à pâtisserie, le fleure de sucre glace. Elle l'enserre de ses deux mains, la pâte d'amande n'a qu'à bien se tenir. Elle a été si longtemps au frigo qu'elle est toute sèche, la tâche ne va pas être facile, et ce serait dommage qu'elle s'émiette. Alors Colline prend son temps et s'applique. Et toujours quand elle est concentrée, le petit bout de sa langue apparaît à la commissure des lèvres. Elle pétrit la pâte avec douceur et poigne. Du milieu jusqu'au bord. Il Fait une telle chaleur dans la pièce que la pâte devient huileuse. Par expérience elle sait que si elle persiste, Colline ne pourra plus la travailler avant qu'elle ne reprenne consistance. Par prudence elle stoppe tout et reprend au point de départ.


***

Faudrait que je me rendorme. Au moins pour faire semblant. Elle m'imagine dans les bras de Morphée. Mais comment est-ce que je pourrais ? Moi qui avait la dalle, en plus. Comment peut-elle être aussi sexy avec les cheveux blanc poudré ?

« J'ai faim … »
« C'est pas encore prêt… Me répond Colline en me glissant un clin d'œil.
« J'parle pas de bouffe… » 
« Je ne suis pas encore prête… » Me susurre mon bourreau.
Elle passe à côté de moi, sans même me toucher et c'est atroce. Je crois que j'ai si chaud que je pourrais cramer. 
Elle est désormais dans la chambre. J'attends une minute ou deux, afin de me reprendre ou perdre contrôle. 
Quand je la rejoins, elle est enfouie sous la couverture. Je m'y faxe avec la sensualité dont je suis encore capable. Elle me regarde et c'est comme si elle avait le pouvoir de déclencher toutes les bombes à l'intérieur de moi. Elle ferme les yeux et je me résigne. 
Pourtant, contre toute attente, je sens sa main glisser le long de ma cuisse. Doucement. Elle me tue. Les yeux encore fermés, je la laisse jouer sa partition. Ça monte crescendo. Elle s'amuse à tourner autour du pot. 
Ma main rejoint la sienne. Elle se laisse mener. Elle me doit bien ça après tout ce que j'ai enduré. Le soleil ne tardera pas à se lever. Ce n'est pas le seul…

« Je vais bosser… A plus ! »
« Naaaan… »
« J'avais faim… »
« Ça tombe bien, c'est tout chaud encore, fais toi plaisir…
« Hin hin … »
« Prends un cupcake ! »
« Je vais te tuer… »
« Ouuuh…. »

Les gémissements de la cafetière à café ma rappellent à la dure réalité. Ce soir quand je rentrerai, même pas sûr que j'ai le droit à mon goûter.

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