Blagues à la pelle (concours mauvaise blague)
antoine-lefranc
- C’est là. Sous le grand chêne.
- T’es sûr ?
- C’est le père Dariot lui-même qui me l’a montré.
A l’évocation du père Dariot, Ronan fait le signe de croix et se tait. On a porté le père Dariot en terre la veille.
- Mais pourquoi te l’aurait-il dit à toi, où c’est qu’il cachait son trésor ?
- Pour me remercier de n’avoir jamais trahi son secret.
- Un secret, le père Dariot ? C’était quoi ?
- Qu’il aimait beaucoup les femmes, et qu’il n’hésitait pas à payer pour se faire aimer d’elles. Je l’ai surpris, un jour, entrant dans un bordel de Caen. Si j’avais répété ça au village, tu penses bien que sa vie était finie : on ne l’aurait plus salué dans la rue, le prêtre aurait refusé de recevoir ses confessions, les marchands auraient refusé de le servir…
Ronan accueille mon explication avec un rire sonore, en se tenant les côtes. Des oiseaux s’enfuient en piaillant de protestation. Tant de joie de si bonne heure, ce n’est pas permis.
- Petit vice, grandes récompenses donc, oh oh oh !
Il est comme ça Ronan. Toujours prompt à étaler sa bonne humeur aux oreilles du monde, même quand le monde ne veut pas l’entendre. C’est sans doute ce qui chez lui séduit tant les femmes.
Je lui jette un regard noir. On a beau avoir marché deux kilomètres dans la forêt, on peut très bien nous entendre.
- Moins de bruit. S’agirait pas qu’on attire un curieux et qu’on doive partager le butin en trois hein ?
Ronan mime une parodie de salut militaire et saisit la pelle que je lui tends. Nous nous mettons à l’œuvre. Lui à la pelle, moi à la pioche. Malgré le vent frais, nous suons à grosses gouttes. Ronan s’arrête le temps de retirer sa chemise. Je ne peux m’empêcher de contempler son torse. Le travail des champs lui a dessiné un corps d’athlète : il exhibe des muscles dont je ne soupçonnais même pas l’existence. Peut-être est ce plutôt cela, qui chez lui séduit tant les femmes.
Nous creusons depuis vingt longues minutes. Un bon mètre cinquante de terre pelletée et toujours rien. Pas un coffre. Pas un sac. Rien que des racines et des cailloux. Plutôt maigre comme butin.
- Courage, je lui dis, on y est presque. Attends, je vais chercher de quoi nous revigorer.
Ronan me fait la courte échelle. Muni de ma pioche, je me hisse avec difficulté hors du trou. Ronan m’encourage. C’est vraiment un chic type. Le genre d’homme qui a écouté les leçons de catéchisme et se plie en quatre pour aider son prochain. La générosité incarnée, ce Ronan. Peut-être est-ce finalement cela, qui chez lui séduit tant les femmes.
Je sors une bouteille de vin de mon sac. Je m’accorde une rasade, puis la passe à Ronan qui boit à gros goulots. Il manque de s’étouffer quand je lui annonce qu’en fait, il n’y a pas de trésor. Que le père Dariot, il avait dilapidé toutes ses économies dans les bordels et que tout ce qui restait avait à peine suffi à payer l’enterrement.
Ronan me regarde les yeux écarquillés. La sueur qui lui coule depuis le front sur ses lèvres doit avoir un goût amer d’incompréhension. Il me demande le pourquoi de cette mauvaise blague. Je lui réponds que dans toute blague, aussi mauvaise soit-elle, il y a un fond de vérité. Et que la vérité de celle-ci, c’est qu’il n’y a pas de plus grand trésor au monde que l’amour que te porte une femme.
Ronan le beau, Ronan le bon vivant approuve. Il approuve, mais il ne voit pas où je veux en venir. Quand je lui dis que j’en ai assez qu’il visite la mienne, il comprend enfin. Je me lève et brandit la pioche au-dessus de moi. Je lis la terreur dans ses yeux. Ma pioche redescend vite, trop vite pour le Ronan le beau, Ronan le mort. Il n’a pas l’air d’avoir goûté la plaisanterie.
Génial ! J'aime beaucoup le monde moyen ageux dans lequel ils sont, j'ai beaucoup aimé la fin également ! voilà !
· Il y a plus de 10 ans ·maelle