Blackout autour d'une page blanche

Mathieu Jaegert

En noir et blanc

Si le syndrome de la page blanche est la bête noire des auteurs, j'avais eu jusqu'à ce jour la chance de dompter tous les bouts de papier qui se présentaient à moi. La séance d'écriture de ce matin ne devait pas déroger à la règle. Mais un blackout soudain s'était brutalement imposé aux feuilles éparpillées sur la table. Mes idées s'étaient fait la belle, les meilleures d'entre elles anormalement black-listées par mon cerveau. Alors que je m'apprêtais à mener mon histoire tambour battant, je me retrouvais dépourvu d'allant, déjà lessivé avant même de débuter. Un peu comme si mes trouvailles avaient été lavées deux fois à 90°C, mon récit effectuant ainsi un virage à 180° ! La page qui me faisait face était désespérément blanche et semblait décidée à blackbouler mes idées. Elle n'était que l'ombre d'elle-même, je ne la reconnaissais pas. On aurait dit qu'une couche de white spirit lui avait été appliquée, rendant le papier plus blanc que blanc.

 

La situation s'était prolongée de longs mois. A mesure que je me faisais un sang d'encre noire, mes cheveux blanchissaient et ma barbe devenait plus sel que poivre. Rien n'y faisait, pas même le stylo Mont Blanc qu'on m'avait offert. Mon désespoir culminait bien plus haut que le sommet le plus élevé d'Europe, je fulminais, pas loin de la colère noire.  J'étais à la fois vert et marron, ce qui pour un daltonien rendait l'issue incertaine, et le sauvetage périlleux.

 

Un jour, déterminé à sortir de l'ornière, j'avais procédé au remplacement de l'intégralité de mon stock de feuilles par du papier noir. Je ne voyais pas comment succomber au syndrome de la page blanche avec des feuilles noires ! Ça allait à l'encontre de toute logique lexicale me semblait-il. Mais j'avais vite déchanté. Ces pages noires, innocentes de prime abord, étaient rapidement passées au statut de suspectes, puis à celui de coupables. Moi qui étais leur premier défenseur, il me semblait impossible de les blanchir dans cette histoire ! Le cul-de-sac s'imposait à nouveau à moi. Heureusement, les demi-tours étaient souvent possibles dans les impasses, aussi sombres fussent-elles. La lumière était venue un soir d'hiver, le déclic avec elle. C'était inscrit noir sur blanc à l'écran : l'atelier d'écriture proposait un sujet autour du blanc et du noir. J'avais ainsi évacué ma frustration en me saisissant d'une feuille vierge.

 

Le syndrome ne s'était plus jamais manifesté, de quoi marquer d'une pierre blanche les feuilles incriminées.

  • J'en reste pantone ! Bien écrit, comme à ton habitude. J'ai lu les commentaires, je suis comme toi, lorsque je bloque sur une histoire je passe à la suivante. Si cela se répète sur l'ensemble de mon cimetière de texte, j'en crée un nouveau. Parce qu'il faut bien se l'avouer, We Love Words !

    · Il y a presque 11 ans ·
    U3w9e40p

    Jeff Legrand (Djeff)

  • Black is beautiful !!! Belle trouvaille, l'antidote à la page blanche, écrire sur des feuilles noires...

    · Il y a presque 11 ans ·
    Sylviane doise  petite narratologie du quotidien  rip

    gameover

    • Bon en général, quand la page blanche m'embête, je passe directement à la suivante ! Merci !

      · Il y a presque 11 ans ·
      Sdc12751

      Mathieu Jaegert

    • Quand je sèche, j'ai remarqué que je devais "tromper l'ennemi" : je laisse de côté le fil que je tirais et je réécris la scène du point de vue d'un personnage différent. En ce moment je travaille sur le début d'un roman, et je n'arrive pas à trouver le "ton" du narrateur. J'essaie la distance, le "je", je lis à haute voix... Je vais peut-être essayer les pages noires :-)

      · Il y a presque 11 ans ·
      Sylviane doise  petite narratologie du quotidien  rip

      gameover

  • Moi en ce moment j'imagine des textes, je les couche et les relis, horreur, c'est de la merde... et me dis ce sera mieux une autre heure.... pourtant je vais bien mais ce que j'écris n'est pas aussi bien que mon idée.... j'aime beaucoup ton texte, comme tu es doué. Cœurs.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Avatar

    Helene Bartholin

  • Fin de série noire !

    · Il y a presque 11 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

    • Oui, j'en faisais des nuits blanches.

      · Il y a presque 11 ans ·
      Sdc12751

      Mathieu Jaegert

  • Ou bien, comme Stendhal, tu aurais pu écrire avec ton sang sur tes feuilles sombres ...

    · Il y a presque 11 ans ·
    Img 5684

    woody

  • Un sujet à peine trop maîtrisé.... Le yin me manque...

    · Il y a presque 11 ans ·
    Ange

    Apolline

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