Bordel poétique

Cyrille Royer

Un pantalon et une veste trop petits, une chemise trop grande. Des lunettes, pas de chaussettes.

La mort de l'artiste


Le jour se lève et l'artiste a posé son stylo. Son stylo qui a caressé si longtemps les mots qui chantent, les mots qui chantent et qui volent au-delà de la mer, de l'amour et de la mort. La mort. La mort, et maintenant les mots qui chantent l'entraînent pour danser la sarabande des souvenirs dans les yeux de l'enfant qui ne comprend pas tout ce qui est grand, mais qui comprend tout ce qui est beau.

Et l'artiste s'est couché sur son lit. Son lit qui lui souffle des mots de douceur, douceur d'un temps aboli, le temps de la nuit du matin et du soir, de la nuit au soleil de midi où les êtres avaient sous leur peau une fleur toute prête à s'envoler.

Et l'artiste a fermé ses yeux et ses paupières ont emmené la chambre dans le voyage. Emmenée la chambre de l'artiste, et la grande main protectrice a emporté l'artiste pendant que ses poèmes s'égrènent sur la planète. Et l'artiste peut sourire maintenant aux gazons familiers constellés d'étoiles qui couvrent l'horizon d'infinis, infinis qui se mirent dans le soleil universellement bleu. L'artiste peut sourire car ses doigts ont filtré l'amertume qui retombe lourde poussière sur la pauvre planète, la planète qui pourra dire bien des bêtises maintenant, des bêtises qui ne feront plus faner les fleurs.


Mains volages


C'était une rue de septembre, le long du port. Il faisait gris. C'est ici précisément que les mains se rencontrèrent, dans cette atmosphère de dockers portant leur misère encore un jour sur Terre et rien à faire. Elles se reconnurent de loin, leur halo de naïveté scintillant au bout des doigts. Autour de leur point de rencontre comme une piste sans spectateurs, instinctivement les dockers s'écartèrent le brouillard sous la visière les yeux rivés par terre pourquoi s'en faire.

Le doigt se leva, docte et dogmatique, professant cette doctrine uniforme rien expliquer tout sentir. Puis il se pencha vers la paume offerte, sillonnant la ligne de cœur au cœur de la main, lentement, doucement, en berçant dans le vent. Il se mit à énumérer les cinq vérités de la main, sans pousser, sans indiquer, sans majorer ni annuler, rien qu'en auriculant, gentiment, caressant, insouciant bel enfant.

Et tous les doigts se mêlèrent à la danse, pour danser le menuet des saltimbanques, paume contre paume en chantant la symbiose des épidermes, haletant, trépidant, grandiloquent sentiment.

Et les mains s'envolèrent. Sans mot dire les dockers refermèrent l'espace ouvert, et de leurs pieds ils foulèrent le rêve dans la poussière de cette sacrée Terre et toujours, toujours rien à faire. Au dessus de leurs casquettes grises dans un grand fracas d'ailes déployées les mains s'envolaient plus haut, toujours plus haut.

Le plafond est bas, qu'importe, au dessus des nuages la mer est belle.


A comme Vérité


Entre deux murs de paroles, le vent souffle comme un grand bol d'air, un bol d'air qui sent le renfermé pour l'amour funambule. Il regarde les parois bien lisses et il pourrait ébranler le mur en retirant la bonne lettre, mais il y a longtemps que ce jeu ne l'amuse plus. À force de retourner les mots, il sait bien qu'il n'y a rien derrière,  rien qu'une trame odieuse toute tendue vers l'accomplissement de leur vitrine.

Il regarde souvent le soir sur la mer de paroles. À la lueur du crépuscule les serpents périodiques font briller leurs anneaux comme du fiel pour rivaliser avec le soleil. Les mensonges s'abreuvent à cette mer de paroles et ils bronzent sans s'en rendre compte. Alors l'amour écoute le chant mélancolique des et cætera qui ne mentent pas.

Il donne un coup de pied à un point-virgule tout petit tout paumé dans la rue qui a perdu sa période. Il rentre chez lui et regarde sous le paillasson, mais il n'y a rien sous le paillasson, alors il s'assoit sur son fauteuil en osier avec un verre de jus de citron à guetter le paillasson, et il se dit qu'il n'y a jamais rien sous le paillasson.

Mais il ne sait pas que l'horloge est tombée dans le lac. Il ne sait pas que la vérité promène ses gros seins innocents dans l'appartement d'à côté, de l'armoire à glace au petit salon et du petit salon à l'armoire à glace, avec personne pour la contredire. Alors elle ferme à clef mais elle ne met pas la clef sous le paillasson, elle la jette par la fenêtre sur le tas de gravier qui garde farouchement le secret comme le dernier de ses petits enfants.

Et l'amour à casquette a donné un coup de pied dans le tas de gravier comme encore un petit mensonge, le tas de gravier qui n'a pas compris et qui hurle de tout son cliquetis, et un mensonge a bien vite avalé la clef comme encore une petite vérité.

Mais l'amour ne décollera plus jamais de son fauteuil en osier car l'horloge toute gonflée dans le lac aux noyés. Il n'y a jamais rien sous le paillasson. Et les serpents lovent toujours leurs satellites, les mensonges boivent toujours de la mer, et toujours deux malheureux sans espoir et sans histoire, l'amour tout entier dans son verre de citron solidifié, et la vérité fait toujours l'amour avec elle dans sa petite prison à loyer modéré. Et cætera, et tout est dans l'étrange fixation d'un tableau sans artiste, sans joli menteur.

  • Tout très bon. Et élégant, très, aussi. Coup de coeur pour le tableau en deuxième position. Je suis une épidermique, alors forcément...

    · Il y a environ 9 ans ·
    248407193 78b215b423

    ellis

    • Restez épidermique, c'est une très grande qualité ! En tous cas, merci pour votre message.

      · Il y a environ 9 ans ·
      Sitraeve730147 128771 theatre 2278

      Cyrille Royer

Signaler ce texte