A la frontière du désert des tartares

Il ne reste de l'empire que de ces sculptures
qui surveillent le sable et le cimetière
des armées disparues dans la poussière.
          Un dieu hybride se penche vers moi
et s'étonne de me trouver vivant ,

car sur le socle est inscrit un commandement
         gravé dans la pierre :
"étranger tiens-toi au-delà de mon royaume !"
        La moitié de son visage a été emportée
par un obus,     projectile inconnu de ses services.

        On peut l'apercevoir un peu plus loin,
le sourcil froncé, à moitié ensevelie .
               Un arbre chétif a poussé à son ombre,
et à l'abri du vent,       avec ce qu'il faut d'obstination
                          pour que le vivant résiste à l'inertie .

         D'autres dieux ont attendu
trop longtemps exposés au soleil,
le retour des fantassins antiques.
           Ils se sont fait dépasser par les siècles,
                  et ont perdu de leur prestance .

Seuls gardiens du désert ,        ils ont tenté de fuir ,
             mais avec leur corps bardé de fissures,
         ils se sont écroulés à la première tentative :
On peut voir encore, en bien mauvais état
       quelques éléments d'armure,

       une main tenant un glaive,
     des jambes de calcaire encore dressées
comme des colonnes ,
ne supportant plus de corps
parmi un amoncellement de pierres.

Personne n'a pris la peine d'en prélever des morceaux:
            Pourquoi reconstruire des temples,
                   là où personne n'habite ?
symboles d'un empire détruit
laissé à la poussière et l'oubli,

ce sont les épaves du royaume disparu,
laissées à l'abandon ,    à la pluie et au vent
que l'on visite par simple curiosité ,
pour se faire photographier à leurs côtés
avec la satisfaction d' être parvenu.

      aux dimensions de l'histoire
           où le soleil est en déroute :
comme ses heures de gloire ,
là où ne passe même plus la frontière
bordant le désert des tartares.