Buk et moi
Jean Louis Michel
Sur l’écran de mon PC, il y a une image que je traine depuis pas mal de temps comme papier peint. C’est une magnifique photo de Charles Bukowski, prise au soir de sa vie. Il s’agit d’une photo en noir et blanc, un portrait où on le voit rire à pleine dent, tenant dans sa main ce qui semble être un verre de vin. Enfin, c’en est un, c’est évident, quoi d’autre ?
Il porte une chemise propre à rayures, bien repassée, col déboutonné, ses cheveux sont tirés en arrière, poivre et sel. Il porte une barbe de trois jours, ses dents sont usées, la peau du visage se parchemine, et si les photos pouvaient avoir une odeur, on sentirait presque une eau de Cologne un peu Cheap, pas celle d’un vieil ivrogne. D’ailleurs, il ne semble pas être alcoolisé. Il parait sobre, sobre et heureux, tout simplement. Je vous l’ai dit, elle est vraiment magnifique, cette photo, si loin de la façon dont les gens se le représentent. En France, dans l’imaginaire collectif, Buk a souffert d’une certaine proximité avec Reiser, une confusion générée par son « Journal d’un vieux dégueulasse » et le personnage de « gros dégueulasse » et d’une presque homonymie : Wolinski - Bukowski. j’ai lu quelque fois des nouvelles de types mal inspirés, voulant faire du Bukowski, et croyant la chose facile. Une recette simple : un porc, des femmes nues et de l’alcool. Pitoyable assemblage de clichés faciles.
Mais revenons à mon fond d’écran : C’est un cliché qui représente donc, comme une conclusion, la réussite au bout d’une longue vie d’errance et de galères, pour celui qui a connu tant de revers de fortune : la misère, la vraie, le manque d’amour, la faim ; qui n’a connu vraiment le succès qu’à la fin, par un concours de circonstance, lors de ce fameux passage chez Pivot. Il semble vraiment épanoui, enfin ! Comme si cette image portait un message d’espoir, une connerie du genre « Il y a de la lumière au bout du tunnel » ou « après la pluie le beau temps » La vérité, c’est que je crois qu’il s’en foutait bien, il était juste enfin heureux. Il avait senti le coup venir et courait après le fantôme de Céline dans les rues de Los Angeles, poursuivit par une salope de l’espace et la mort en personne (Pulp - 1994). Buk s’amusait à la fin de sa vie, prenait du bon temps, et avait réussi à laisser tomber la bière pour le vin, il s’embourgeoisait.
Aujourd’hui, je suis persuadé qu’il doit être aux courses à jouer quelques billets, quelque part, là-haut, en attendant Linda. Il se pourrait même qu’il écrive des poèmes de temps en temps, c’est comme ça que je l’imagine, si tant est qu’il y ait un « là-haut ».
Sur la partie gauche de mon fond d’écran, il y a ces mots célèbres, quand il parle de sa rencontre avec l’œuvre de celui qui l’inspira profondément : « Un jour j'ai sorti un livre, je l'ai ouvert et c'était ça. Je restai planté un moment, lisant et comme un homme qui a trouvé de l'or à la décharge publique. J'ai posé le livre sur la table, les phrases filaient facilement à travers les pages comme un courant. Chaque ligne avait sa propre énergie et était suivie d'une semblable et la vraie substance de chaque ligne donnait sa forme à la page, une sensation de quelque chose de sculpté dans le texte. Voilà enfin un homme qui n'avait pas peur de l'émotion. L'humour et la douleur mélangés avec une superbe simplicité. Le début du livre était un gigantesque miracle pour moi. J'avais une carte de la Bibliothèque. Je sortis le livre et l'emportai dans ma chambre. Je me couchai sur le lit et le lus. Et je compris bien avant de le terminer qu'il y avait là un homme qui avait changé l'écriture. Le livre était Demande à la poussière et l'auteur, John Fante. Il allait toute ma vie m'influencer dans mon travail."
Là, sur cette image, son verre à la main, comme lors d’un pot d’adieu, l’air radieux de celui qui tire sa révérence, je ne sais pas vraiment s’il résume à lui seul mon rapport à l’écriture, mais il doit y avoir de ça. L’envie furieuse d’écrire des choses simples, avec cette façon incroyable qu’il avait de livrer ses sentiments, ses colères. Avant d’ouvrir un fichier Word et de me mettre au boulot, je vois sa tronche hilare. Parfois je le hais, quand je rame ; parfois je trinque avec lui et je traque le bout de shit perdu sur mon bureau et que j’aurais aimé partager avec lui, tout en rêvant de soleil et de courses de chevaux.
En vrai ce n’est pas juste une photo, je veux dire, ce n’est pas une simple photo : c’est une invitation à imaginer des histoires et à les transcrire par des mots, sans en faire trop, c’est un encouragement ou un coup de pied au cul, ça dépend des moments. Parfois, je n’écris rien pendant des jours et il reste là, à rire, avec son rouge à la main, et je pense qu’il se fout de moi. Alors, comme Cavanna, je lui dis « Ta gueule Bukowski ! Je vais te mettre mon poing dans la gueule !» et je lui tourne le dos pendant qu’il me répond : « Don’t try… »
La cause et l'effet
Les meilleurs meurent souvent de leur propre main
juste pour se libérer
et ceux qui restent
ne comprennent jamais vraiment
pourquoi
on voudrait
se libérer
d'eux
Poème extrait du recueil "Le ragoût du septuagénaire (1990)"
un hommage magnifique qui sort du coeur et touche le mien...
· Il y a plus de 12 ans ·bravo et merci Jean-Louis!
Karine Géhin
Un hommage plein de coeur, on sent que le sujet et le bonhomme te sont chers... merci de nous faire partager un petit morceau de cette relation, qui se tisse de mots et d'émotions.
· Il y a plus de 12 ans ·junon
YEAHHHH !!!
· Il y a plus de 12 ans ·Ben, ça faisait longtemps que je n'avais pas entendu si bel hommage rendu à ce vieux Buck...
Je connaissais cette histoire de référence à Fante (parce que je suis un lecteur indéfiniment addict à cet auteur, le premier qui m'ait tiré des larmes de bonheur à sa lecture !!!) et je connaissais aussi la passion de Buko pour les champs de courses, mais j'ai eu plaisir à les retrouver ici.
Merci pour ce moment de lecture hommage, c'était chouette !!
jones
Merci à tous les deux !
· Il y a plus de 12 ans ·Jean Louis Michel
Très beau texte Jean-Louis et superbe hommage , et aussi une parfaite illustration des liens anonymes qui se tissent entre un écrivain et son lecteur, liens parfois tellement forts qu'ils en deviennent intimes, mais à sens unique. Ne tire pas ta révérence pour autant! j'attends avec impatience d'autres textes de toi ;-)
· Il y a plus de 12 ans ·Elsa Saint Hilaire