Adélie

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Adélie va sur ses vingt mois. Je me désespère de voir mes Points Histoire être l'objet de son dévolu pour se transformer en bouillie qui se mélange à la purée de carottes.

Je dois admettre que, lorsqu'au détour d'un babillage, elle me sort un « baba » suivi d'un large sourire et de ses petits yeux ronds qui pétillent, je me sens gaga.

En mon for intérieur, je me projette dans l'avenir. Viendront les mille « Dis-moi papa » journaliers, les premiers mensonges sur les devoirs bâclés pour me préparer à un inéluctable « Pff, t'es trop vieux, t'y comprends rien ». Mais ce que j'espère par-dessus tout, c'est de rester pour toujours son ami, son confident, son modèle.

Karen me reproche de ne pas être assez ferme quand la petite fait ses crises et nous tient tête. Je sais que ses pleurs ne sont là que pour marquer son caractère et sa désapprobation. Elle a d'ailleurs fort bien compris mon point faible. Quand madame hausse le ton et se refuse à tout marchandage, j'ai bien remarqué qu'elle m'observait dans l'attente que son chevalier servant la sauve.

Que voulez-vous, c'est comme ça. Au syndrome de Stockholm, j'ai préféré tourner la page et mettre un terme aux traditions familiales.

Je suis donc dans l'incapacité de formuler le moindre reproche. S'il m'arrive de hausser le ton, je culpabilise et je m'arrange pour compenser par une séance de chatouilles. Et je me dis qu'à l'instar de son grand frère Célestin, je compenserai mes lacunes dans le domaine de la fermeté paternelle en lui apportant culture et ouverture d'esprit.

Mais, ce qui me tient  à cœur, c'est que, même lorsque je serai vieux et fatigué ou sous assistance respiratoire mais suffisamment lucide quand un cancer des poumons me conduira en phase terminale, elle me tienne la main pour me dire « je t'aime papa ».

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