A la recherche du bonheur (10)

Cette fois, à notre descente d'avion, mon mari n'est pas accompagné de son ami, et mes enfants ne sont pas présents non plus. Leur père les a laissés à la maison. Ils sont assez grands pour se débrouiller tout seuls me dit-il. Mon fils aîné a 11 ans et sa sœur en a 7 !

L'accueil est assez déconcertant : mon mari me fait une bise sur la joue, comme à son d'habitude, et effleure rapidement de sa main la tête de notre fils, sans un mot, sans un sourire. Un an qu'il n'a pas vu son enfant et tout ce que ce petit bonhomme a droit, c'est un regard froid et un air agacé. Ca me fend le coeur. Il n'a toujours pas accepté son enfant et il ne l'acceptera jamais.

Nous descendons au parking. Je pensais que l'ami de mon mari lui avait prêté son auto mais non. Pendant mon absence, mon mari a trouvé le temps pour faire changer son permis de conduire international (permis qu'il a passé lors de son service militaire en Egypte) en permis français et s'est servi dans nos maigres économies pour s'acheter une Simca. Je n'en reviens pas. Il aurait pu m'en parler. Même si de toute façon, je n'aurais eu mon mot à dire. Mais c'est comme ça que ça doit se passer entre mari et femme, surtout pour les grosses dépenses. Mais non, chez nous, c'est l'homme qui décide.

A la maison, les enfants sont ravis et surtout soulagés de me revoir. A part le dîner que mon mari préparait à la va-vite (ouverture d'une boîte de raviolis et sandwiches la plupart du temps), les enfants se chargeaient de tout le reste.

Le voyage et le fait d'être resté assise pendant toute une journée m'a beaucoup fatigué et le bébé n'a pas apprécié cette position prolongée, et me l'a fait sentir. Bien que j'aie tenté à plusieurs reprises d'allonger mes jambes ou de marcher le long de l'allée, cette position n'était pas idéale dans mon état.

Le docteur m'avait dit de ne pas me surmener, mais à présent, je dois reprendre mes vieilles habitudes et mon lot de soucis quotidiens. Elle est déjà bien loin cette semaine en tête-à-tête avec mon fils.

Et j'attends toujours une réponse de la mairie pour savoir dans quelle école mon fils va aller. Même s'il y a une école juste à quelques pas de la maison, il y a une pente très raide pour y accéder et une multitude de marches et d'escaliers pour arriver aux salles d'études. Cela m'inquiète car je ne peux pas le garder à la maison, je dois travailler. Et prendre quelqu'un à domicile, surtout après l'expérience désastreuse avec ma belle-sœur, c'est hors de question. Je crois que la mairie n'a pas bien compris que mon fils est handicapé moteur car l'appartement où nous vivons est juste devant une école pour handicapés mentaux. Et là, tout est plat. Il n'y a aucune marche ou d'escalier à monter.

Finalement, vu les structures inadaptées pour les handicapés moteurs, on nous a conseillé d'envoyer notre fils aller étudier dans une école à Garches. Un taxi viendra le chercher chaque matin et le déposera après les cours. C'est très bien. Comme ça, mes enfants auront tous à peu près les mêmes horaires. Et puis, il ne sera pas seul. Il y a deux autres enfants du même âge que mon fils, un frère et une sœur, qui ont le même “problème génétique” que lui, pas très loin de chez nous.

Nous sommes allés visiter cette école. Je veux être sûre que mon garçon soit bien là-bas. Je suis très surprise de voir autant d'enfants de tous âges, et même de jeunes adultes. Certains ont même une chambre. Ils restent la semaine ou rentrent chez eux pendant les vacances et d'autres ont été délaissés par leurs parents, comme certains de nos aînés le sont dans les hospices. Ils reçoivent une visite une à deux fois par an. D'autres plus du tout. La directrice me dit que pour ces enfants, ce sont les proches des autres enfants ou des bénévoles qui fournissent des vêtements et des jouets pour eux.

Mon mari ne cesse de dire, tout sourire à la directrice de l'établissement que l'endroit est très tenu, que les enfants ont l'air très bien tous ensemble, et ce personnel qualifié disponible à toutes heures… mais je vois très bien où il veut en venir. Il commence vraiment à m'emmerder avec ses sous-entendus sournois. Je ne sais pas si la directrice a senti quelque chose ou peut-être est-ce l'habitude de déceler les quelques parents réticents face à ce genre de “problème”, mais elle lui précise que tous ces enfants sont des enfants comme les autres et qu'ils ont besoin comme tous les enfants, de parents et d'une structure familiale.

Il est hors de question que j'abandonne une fois de plus mon enfant, que ce soit ici ou ailleurs. Je n'ai pas à lui rendre visite, il n'est pas malade. Il aura une scolarité normale et rentrera le soir à la maison, comme tous les enfants. Il a juste besoin de grandir auprès de sa famille, de son frère et de sa soeur. D'autant qu'il ne va pas tarder à être grand frère une seconde fois. Mais cette nouvelle grossesse l'inquiète presque autant que moi. Il a peur d'avoir un petit frère comme lui mais je le rassure, ça ne changera rien. Du moment que tous mes enfants sont en bonne santé, c'est tout ce qui compte pour moi. Mais c'est vrai que cette nouvelle naissance arrive huit ans après mon dernier accouchement. (©)