4. Baby-blues maman !
blanche-dubois
Chambre 301, 3eme étage
"Madame, vous n'aurez probablement pas d'enfant. J'en suis désolé."
Ma main dans ses mains, Dr Xavier de T., pourtant si froid, si aristocratique et distant, possédait donc encore un peu d'humanité ? Mes yeux regardaient sans voir, dans le grand silence d'un après verdict, un matin d'automne morne et étouffé par le brouillard. Dans une chambre d'hôpital aussi caricaturale qu'une chambre d'hôpital. Rien pour alléger la nouvelle. Au contraire, j'avais envie de mourir.
Il reposa ma main, dit quelques mots futiles que je n'entendais plus et il reprit doucement son masque froid une fois de dos, repartit avec son voile d'internes.
Je restai seule et je pleurai à chaudes larmes. Toutes les larmes de mon corps meurtri et abimé par une hystéroscopie opératoire (du grec hystéro* : utérus) et comme une seconde fois malmené.
C'est un Chirurgien. Certes. C'est un homme. Donc faillible. Il n'est pas un Dieu. Comment peut-il connaître à ce point le corps d'une femme ? Il a étudié le corps de La Femme. Il a disséqué, analysé, palpé puis opéré le corps De femmes. Certes. Un corps ne décide pas par la seule loi d'une science que je ne serai pas mère. Mon corps, c'est moi !
Un an et demi après l'intervention, campée dans mes toilettes, un test de grossesse me cria « Yes you can ! » Hip hip hip Hourra ! Tu seras donc mère ! Et comme Sarah à qui Yave annonça qu'elle aura un fils, je riai. Dieu, c'est le test, moi et ma fille allions faire le reste.
Une chose est sûre les hommes ne savent rien aux femmes et leur corps reste impénétrable.
Mais comment devient-on mère ? Par l'exemple de sa mère ? Ça non surement pas, la mienne étant une mère absente, belle, fragile, paumée, mutique, victime, instable et finalement résolue à accepter son sort de femme malheureuse. D'ailleurs une fois jeune mère à mon tour, elle m'avoua que « Les enfants n'étaient pas (son) truc ». Cet aveu me soulagea étonnement.
En détournant une citation, "Toutes les femmes heureuses se ressemblent ; mais chaque femme malheureuse l'est à sa façon."**
Être mère...Quelques exemples dans ma famille ? Auprès de copines ? Des attitudes et sentiments attendrissants dans mes souvenirs mais rien du "Je ne sais quoi" (excusez mais j'adore cette expression) dont j'aurais pu en tirer expérience. Dans les parcs, magasins pour enfants, bibliothèques, etc. ? Drôles, tendres, pathétiques scènes mère-enfant, tout ce qu'on veut mais rien à en imaginer même pas un peu d'idéalisme. Dans les livres ? Je suis une lectrice toujours un peu distante. Par conséquent, je me résolus à penser que je ne pouvais rien savoir sur la chose si je ne l'étais pas moi-même. J'attendais.
Chambre 206, 2eme étage, deux ans plus tard
Même hôpital, même service. Dr De T. a été muté et promu chef de service dans un hôpital de Province. Dr Chaouki M., chirurgien marocain exploité par l'APHP, petit bonhomme replet, chaleureux, débonnaire extirpa d'urgence, à trois du matin, ma fille pour souffrance fœtale. Il n'avait pas dormi depuis quinze heures de temps.
On me l'apporta cinq heures après une césarienne de dernière minute (du latin caedere : couper, inciser). J'avais tout observé sur la table d'opération malgré les précautions (ce grand drap vert occultant) des chirurgiens pour cacher l'incision. Il restait un micro reflet dans une des lampes en inox, lampe mal placée. Mon œil de chat vit tout le modus operandi. C'était propre, effrayant, fascinant. Le ventre humain est recouvert de multiples couches comme un millefeuille. La tâche du chirurgien est d'inciser feuille abdominale par feuille abdominale jusqu'à arriver vers le siège des organes vitaux. Toutefois, à mi-parcours, j'ai fermé les yeux et j'ai stupidement pensé au dahlia noir de James Ellroy.
Heureusement, Tout cauchemar a une fin. Mon petit "truc", je la pris doucement dans mes bras à la lueur du petit matin d'été. Nous nous regardions. J'étais très gauche, impressionnée comme lors ma première rencontre amoureuse. Exactement pareil, cette même timidité qui me caractérise et qui me cloua le bec dans un premier temps. Je bafouillai: « Ben voilà c'est moi ta mère , on va faire un sacré bout de chemin ensemble dis donc !» Le bébé est vraiment une personne avant même d'en sortir de sa mère. Il s'affranchit déjà : le compte à rebours est lancé.
Je m'étonnai de ce petit être si pure et pourtant si humain déjà. Pureté accentuée par le fait que la césarienne fait sortir des bébés sans rougeurs, ni contusions. Des bébé parfaits ! Je me rappelais du « yes you can » du test. Primo va te faire voir Xavier de T. ! Deuzio, du test à l'ici et maintenant, quel formidable cheminement!
Je l'approchai de mon sein droit. Elle n'avait pas envie d'une tétée et je ne savais pas comment faire pour lui donner l'envie. La grosse puéricultrice en chef déboula avec ses grosses fesses et son énorme poitrine de matrone. Elle vint avec sa cargaison de biberons tout préparés que Nestlé avait gracieusement offert à la maternité. La meilleure méthode pour vous flinguer un allaitement.
Soudain, j'éclatais en sanglots. A nouveau, pas pour les même raisons.
Parce que j'avais été dérangée dans cette intimité du premier contact mère-enfant.
Parce que je n'arrivais pas à allaiter ma fille.
Parce que j'avais l'impression de me retrouver face un vide béant qui s'ouvrait sous mon lit d'hôpital.
Parce que je changeai de statut brutalement en un court laps de temps. J'étais responsable de ce petit être qui ne pouvait rien faire sans moi. Moi, je ne savais pas comment faire et je ne savais rien. Je me sentais seule au monde. Une solitude poisseuse différente de celle que j'aime tant d'habitude. Fiche le camp avais-je envie de dire. Fichez moi le camps tous !
Je ne savais pas comment allait être la vie. Plus difficile, plus facile, plus légère, plus lourde à porter ?
Allais-je être à la hauteur ?
Pourrais-je devenir une bonne mère ?
J'étais comme écrasée par le flot de cette vie qui vous éclate à la figure après le calme plat. Après le morne automne, après le doux temps insouciant de la couvade, la brûlure de l'été caniculaire commençait. Les mouches, la plaie mal cicatrisée et l'enfant endormi qui ne compte que sur vous dans ce monde. La douceur feutrée de la maternité mais cette angoisse violente qui point et vous étreint sans repos. Devenir mère était découvrir un nouveau monde sans carte avec comme seule boussole l'instinct, et de l'amour, énormément d'amour pour survivre.
* On dit d'une femme une hystérique , un histrionique pour un homme (qui veut dire acteur)
** Sam Savage, Firmin : autobiographie d'un grignoteur de livres
Bravo beau témoignage émouvant! Kiss et merci à Astrov
· Il y a plus de 10 ans ·vividecateri
Merci pour votre commentaire !
· Il y a environ 10 ans ·blanche-dubois
C'est un magnifique texte qui a parlé à mon cœur de femme et de maman... bouleversant...
· Il y a plus de 10 ans ·stonemarten
Merci beaucoup pour ton commentaire. En allant sur des forums liés aux grossesse et post-grossesse, je constate avec effarement que bcp de femmes très paumées cherchent absolument une réponse parce qu'un médecin n'est pas capable de leur en donner. C'est sans doute pour cela que j'ai écrit cela. Les réponses sont souvent ailleurs.
· Il y a plus de 10 ans ·blanche-dubois
Merci divina...Oui il ne faut pas se laisser faire par le personnel de l’hôpital. Chaque maman doit faire comme elle le sent même si c'est maladroit.
· Il y a plus de 10 ans ·blanche-dubois
Très beau témoignage. En tant que maman d'une fratrie nombreuse, je dirais qu'un bébé qui ne tète pas tout de suite ce n'est pas catastrophique ni conditionnant de l'avenir. Chaque enfant est différent et se comporte de même en arrivant sur terre. Mon dernier est né en baillant sans avoir faim du tout!
· Il y a plus de 10 ans ·Je comprends très bien vos propos relativement à cette incursion ressentie dans votre intimité. Je me souviens d'une sage-femme me disant qu'en laissant mon fils au sein pendant 2 heures, j'allais lui donner de mauvaises habitudes et m'abimer les seins. C'était mon 2° et j'étais un peu plus expérimentée alors je lui ai dis d'aller se faire voir, que c'était mon fils et mes seins.
Bon courage à vous et merci pour ce très beau texte.
divina-bonitas
"Le temps insouciant de la couvade..."
· Il y a plus de 10 ans ·Un récit et des émotions qui prennent au coeur et au corps. Je partage !
astrov