Au pays sans chapeau

Blanche De Saint Cyr

            Les Gédés en Haïti, c’est comme la Toussaint, en plus rigolo. Parce que la Toussaint, faut avouer que c’est pas particulièrement l’éclate, mais reprenons par le commencement : vous êtes mort.

            Comme ça vient juste d’arriver, votre âme un peu paumée se dirige vers le royaume des morts, que l’on appelle aussi le Pays sans chapeau, car quel que soit votre statut social, on n’y emporte pas son chapeau. Aux portes de la mort, vous êtes accueilli par Legba, l’esprit vaudou qui est chargé de vous faire entrer (ou de vous renvoyer sur terre. Vous raconterez à vos amis que vous vous êtes contemplé en flottant au-dessus de votre corps et que vous avez vu un tunnel avec une lumière blanche sympa au bout. Peut-être que vous passerez à la télé, mais là n’est pas la question).

            Legba vous a ouvert le portail ? Félicitations, vous êtes un gédé ! Vous allez maintenant rejoindre l’un des deux patrons des morts. Si vous avez la chance d’être décédé normalement (pas si courant en Haïti où d’honnêtes maladies sont vite taxées d’atroces maléfices), c’est Baron Samedi qui sera votre lwa. Si par malheur vous avez eu une mort violente (suicide, assassinat, accident trash genre empalé sur un réverbère) et bien vous irez rejoindre Baron Cimetière. Important : les lwas Legba, Baron Samedi et Baron Cimetière ne sont ni gentils, ni méchants, ils font la logistique, c’est tout.

            À partir de là, le temps passe, vous mangez du riz au lait sur un nuage ou je ne sais quoi. En fait, on manque cruellement de témoignages sur cette partie de l’histoire. Et voilà qu’un beau jour de premier novembre, bardaf, vous entendez qu’on vous appelle avec insistance. Votre famille restée sur terre bat le tambour, chante et danse pour vous demander de revenir leur faire un petit coucou. Seulement voilà, vous êtes fatigué, vous avez déjà donné et puis vous avez piscine t’à l’heure. Pas que ça à faire ! À cet instant, ils sortent les arguments massue : un bœuf, un cabri, force poulardes, poiscailles et cochonnailles. « Voilà pour toi, l’ancêtre, si tu viens faire la jave avec nous. » Là, vous regardez votre bol de riz au lait d’un œil torve, puis vous criez : « J’arrive ! »

            Le hic, c’est que vous n’avez plus de corps, le vôtre ayant été enterré en bonne et due forme. Et même s’il était récupérable (simple formalité, suffit d’une pelle et d’une licence en zombification), vous auriez tout de même un aspect peu présentable et puis risqueriez d’effrayer le petit dernier. C’est là qu’intervient le bon vieil esprit de famille « C’est pas grave tonton, viens chez moi, on va se serrer un peu. » Et hop ! Dans le corps de l’un de vos descendants !

            S’en suivent trois nuits de beuveries, de danses et de chants. La bonne affaire, à vous la ripaille, à eux la gueule de bois ! Mais ne soyons pas injuste, les vivants y gagnent aussi : « Ce n’est pas moi qui ai dansé toute la nuit sur la table sans culotte, j’étais possédée par Tante Maryvonne. »

            Pendant la journée, pas question de faire la siestouze sous le mapou. Tous au Cimetière pour beaucoup d’émotion, c’est pas tous les jours qu’on s’épanche sur sa propre tombe. Vous en profitez pour vous gaver, via la bouche de votre hôte, de votre plat préféré : le hareng au sel et au piment (du moins depuis que vous êtes mort, avant vous aimiez peut-être mieux le poulet Sambre-et-Meuse). Elle est pas belle la mort ?

            La nuit du quatre novembre, comme il faut bien tenir ses engagements, on tue enfin les animaux promis et c’est le festin pour tous, vivants et gédés une dernière fois réunis avant l’année suivante.

            Si vous aussi, vous désirez refaire la teuf avec vos défunts, visitez Haïti, destination de rêve, à la Toussaint.

 

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