A la recherche du bonheur (2)

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Ma vie a commencé un vendredi 13 en 1933 d'une mère avec des origines asiatiques et d'un père ayant des descendants français. On s'est d'ailleurs souvent moquée de moi à cause de mes oreilles de “blancs”.

Dernière d'une famille de trois enfants, une grande sœur qui prenait soin de moi et un frère handicapé parti trop tôt. Quand mes parents ont divorcé, je n'ai plus revu mon père. Je ne sais pas s'il s'est remarié ou s'il a eu d'autres enfants. En avance sur son temps, ma mère était déjà ce qu'on appelle aujourd'hui, une rebelle. Enceinte à 17 ans, mariée à 18. Rappelons que la majorité était à 21 ans. À peine divorcée, ma mère s'est remariée et s'est de nouveau retrouvée enceinte, d'une fille. Lorsque notre demi-sœur est venue au monde, ma sœur et moi avons été traitées comme des “cendrillon”. Malgré nos très jeunes âges, on devait briquer la maison et faire les repas pendant que notre mère se pavanait en ville avec sa “princesse”. Je me souviens que lorsque je jouais avec ma poupée, ma mère me l'arrachait des mains pour la donner à ma demi-sœur.

Mon père était cheminot, un bon métier pour l'époque. Le seul souvenir que je garde de lui est qu'il était d'une grande gentillesse. Il était parti car il ne supportait pas la façon dont ma mère le traitait. Moi, je l'adorais, ce qui irritait ma mère. Et aujourd'hui, je l'adore encore. Mon frère aussi. En fait, les seules personnes auxquelles je tenais vraiment sont parties trop tôt. Heureusement, que  ma sœur aînée était là. Mais quand elle s'est mariée, elle a eu un fils, lui aussi paralysé. Lorsqu'il est décédé à 16 ans, elle a suivi son mari pour une vie meilleure, loin, très loin de notre île. À l'époque, on pensait qu'une malédiction s'était emparée de notre famille : n'avoir que des garçons paralysés. Le mauvais sort n'a pas épargné ma demi-sœur. Ce n'est que bien plus tard que j'ai appris que nous étions porteuses du gène de la myopathie de Duchenne, transmis de mère en fille, et ce depuis au moins 2 générations. Mais sur notre île, loin des grands pays capitalistes, loin de tout, la médecine était à des années lumières de ce qu'elle est qu'aujourd'hui.

Nous habitions dans une case avec de la tôle en guise de toit. Lors des nombreux cyclones, je me rappelle que l'on se réfugiait sous l'unique table qui nous possédions. Les latrines étaient un trou qui se trouvait au fond du terrain où nous logions et les feuilles de bananier nous servaient à nous essuyer. Une fois par semaine, nous allions laver notre linge à étang à quelques kilomètres de là, mais nous devions faire le chemin chaque jour avec de grandes bassines pour pouvoir faire notre toilette, faire à manger et la vaisselle. C'est peu dire que nos vies n'avaient rien à voir avec maintenant. Aujourd'hui, il suffit d'appuyer sur un bouton pour avoir de la lumière, nous, nous nous éclairions à la bougie. Qui aurait pu penser qu'un jour, notre île allait devenir un paradis fiscal, avec des hôtels 5 étoiles qui attireraient des gens riches et connus ?

À l'école, je n'étais pas particulièrement une bonne élève. Mon père me manquait terriblement et ma mère me faisait payer l'amour que je lui portais. Je m'accrochais pour pouvoir avoir un bon travail plus tard mais à 14 ans, ma mère m'a sorti de l'école pour m'apprendre à être une parfaite épouse. Je suis devenue sa bonne à tout faire ! La semaine, quand les femmes se retrouvaient seules pendant que les hommes travaillaient, ma mère descendait en ville avec ma demi-sœur et revenaient systématiquement avec un nouvel achat : chapeau, robe ou chaussures, parfois les trois. Ma sœur et moi, nous devions nous contenter de ce qu'elles ne voulaient plus porter. (©)


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