Après-midi corse

poulpita

Quatorze heures. Penta Di Casinta. Un village posé sur la montagne. Des maisons de pierres, serrées les unes contre les autres, pas tout à fait droites, pas tout à fait hautes, parfois en équilibre sur la roche. Façades à l'unisson, faites de pierres d'un vert gris, glacé. De tailles irrégulières. Les arêtes des maisons sont en dentelle, les coins dépassent, les cheminées jouent les équilibristes.

La rue principale. Comme un ruban posé sur la crête  de ce roc, qui accueille le village. D'abord. La mairie. Un écusson corse surplombe la porte. Sobre et clair. Puis. Un square de sable, quelques bancs verts, une vue imprenable sur la vallée, jusqu'à la mer. Ensuite. Un café, porte bleu lavande. Enfin, une église squelettique.

Ciel nuageux. Une touriste remonte la rue presque déserte. Sandales légères, écharpe noire, hésitant entre printemps et été. Les quatre hommes installés devant la porte lavande l'observent, adossés au mur, ou perchés sur un muret. La touriste ralentit, les salue, jette un coup d'œil dans la salle du café. Vide. Elle apprécie l'intérieur : une voûte, un bar, en pierre. La même qui signe tout le village. Depuis le pas de le porte, la touriste interroge le groupe d'homme. Avec un sourire.

- Lequel d'entre vous sert les cafés, ici ?

Un grand homme moustachu, pantalon de chasse, passe la porte. Fait le tour du bar. En silence. Dehors, on plaisante, bon enfant. Voix rauques, masculines. On passe du français au corse, en roulant. On rit. Dedans, l'ambiance est fraîche. L'eau coule. Le moustachu prépare un café, avec des gestes lents, et une certaine douceur.

- Il est magnifique votre village.

- Oui.

- Belle pierre. Elle vient d'où.

- De la pierre de la place du bout, je crois.

- Vous restaurez les maisons avec ?

- Non, non. C'est fini.

Il hausse les moustaches. Puis la caisse enregistreuse ronfle, tourne, accompagnée d'un ratatata du siècle dernier. Le tenancier pose le café sur la table où s'est installée sa cliente. Un ticket blanc, imprimé d'encre violette. Un café. Un euro. Il sort rejoindre ses acolytes.

La touriste restée seule observe à nouveau l'intérieur de cette pièce sans fenêtre. Quatre tables de bistrot, une table immense ronde, quelques chaises. Sur le mur gris, une ardoise accrochée. Tracé à la craie : Gérard I, Dominique II, Ange I, Fanfan III, Roger... Chacun sa note, son crédit. L'horloge qui trône au dessus du bar émet un tic, tac, tic, tac. Donnant un rythme, calme et solennel. Identique à ces longs après-midi chez nos grands parents. Sauf que le pendule précieux est remplacé ici par une mécanique plastique, made in china.

Après quelques éclats de voix joyeux, la troupe rentre dans la salle voutée, et s'installe autours de la table ronde. Le vieux. Le jeune quarantenaire, fort comme une montagne, peau blanche et bleu de travail. Le maître des lieux. Le gentil prof retraité avec ses montures de lunettes, rondes, et ses sourcils fournis. Un adolescent, bras en écharpe. Et la vieille dame, qui s'assoit à l'écart. La tante. Ou l'ancêtre. Robe noire, mi-bas marron, genoux offerts aux regards de la curieuse. La vieille dame écoute les joueurs s'installer, s'échauffer. Commente à voix basse, pour elle même. Le tenancier bat les cartes. L'après-midi commence...

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