Aux cons qui le demandent.
François Alekan
Sacha, Tatiana et Anouska adoraient Paris.
Les douceurs de l'automne enveloppent le corps des trois morues d'un bien-être délicieux.
Le short de Sacha, taille basse, fluorescent, accroche l'œil. Et des regards qui musardent sur les trottoirs sont légions. Des hommes pour la plupart, rustres, solitaires et poètes à leurs heures. Rarement le soir, car il faut maitriser la langue de Molière et mesurer la différence entre salut salope et permettez-moi de vous baiser la main ! Le corsage sans manche de la jeune Sacha, échancré et transparent, s'éclaire à la lumière des appels de phares d'automobilistes déchainés. Il y a beaucoup d'embouteillages dans leur tête ! La rue se retourne et se met en sens lubrique. Deux obus à l'horizontale, d'une fermeté Poutinesque. Des tétons de la taille de ces anciennes sonnettes de nos maisons bourgeoises, grenadine, deux perles bonnes à téter pour tout jeune puceau. Enfin, il n'y a pas d'âge pour ce genre de pratiques qui consistent à pomper des nichons en souvenir d'une enfance perdue à laquelle de douloureux souvenirs se confondent allégrement avec la saveur lointaine du lait maternel.
Sacha, bercée des sanglots monotones du boulevard Bessières, à poil et rasée, enveloppée d'une fourrure, soupire aux quatre vents. Ah, la philosophie russe… Mais la rumeur enfla dans le pantalon et des michetons royaux surgissaient de toutes parts, les bourses à la peine et les couilles promises aux délices de la nuit. La filière de l'est réservait de ces surprises !
Sur le trottoir, une queue toute moscovite aux temps immémoriaux et nostalgiques de feu Brejnev et de notre regrettée Simone, disciplinée et silencieuse s'allongea jusqu'au bout de la nuit.
Dans l'anfractuosité d'un immeuble promis à l'abandon, Sacha asséchait avec application les pendentifs de ces messieurs. Pas un mot, un billet, une remontée des balustrines en mode ascenseur vers l'échafaud, une plongée vertigineuse vers le béant.
- К следующему !
Un regard explicite accélérait le mouvement. Une foule impatiente, attendait. Sacha aimait ces rugueuses rencontres.
Les odeurs acres, le goût indéfinissable d'une queue en érection baignée de son propre jus, le bouquet des fentes de ces dames et la liqueur de ces messieurs, dont on se demande encore, ce qu'ils ont pu avaler ?
Sacha est une besogneuse qui ne prend pas le temps de souffler. Le travail avant tout, un stakhanovisme génétique qui s'exprime dans son engagement.
- Je brrranle, assure-t-elle, rrroulant autant les pouces que le R. Je poompier, j'aavaale cocasse. Bon prrix pour toi. Apprroche chérrrrie. Non, pas appeler maamaaan.
Il m'entraîne au bout de la nuit,
Les démons de minuit,
Tatiana tenait le trottoir sous un réverbère. Le zip à moitié foutu le camp, la ceinture emportée pour la postérité. Un petit cache frifri d'un satin aussi bronzé que sa touffe épatante, un débardeur sans manche, blanc, un tissu éminemment fin, les formes plus que suggestives des bossoirs, des lèvres sur lesquelles chantaient toutes les turluttes du monde. Une bouche qui ressemblait à s'y méprendre à un sanctuaire. Tatiana recueillait un franc succès chez les hommes. Rien de surprenant, elle adorait la bite. Tatiana dégageait des phéromones bestiales que les mâles pouvaient encore identifier dans un monde soumis à d'incessantes pollutions nocturnes. Tatiana sentait la pute à des centaines de mètres. Et l'amateur de salopes à la petite semelle, était légion. Pour jouer sur les bancs de Terre Neuve à cinquante balles la plume, cent j'te fais la totale, Tatiana roulait des mécaniques. Seulement Tatiana n'avait pas encore assimilé l'euro et Raymond fut contraint de reprendre à la base.
- Tu comprends moi, demanda Raymond dans la langue d'Yvan Rebroff ? Pour celle de Léon Tolstoï, il devrait encore progresser !
- Да !
Oui mais comment expliquer que le rouble s'échange à zéro virgule zéro, cinq euros ?
- Tatiana, toi salope !
- Да !
- Toi putain !
- Да, Да ! Moi aimer bite. Baiser. Sucer débita-telle.
- Bon, très bien. Tatiana comprendre. Mais travailleuse doit faire euros pleins les poches.
- Да, Да ! Poche, sucer, bon, bon.
- Non pas bon. Poche, pantalon. Raymond sortit alors de sa fameuse poche que l'on ne suçait pas, trois billets. Il montra les biftons. Argent ! Bleu pour sucer.
- Да, Да ! Bleu, sucer ! Une fois ! Moi, sucer bleu. Tatiana beaucoup aimer.
- Rose, toi baiser. Une passe, billet, cinquante !
- Да, Да ! Baiser beaucoup rose !
- Tatiana ! Baiser devant, insista Raymond.
- Даaaа ! Une fois, devant, branler un peu et baiser…
- Tatiana, très bien, renchérit Raymond, soulagé. Billet vert, cent, pour baise… Mais faut monter dans camionnette.
- Да, Да ! Camionnette rrouge, comme drrapeau.
- Да, Да ! oui, Tatiana a tout compris.
Raymond reprit sa surveillance.
Tatiana avala gloutonnement tout ce qui pouvait ressembler à un sexe, s'enfila des hectomètres de queues, assécha des litres de perles et de postillons d'amour estampillés blanc, black, beur. Tatiana opérait principalement entre deux murs, dans une arrière-cour protégée des regards indiscrets. Envisageait-elle de retourner à son bout de trottoir que déjà un client se présentait. Certains pour une deuxième tournée. Preuve que le travail bien fait paye toujours. Pour la branlette, Tatianaet son pot au lait, légère et court vêtue, se caressait inopinément la chagatte pour huiler la pression et déguster le cornet d'un habile mouvement de langue sans qu'une seule goutte de crème glacée ne lui coule jusqu'au menton. Tatiana affectait de se laisser défenestrer la rondelle sous les boutoirs de bronze de fumiers qui emmanchaient la soviet au suprême de noix. Ça vous résonnait entre les glaouis, des chlups, glups, des braquemarts qui surnagent dans une mer de foutres et de je ne sais quoi encore. Cette vicieuse de Tatiana récupérait les préservatifs de ces messieurs et s'en tapissait la grotte, enduisait ses nibards et s'en rinçait la gorge
Tatiana appartenait à la vieille école, conscience et professionnalisme.
- Enculé que c'est bon, déclarera un Landais s'en revenant de la cour des plaisirs.
- Oh con, que répondit un autre landais dont l'accent fleurait bon la troisième mi-temps. T'en a laissé au moins ?
- T'inquiète pas, putain, c'est le port de Vladivostok ! Pas de plaisance, non celui des frets internationaux. Mon vieux, elle a une mornifle plus longue que les quais de Bordeaux et un trou plus profond que le Baïkal.
- Tu connais ?
- Non, j'imagine.
- Bout du con. Poussez-pas derrière !
Il m'entraine jusqu'au bout de la nuit,
Les démons de minuit…
Anouska ressemblait à Tatiana comme deux gouttes de vodka. Anouska basculait comme l'on effeuille la marguerite. Je t'aime moi non plus, ni vu, ni connu, trois litres plus tard, la petite se sentait en pleine possession de ses moyens. Bourrée de carburant, elle pétait dans tous les sens du sperme. Anouska pratiquait à bord de la camionnette rouge. Anouska appartenait au troisième genre humain, les artistes. Aussi chaude que la braise, plus imaginative qu'un Dali au sommet de ses délires et particulièrement insatiable comme le serait la misère sur les riches. Anouska s'attaqua d'emblée à l'énorme vit d'un garçon, Ougandais d'origine et royalement membré. Un ébène démesuré, un démonte pneu sorti tout droit d'un bac d'huiles de vidanges usagées, un totem ciselé du plus bel effet, tatoué de promesses cabalistiques et capable de transporter une Russe, telle une capsule Soyouz, envoyée en orbite pour une révolution totale de ses sens.
- Babouchka, babouchka qu'elle hurlera à la troisième rotation. Oh mon pope, oh mon pope, s'adressant à la fois au saint des saints et à son fidèle représentant sur terre ! Entendez aussi, qu'elle ne plaignait pas sa part, mais son trou du cul qui perdait sa virginité.
Au suivant, comme le chantait un admirateur de Brel, coincé dans une file qui commençait à s'allonger. Sur les places de Paris où tournent des clilles potentiels, il en existe une catégorie, plutôt vorace et à l'affut de nouveautés. Le bruit et la fureur s'étaient emparés de couples échangistes, des scatos bilingues, des surmenées de la vulve et des sommés de tout laisser entrer.
Les clients qui se présentèrent étaient un trio, le père et ses deux fils.
L'affaire se prolongea dans la camionnette aménagée en lupanar. Un intérieur cosy, rouge et confortable. Un parfum exhalait le genet. Un fond musical, des chants religieux interprétés par une armée de chanteurs gays en déroute. Un éclairage à tendances tamisés. Les trois mecs triquaient comme des messieurs bien élevés. Le plus âgé cornaquait ses deux fils. Notre salope, imprégnée d'absolu, prétendait à une danse orgiaque. Ne sentaient-ils pas couler dans leurs veines les alcools d'antan ? N'entendaient-ils donc pas le son des grelots ? Ne devinaient-ils pas les notes d'une mélodie de Tchaïkovski ? Ah, l'âme slave… Deux doigts dans le cul et ouste, les deux bites dans la bouche. Les grelots tintinnabulèrent en effet. L'un des deux garçons lâcha une neige immaculée, une fine moustache de foutre orna les lèvres lippues de la bouffeuse de saucisses. Le père aux quatre cents derches cria taïaut. Tiens voici l'écho, se dit-il lorsque sa bite croisa celle de son autre fils qui retenait toute sa purée, des fois qu'il n'aurait qu'un coup à son pistolet.
- Après-vous, père !
- Non, mon fils. Tu es invité. Passe devant ! Ne crains rien, après tout, il y a deux trous, non ?
- Merci papa !
Anouska possède un sens poussé de la famille. Elle se décarcasse à satisfaire le père et enchanter ses héritiers. Finalement, les trois hommes monteront sur le podium. Maillot jaune, à monsieur pour l'ensemble de sa course. Maillot vert du meilleur sprinter, avec trois roubignoles d'avances, au gamin pour son éjaculation précoce. Meilleur grimpeur, maillot blanc à poils rouges, le frère consort. Anouska tirait un sacré braquet qui lui ouvrit immédiatement les pages intérieures de l'équipe qui titrait sous le manteau « La nouvelle Jeanine de la pédale est une Russe qui descend comme elle grimpe : en danseuse et tout au train ! ».
Entre les pipes et les feuilles de roses en boutonnière, les pas de quoi fouetter les chattes et si justement fouette-moi la chose, Anouska aura largement rempli son quota.
Assise sur le pare-chocs de l'hôtel des voyageurs, Anouska lève le coude. L'alcool transhume tel un torrent et dévale de son Oural d'origine vers la vallée des merveilles. Cul sec et la bouteille par-dessus la tête, pour s'éclater dix mètres plus loin au milieu de ces passants innocents qui tournent autour de la bête tout en songeant, de grâce comme c'est vulgaire.
- Je merrde toi, répondait-elle à ces badauds honnêtes qui voudraient bien tout de même, sans l'avouer, participer un peu, mais alors rien que pour voir, juste un essai qui n'engage à rien.
Anouska alluma un feu de joie. Les édentés et les peaux vérolées sortirent aussitôt de leurs trous. Pour ces tintins de la braguette, c'était l'occase de se cogner de la viande d'importation et de distiller gratis. La fête est un art de la joie. Anouska travailla pour un euro symbolique, se prêtant à des séances touchantes de désirs simples, certains ne demandant juste qu'un baiser sur le goût des lèvres. Anouska signa des autographes, suça un gentil policier en faction et encula une vielle garde républicaine. Le rapprochement Franco-Russe, fut un modèle de diplomatie. Les riches mouillèrent leurs culottes pour ces pauvres désœuvrés qui bandaient encore et qui, n'en déplaise à Francesco, banderont longtemps encore, à condition de porter des préservatifs. Brrreeuh, quel vilain mot pensa très fort le pape.
- Anouska, pas d'accord. Bon, très bon, plaisir. Bon cœur, bonne peau, gentil après et beaucoup sourire.
Sur le boulevard des gens heureux, la scène surréaliste frappa à jamais le régisseur des marchés.
- C'est-y pas la belle vie ?
- Que du bonheur, sifflotèrent les pompiers, sis à deux pas d'ici !
Et du feu, de joie, ils veilleront à ce que la flamme ne s'éteigne jamais.
Il m'entraine jusqu'au bout de la nuit,
Les démons de minuit…