Alien

Je suis la fille qui, fût un temps, lisait exclusivement des livres sur l’anorexie, la dépression, le suicide, l’automutilation…

La fille qui montait les trois étages du bâtiment de la faculté et fixait le sol en se demandant si elle finirait par sauter.

La fille qui mangeait très peu, non pas parce qu’elle se trouvait trop grosse, mais parce qu’elle était trop angoissée ou trop amoureuse de ses professeures pour avoir de l’appétit.

La fille qui cherchait Dieu, le Divin, la Lumière, partout, tout le temps.

Alors oui, « hors norme » est un euphémisme.

Oh, depuis, je suis presque rentrée dans les rangs. Je prends bien mes petites pilules pour avoir un comportement socialement acceptable et travailler. Lorsque l’on me croise dans les couloirs avec ce sourire timide et poli sur mon visage, on se dit probablement que je suis normale. On ne me voit pas trembler, parce que je tremble beaucoup moins, et que lorsque cela m’arrive encore je me cache, ou ingère un cachet rose qui calme instantanément les soubresauts malvenus.

Je peux paraître un peu bizarre quand je dis que je ne veux pas d’enfant et que je n’en aurai jamais. On se contente de me répondre que l’envie surviendra un jour. Je me retiens de rétorquer que c’est la pire chose qui puisse m’arriver et advenir à cet enfant. Mais je ne dis rien, il faut « avoir l’air le plus normal possible ».

J’éviter de me vêtir en gothique ou en punk ou en jeune Japonaise d’Harajuku en dehors de mes jours de repos. Je me suis seulement autorisé quelques mèches rouge vif qui sont passées comme une lettre à la poste dans le service.

Tout le monde ignore que si un jour, un individu d’une espèce plus évoluée que l’être humain m’invitait dans son vaisseau, je ne remettrai sans doute jamais plus les pieds sur Terre.