Côté jardin

fionavanessa

Voir les textes du dossier "Vestibule", Autoportrait, au plus serré, Autoportrait bis, Parti de rien, Portrait de ma grand-mère, Cri, Ravage, Ma guerre sainte, Lettre à l'ami, Souvenir...

Les ravages sont faits. Bel et bien. Ils ont creusé leurs sillons. C'est là que j'ai semé mes premiers portraits.

Celui de mon grand-père, Parti de rien, et de ma grand-mère, mes exilés chéris, mon grand ami Patrick, le peintre philosophe et puis mon phare, le grand Luc Dietrich, l'autodidacte génial qui écrivit des livres de chair et de sang. Et puis je dressai le mien, de fichu portrait, au scalpel.

Il y eut d'autres portraits que je n'eus pas le cœur de faire.

Mon vestibule est loin d'être exhaustif, ce ne sont pas les murs d'un château de famille, plutôt un espace laissé vacant à côté des manteaux et des bottes, idéal pour y placer quelques cadres sans profusion. Les portraits manquants parleront d'eux-mêmes, en creux, dans mon autoportrait, derrière mon visage, les leurs.

Pas de long paragraphe sur le pourquoi du comment je finis par dire non à mes géniteurs. Je ne réponds plus à mon père. Plus du tout. Ce qui est un progrès. J'ai fini par lui obéir trente ans après, je me tais et le laisse à son soliloque. Pour ma mère, le fil n'est pas coupé, juste distendu, une longue longe porteuse d'oxygène. J'ai endossé une certaine dureté à leur égard, que mes enfants m'auront bien reprochée. Je sais bien ce que je leur dois, la vie, la santé, l'éducation. Pas indispensable de revenir sur l'origine de ma distance vis-à-vis d'eux. C'est que j'ai appris peu à peu, à les fréquenter, à courber le dos, à attendre que l'orage passe, avec ses nuages chargés en toxines. J'ai aimé prendre exemple ailleurs, à leur encontre, trouver de la beauté dans un geste humble et silencieux.

Ils n'aimeraient pas me lire, tout comme ils ne me reconnaîtraient pas, ne s'y reconnaîtraient pas plus. Comment les autres moutons pourraient-ils comprendre l'altérité du mouton noir ? Mes lecteurs m'exhortaient au pardon ; cela commence je crois par accepter qu'ils sont ce qu'ils sont et c'est tout. Et en quoi cela m'empêcherait de me révéler dans toute la noirceur de mon pelage? Ils sont ce qu'ils sont et je suis ce que je suis. C'est ainsi que le lien filial se distend et fait office de clôture où de part et d'autre, chacun s'affaire à cultiver tout à fait autre chose. C'est d'ailleurs là toute la beauté des jardins. On y est libre d'en cultiver un à son idée, avec ce que le terrain offre comme possibilités, et d'y faire exploser l'expression de sa vraie nature. Autant de jardiniers, autant de jardins. Et si je ne veux pas m'enrouler comme un liseron le long d'un tuteur, sans mot-dire, libre à moi.

Je t'entends déjà, toi, mon lecteur, et toi, penser à nouveau, quand tourneras-tu la page pour te mettre à la fiction ? Je vous dis oui. La page s'est tournée. Mais laissez-moi empiler la couche de terreau qui nourrira ma fiction, laissez-moi déterrer le vrai du faux. Il en proviendra immanquablement des histoires. Puisque je suis déjà autre. Et que cette autre moi a déjà attiré un autre ego et que celui-là me le montre, me le dit, me révèle au nitrate d'argent. Photographiée pour la descendance. En robe noire et légère. Fini le port du cuir rescapé des seventies anglaises du paternel, et qui pesait son poids sur mes épaules adolescentes. Je suis comme ça, même pour de la fiction il me faut le goût du vrai, les pieds qui baignent dans mon terreau, les pouces qui trouent les sillons pour qu'y logent les graines. Les mains ravaudées d'avoir écarté l'herbe asphyxiante et improductive.

Ce nouveau jardin est arrivé dans nos deux vies comme une évidence. Nous ne l'avons même pas cherché. Une merveille, une page dédiée à notre amour. Un retour de sève, un labeur commun et une détente. Un retour à soi entre soi, un enracinement après l'exil. C'est vernis de sueur et d'humus que nous versons dans le verdoiement, c'est duveteux dans notre cabosse que nous secrétons les substances cacaoifères. Je ne sourcille pas, malgré la pente du terrain. Je ne suis plus vraiment ce maigre fruit vert qui se balance au moindre vent, je prends corps. Je rosis à la faveur de l'été, telle une de nos pêches. Car mon soleil est là, tout contre moi, et me burine gentiment les tempes. C'est désormais dans son goût prononcé pour moi que je m'écris. C'est trop heureuse qu'il se tienne à mon bras que j'apprends comme nos limites sont limitées, et qu'à tu et à toi l'un avec l'autre, naît de notre fonds commun un chant sans mots. Un air de fête, un air d'horizon infini.

 

  • Ah Fiona, quelle écrivaine tu es. Les trop rares fois où je te lis, ça me complexe tant tu es au-dessus du lot.

    · Il y a plus d'un an ·
    Cp2

    petisaintleu

  • C'est beau cette histoire remplie d'espoir, dont l'héroïne se plante dans un décor ingrat puis trouve la force de puiser dans ses racines pour renaître et finalement s'épanouir pleinement à la faveur d'un tuteur bienveillant et providentiel

    · Il y a plus de 5 ans ·
    027 orig

    Chris Toffans

  • https://youtu.be/IEq2eSFvWFE

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Img 20210803 205753

    enzogrimaldi7

    • Merci pour votre lecture, j'apprécie la phrase de Maïakovski que vous avez mis en médaillon, elle a tout d'une devise à suivre.

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Mai2017 223

      fionavanessa

    • Merci à vous. Cette phrase est effectivement devenue ma devise. Quant à votre texte il me renvoie donc notamment à ce morceau de musique que je vous ai mis en lien, plutôt en phase avec vos écrits.

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Img 20210803 205753

      enzogrimaldi7

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