BIEN BOURRÉ

Isabelle Revenu

Dans un volapük approximatif qui n'olorime à rien et sur un air de cithare à faire pleurer André Rieu himself, dents serrées et regard honteux, le journaliste nous annonce la mauvaise nouvelle, des frissons en trémolo dans la voix.. La Révélation....Celle qui est sensée nous foutre une trouille de tous les diables. Et faire entrer en nous l'ultime plaie d'Egypte sur l'Humanité indigne du Coeur de Jésus.


Sur un tableau barbouillé, palimpseste séculaire, le doigt menaçant, un professeur d'Université américaine, gras comme un moine, nous explique en détail les nombreuses catastrophes naturelles que nous provoquons, nous, les terre-à-terre, les inconscients, les gaspilleurs. Les futurs écrabouillés de honte devant le résultat de nos ignobles forfaits égoïstes.

Nous allons enfin payer les coups tordus faits à notre Père Géniteur.

Un drôle de retour du bâton merdeux.

La Punition Divine.


Nombre cyclones, glissements de terrain, avalanches, eaux montantes...Montagnes de déchets indestructibles, sauf à attendre les calendes grecques. Mais parait que l'horloge s'affole et que le temps est compté.


- Chériiiiie !! - Je l'appelle toujours chérie quand j'ai la flemme de me lever, ça lui donne courage et impression d'être indispensable - Tant que t'es d'bout, ramène donc la bouteille de scotch...Et fissa ! Me faut un remontant, le monde court à sa perte à pas de géant ...N'oublie pas les glaçons.


Je commence à baliser sévère. Je me vois déjà, ma tête de saoulôt..ben sous l'eau.

Mon ventre de pilier de comptoir croupir dans une boue infecte, rayonnante de Césium 137. Saloperie d'isotopes...

Mes Charentaises voguer d'abord lentement entre deux vaguelettes qui, au fur et à mesure de la fonte des glaçons de mon whisky, prennent de la vitesse sans que je puisse les remettre à mes pieds....

Mon tabouret américain, l'assise défoncée, les pieds en l'air comme le ventre d'un poisson lors d'un lâcher d'ammoniaque, qui se démène pour rester à flots. Avec moi perché dessus pour échapper aux torrents de troncs d'arbres ravagés, déchirés. Gueulant A l'aide ! avec la voix d'un eunuque  qui aperçoit une souris.

Ma part de pizza-aux-quatre-fromages filant droit dans une bouche d'égoût. Une bouche dégoûtante....Noire, aux relents de 98 et de vieille huile de vidange.

Plus le choix, ni la force. Faut que je lâche prise, que je rende les armes. Mon poids m'entrainerait trop loin, aux confins de l'hypertension.

Vers les pylônes ERDF...

La Centrale de Fleury-Mérogis.

Et les bassins d'Incantations.


Une troupe de manifestants pacifistes avec des pancartes aux lettres peintes en rouge sang vouant les pêcheurs au Jugement Dernier me bouscule.

Je chasse, mais ne pêche pas.

Et je ne prêche pas non plus.

Le dimanche c'est sacré. Repos, maquette d'avion de chasse, boules avec Bouboule , casse-croûte et apéros. Barbecue. Foot. Je ne joue pas, entendons-nous  bien. J'encourage le petit écran avec une bière bien fraiche ou des hot-dogs graisseux.

Apprendre la nage indienne à un ver de farine, non merci. Je n'ai plus la patience. Le gros plomb oui...Mais pas dans la cervelle, malheureux ! C'est le morceau que je préfère.

Et puis, paraitrait à ce qui parait que le mercure ne monte pas que dans les thermomètres. Dans l'Amazone, dans les eaux de Thailande, au Japon, les poissons ailés en sont imbibés. Tout pareil à moi avec mon whisky. Ca me donne chaud aussi. Et quand je suis chaud, c'est ma bourgeoise qui trinque. Au figuré. Dans la figure quoi.

Deux mandales, un aller-retour, un vire-Marion. Pour lui apprendre à respecter la banquise - trois glaçons c'est beaucoup trop dans un bourbon. Même un premier prix de chez Adli-Padli. 

Même.....


Après on s'étonne que le monde court à sa perte. A la sienne, pas celle de ma femme. C'est au sens propre. Et c'est du propre....Dommage.... Dommage qu'elle ne perde pas une occasion de se taire.Terre en péril. Pff...Monde de malades.  


Ouaip... Putain, je discute, je discute, je suis asséché....J'ai la langue en papier émeri. Du quatre-vingt. Gros grains. Comme le vent qui est supposé tout balayer de nos architectures d'hérétiques.


Oh, tu dors ? Oh !!!  Quand tu iras faire ton masque - je me demande à quoi ça sert de se tartiner ainsi la peau avant d'aller au lit. Et ses bigoudis. Un vrai carnaval ! - oui, je disais quand tu te relèveras, tu m'apporteras une autre bouteille. La même. Enfin pas la même puisqu'elle est vide. Une autre avec la même étiquette mais pleine. Je reste encore à écouter les prévisions de ce Nostradamus à lunettes d'écaille. C'est les Amerlos qui empoisonnent la planète et c'est les petits européens du bas de l'échelle qui prennent tout dans la gueule. Y a pas de justice ! 

T'entends ?? Y A PAS D'JUSTICE !

Ah on peut crever, tous ! Il s'en fout le ... chais même pas son nom ...

Casse-la-Baraque ? Rascar Capac  ? Moubarak ?


Rhoo y a des noms qu'on devrait franciser et tout ça ça n'arriverait pas. 'Reusement que je ramène les bouteilles vides dans le container à verre. C'est ma contribution écologique pour enrayer le mécanisme de destruction imminent.

Et j'échappe aux farineux comme le pain ou les haricots aux couennes pour éviter la méthanisation.

Ou je pète dehors, lentement, par à-coups, en plein milieu de mon jardin, ça empêche une trop grosse dispersion dans la couche stratosphérique. Des perles d'eau lourde.

Des pointillés dans un océan de fin de monde. Une civilsation entière qui disparait sous la connerie humaine. Balayée au rang des souvenirs poussiéreux.

J'espère que les généticiens ont raison avec les semences anciennes. On dit que le blé a sauvé les hommes de la famine et que ses grains résistent aux radiations nucléaires. Ca modifie juste leur génôme et les aide à acquérir une résistance à la sécheresse. Mais pas à celle de mon gosier. Maltés ou pas, radionucléés ou non, ils feront encore les beaux jours des distilleries écossaises.

Alors mes p'tits gars, no panic ! Il y aura encore du whisky pour les siècles des siècles !

Amen.


 - Et amène la seconde bouteille merde !

Tant qu't'es d'bout ...

Chériiiiie...

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