Au Sunset Boulevard Café

ironist-lady

De visite à Los Angeles, Zoé découvre un café atypique pour une aventure dans ce que le cinéma américain a de plus beau. Une aventure au coeur des étoiles.

Au début, il y a eu : Bob. Enfin Robert. Mais elle préférait l'appeler Bob parce qu'il était déjà assez austère et limite effrayant avec son uniforme sombre, sa taille de géant, ses muscles à faire frémir Hulk et sa voix de baryton. Lorsqu'il lui avait demandé ses papiers d'un ton somme toute assez neutre, elle n'avait pu s'empêcher d'avoir un petit frisson. Soudain elle s'était sentie minuscule comme une fourmi. Et encore, une fourmi ça avait au moins un trou où se terrer alors que Zoé, elle, n'avait que son sac à dos, sa valise et son petit chapeau pour se cacher. Aucune chance donc de passer inaperçue. Encore moins quand Bob lui redemanda cette fois avec insistance ses papiers faisant alors tourner quelques têtes vers elle se demandant certainement pourquoi cette maigrelette ne coopérait pas.

S'étant assez donnée en spectacle, elle s'empressa de lui tendre son passeport. Après tout c'était le règlement si elle voulait obtenir les clés de sa chambre. Rien dans ce pays ne se faisait sans papier ou justificatif. La règle était la règle et il fallait souvent mieux montrer patte blanche, le tout avec un grand sourire face à l'autorité – ou face au réceptionniste dans son cas. Un sourire qui devait à la fois dire « je suis heureuse d'être là » sans pour autant vous faire ressembler à la digne descendante du joker en route pour attaquer Batman.

Bob s'assura de la véracité de ses papiers, étudiant même pendant quelques secondes la photo horrible qui s'y trouvait. Il tapota sur le clavier de son ordinateur sans dire un mot puis il lui rendit son précieux passeport avant de lui donner sa clé. Enfin ! Celle qui ouvrirait son petit chez soi le temps de son passage à Los Angeles. Ça y est. Son rêve était devenu réalité. Elle allait vivre l'aventure américaine dont elle désirait depuis des années.

Une fois ses modestes affaires posées ; et une douche amplement méritée ; il était temps pour Zoé de faire ses premiers pas dans la ville des anges. « A moi l'aventure ? » soupira-t-elle alors qu'elle franchissait les portes d'entrées du motel se sentant tout d'un coup un peu perdue dans les rues. Mais après tout c'est pour ça qu'elle était venue dans ce pays. Pour l'aventure.

Et sa première étape était de trouver un endroit où manger. Loin du centre-ville ; budget limité oblige ; le quartier où son motel se situait n'était pas très fourni en restauration, ni même en quelques endroits que ce soit. A moins qu'une machine à soda soit considérée comme de la restauration et aux dernières nouvelles une canette de Dr Pepper n'était pas nutritive. Il fallait l'admettre, elle était en ce moment même assez… isolée. Etrange se dit-Zoé en repensant à l'amas de maisons et de gratte-ciel aperçu depuis le hublot. Ça avait beau être l'une des plus grandes villes du monde, la banlieue restait la banlieue.

Soudain elle se souvint. Lorsque le bus de l'aéroport l'avait conduite jusqu'à son « chez elle » temporaire, elle avait remarqué un endroit un peu spécial. Non pas parce qu'il soit flamboyant ou magnifique à vous mettre des étoiles dans les yeux. Non c'était autre chose. Son nom. Un nom particulier et à la fois pas si atypique pour cette ville : Le Sunset Boulevard Café. « Bienvenue à LA, » avait-elle pensé avec un petit sourire. Motivée, elle traversa les rues à la recherche de ce lieu mystérieux. De mémoire, elle refit le chemin du bus à l'envers du moins elle espérait refaire ce chemin. Comment savoir sans GPS et quand vous êtes dans une ville inconnue depuis même pas 1h ? Mais peu importe, elle était prête à marcher plusieurs miles. L'aventure c'était bien mais avoir le ventre plein pour affronter l'inconnu c'était mieux. Et puis, elle devait l'avouer depuis son arrivée elle ne rêvait que d'une chose : un bon plat de macaroni au fromage…et aussi de cupcakes, de bagels – quoi de plus normal après 15h de vol et deux fades plateaux repas.

Plongée dans ses pensées à imaginer toute une table remplie de bonnes choses made-in US, elle se laissa guider sur son chemin. Quelques brises du Santa Ana caressaient son visage et faisaient voleter ses cheveux comme pour la faire sentir un peu moins seule dans ces rues étonnamment désertes. Et alors qu'elle pensait être perdue au milieu de nulle part, le petit écriteau rouge et bleu apparut. Perché au-dessus, il indiquait fièrement « Sunset Boulevard Café ».

Le café était tout ce qu'il y avait de plus basique : sans étage, juste un lieu en plein pied et aucune table à l'extérieur. Sa façade en bois était tellement sombre que, sans l'unique lampadaire de la rue où il se trouvait, il aurait pu se fondre dans la noirceur de la nuit. Zoé se demanda d'ailleurs comment elle avait pu le remarquer à son premier passage. C'était si…bizarre. Et voilà, après avoir joué les aventurières toute cette histoire lui paraissait maintenant une mauvaise idée. Et si c'était le repaire d'un tueur sanguinaire qui attirait les touristes paumés à la recherche d'un endroit où se restaurer ? « Tu vois trop de films ma vieille, » se dit-elle avec une légère pointe d'appréhension dans la voix. D'accord, légère n'était pas totalement vraie. Elle était tout simplement morte de trouille.

Pour une raison inconnue, ses pieds ne suivirent pas son appréhension et la conduisirent directement vers la porte. Sa main se leva de son propre chef pour la pousser et lui permettre d'entrer dans l'inconnu. Le silence de la rue disparut. Une douce musique un peu jazzy se fit entendre avant même qu'elle ne franchisse le seuil du café et des rires lui prouvèrent qu'elle n'était pas aussi seule qu'elle le pensait. Un signe du destin pour la rassurer ?

Se dirigeant vers une table, elle jeta un coup d'œil aux alentours de ce qu'elle pourrait qualifier un diner typiquement américain. Des boxs de couleur assez neutre avec chacun une table encadrée de deux petits canapés, un comptoir en bois avec des tabourets où certains clients avaient décidé de s'asseoir pour manger ou boire et un piano qui trônait juste à côté d'un gramophone. Non mais dans quel genre de lieu avait-elle atterri ? On aurait dit que le temps s'était arrêté. Même pour les clients. Leurs tenues ressemblaient à celles que seuls les musées possédaient encore.

Alors qu'il pleuvait dehors, Zoé fut surprise lorsqu'un  homme vêtu d'un trenchcoat complètement trempé la dépassa, chantonnant de bonheur d'être prêt à trouver l'amour. Et ce n'était pas le plus étrange. Quelques mètres plus loin devant elle une magnifique femme vêtue d'une longue robe s'amusait à titiller la curiosité des hommes autour d'elle en retirant ses gants d'une façon plus que séductrice en chantant elle aussi. L'un dans l'autre ces deux scènes lui étaient étrangement familières. S'installant à une table, Zoé ne put s'empêcher de remarquer l'homme sur le box derrière le sien. Grand, brun, habillé d'un élégant costume qui mettait en valeur son visage fin où une petite moustache se disparaissait derrière la fumée de sa cigarette. Son autre main elle tenait un crayon qui esquissait une forme sur un papier…la forme d'une souris populaire. Zoé fronça les sourcils. Cet homme se prenait il pour Walt…

« Bonsoir, vous avez choisi ? » lui demanda une voix féminine.

« Nom de… » Commença à dire Zoé en voyant la serveuse. Blonde, pulpeuse elle était le portrait craché de… « wow vous savez que vous ressemblez grave à Marilyn Monroe. »

La serveuse parut surprise et en même temps un peu choquée. Ne s'était-elle jamais regardée dans un miroir ?

« On doit vous le dire souvent. »

« De quoi ? »

« Que vous ressemblez à Marilyn Monroe. »

« Pourquoi ? C'est moi. »

« Vous quoi ? »

« Je suis Marilyn Monroe. »

Zoé ne sut pas ce qui le déclencha, mais elle ne put s'empêcher de rire. Elle savait que certaines personnes avaient du mal à faire la distinction entre rêve et réalité mais là c'était à son paroxysme. Soudain elle comprit pourquoi le lieu lui semblait bizarre. Tous les clients étaient des sosies de stars disparues.

« Wow vous êtes sacrément bien conservée pour une…morte. Excusez-moi, » finit elle par dire entre deux rires. « La ressemblance est vraiment frappante.»

« Quelle ressemblance ? »

« La vôtre avec celle de Marilyn Monroe. »

« Mais je suis Marilyn Monroe ! » dit-elle sur un ton cette fois agacé. « Vous avez choisi ? »

« Désolé mais sérieusement… » Commença-t-elle à dire avant de remarquer l'air contrarié de la serveuse. « Vous ne pouvez pas être Marilyn Monroe. »

« Mademoiselle si vous ne voulez pas manger je vais vous demander de…. »

« Ecoutez, je ne voulais pas vous blesser mais vous ne pouvez pas être Marilyn Monroe. Enfin je veux dire la vraie Marilyn. Elle est comment dire…un petit peu morte ? »

« Oh vraiment ? Et comment je serais morte ? » Demanda t'elle énervée.

« Vous êtes sérieuse ? » voyant qu'elle ne plaisantait pas, Zoé continua « ça dépend. Ça fait à peu près 50 ans qu'on essaie de le savoir mais dirons-nous on va s'en tenir aux théories. Certains disent que vous vous seriez suicidée de désespoir par overdose de médicaments. D'autres que vous auriez été assassinée par le gouvernement américain parce que vous aviez des renseignements compromettants sur le président qui soit dit en passant était votre amant. Choisissez celle qui vous semble la plus probable ou la plus glamour compte tenu de…euh votre familiarité avec la décédée en question. »

Pas de réponse. Elle resta là, immobile à fixer Zoé loin d'être amusée par ces révélations. « Ok… euh je vais prendre les macaronis au…, » Marilyn la coupa dans son élan en lui prenant agacée le menu des mains.

Pour une première rencontre c'était une sacrée première rencontre. Après Bob, la voilà qui parlait avec Marilyn Monroe enfin du moins son sosie qui pensait être la vraie tout en ayant Walt Disney derrière qui faisait mumuse à dessiner Mickey.

« Je rêve, » soupira-t-elle. Finalement acheter un sandwich à l'aéroport qu'elle aurait dégusté tranquillement au fond de son lit aurait été plus judicieux. « Non il a fallu que tu joues les aventurières ma fille. »

Ignorant qu'elle l'avait dit à voix haute, elle fut surprise quand une bande de sosies se tourna et la regarda bizarrement. Voilà deux fois qu'elle attirait l'attention sur elle en moins de 2h. Elle allait battre un record. « C'est une grosse blague hein ? Dites le moi. Vous êtes tous des sosies de personnes mortes et vous faites ça pour vous payer la tête des touristes ? » Dit-elle à une Mary Pickford qui préféra garder le silence. Le muet était visiblement son domaine de prédilection même dans la vraie vie.

« Il y a un problème mademoiselle ? »

Zoé sursauta, ne s'attendant pas à se faire interrompre dans son délire. « Parfait. Et maintenant Humphrey Bogart. Comment ça va Humphy ? »

« Mademoiselle, vous êtes ici dans mon restaurant. Et je vais vous demander…. »

« VOTRE restaurant ? Cool alors je suppose qu'il y a un pianiste quelque part qui va nous jouer As time goes by si je lui demande. »

« Eh bien Sam prend sa pause pour le moment mais… »

De la drogue. Elle avait forcément été droguée pour vivre une telle hallucination. A y repenser l'eau dans l'avion avait un goût bizarre.

« Non mais si y a de la drogue dedans je suis foutue. Manquerait plus que je me fasse prendre par la police. ‘Hey Zoé comment c'était ton voyage aux USA ? oh rien, sans faire exprès j'ai pris un psychotrope qui m'a fait voir des gens morts.' Parfait. »

Sans dire un mot, Humphrey la laissa allant certainement appeler l'hôpital psychiatrique le plus proche pour qu'une ambulance vienne chercher cette cliente complètement folle. La drogue ou peut-être c'était la faim qui lui jouait des tours. Après tout, les gens dans le désert souffraient d'hallucination par manque d'eau et de nourriture. Mettant sa tête entre ses mains, elle inspira et expira profondément. Elle avait vraiment besoin de reprendre ses esprits.

« Ni l'un ni l'autre ma chère Zoé, » entendit elle quelques secondes plus tard derrière son mur de concentration. Ecartant ses mains, elle remarqua l'homme assis en face d'elle.

« Bonsoir Franck. Alors la vie est belle ? » Plaisanta-t-elle à bout de nerfs.

« Très belle. C'est calme par ici vous ne trouvez pas ? »

« Ça dépend. Vous qui avez déjà fricoté avec les anges…c'est quoi par ici. C'est un cirque ambulant de cinglés ou c'est moi qui vire complètement barge. »

« Aucun des deux. C'est notre façon à nous de continuer à exister. »

« Mais vous êtes tous morts ? »

« A quoi ça sert à une étoile de briller s'il n'y a personne pour la voir. C'est ça aussi cette ville. Dans l'obscurité soudain, on adore découvrir une nouvelle étoile la voir s'illuminer et briller autant qu'elle le peut…jusqu'à ce qu'on n'en apprécie plus sa beauté et qu'elle disparaisse. Ou pas. Il arrive pour certaines de continuer à scintiller sous le regard admiratif d'une personne car tant que quelqu'un la regarde, elle continuera à vivre. D'une façon ou d'une autre. »

« Alors ce lieu, c'est votre façon de…survivre ? »

« De nous retrouver quand notre vie atteint son crépuscule, » dit-il en se levant. « Bienvenue dans la ville des anges. »

« Attendez…., » l'appela-t-elle prête à quitter sa place quand elle se sentit trembler.

Une voix résonnant dans sa tête ‘Mademoiselle ? Mademoiselle ?'

Elle était prise de secousse comme en état de choc. Soudain plus rien. Tout était devenu noir, il n'y avait plus de box, de musique jazz, de voix. Tout disparut. Et elle se sentit happée. ‘Mademoiselle'

Une dernière secousse et elle ouvrit les yeux. Le café avait disparu. A la place des tables, il y avait des rangées de sièges, les uns derrières les autres. Et des hublots sur le côté.

A sa droite une hôtesse de l'air continuait de la secouer légèrement.« Mademoiselle ? Désolé de vous avoir réveillé. Pouvez-vous éteindre votre ordinateur et attacher votre ceinture, nous allons bientôt atterrir, » lui dit-elle gentiment avec un sourire.

Il fallut quelques secondes à Zoé pour se remettre. « Wow quel rêve ! » s'exclama-t-elle avec un petit rire. Décidement son cerveau pouvait atteindre un seuil de délire absolu. Tremblotant encore un peu de son réveil brutal elle ferma son ordinateur alors que sur l'écran Gloria Swanson se mettait en colère rappelant à son ‘invité' qu'elle était toujours grande que c'étaient les écrans qui étaient devenus trop petits.

Se redressant dans son siège, Zoé remit sa ceinture. « Merci, mademoiselle. Et bienvenue dans la ville des anges, » conclut l'hôtesse avec un immense sourire et un clin d'œil intriguant avant de tourner les talons.

L'aventure ne faisait que commencer…

Signaler ce texte