Cafard

petisaintleu

Je ne suis pas un extraverti. Mes ancêtres comblèrent modestement les failles écologiques. Je grouille au milieu du silence nocturne, je sors des cavités chaudes et humides, je me gourmande des monceaux de miettes accumulées et délaissées. Vous m'exécrez, bien que frères depuis longtemps. Quittant les dessous pierreux afin de vous accompagner, je me terrai, parfois assisté de grillons, derrière les fourneaux d'un boulanger. J'annexai vos très modernes et superflues avancées technologiques. Même la culture ne m'a pas échappé, Kafka m'honorant de sa métamorphose anthropomorphique.

Vous, les humains, vous me peinez. Qu'advient-il des bonnes paroles de votre Christ rédempteur qui vous prie de protéger les faibles, les humbles et les moches ? Je dois malheureusement vous prophétiser que saint Jean annonça votre perte. De mon côté, je persisterai. Vous oubliez que j'ai résisté à l'apocalypse de vos bombes atomiques et aux radiations. Dieu me garde sous le coude. L'heure venue, il me demandera de nettoyer les charniers. Souhaite-t-il m'inviter à récurer les reliefs de vos atrocités ? Il accomplira son dessein d'un peuple aimant et aimé, obéissant et reconnaissant.

Je sais ce qui vous dérange. Je ne parle pas des dommages collatéraux, les bactéries, les virus, les champignons ou les parasites déposés par le biais de ma cuticule ou de mes excréments. J'apprécie particulièrement vos mutations alimentaires et vos addictions sucrées. Encore un point qui nous rapproche. J'adore, tout autant que vous, l'amidon, la graisse et la viande. J'ai mes zones d'ombre que vous avez exploitées. Vous m'avez incarné en boucs émissaires, escortant les martyrs vers leur holocauste, profitant de l'enfer des fours crématoires. C'est amusant, l'espèce communément répandue au sein des foyers s'appelle la blatte germanique.

Voulez-vous la vérité ? Je reflète vos cœurs asséchés et votre évolution ratée. J'assume mon asocialité et mon défaut d'instinct maternel. Lorsque la famine s'abat, je deviens cannibale. Mon objectif, je ne le cache pas derrière des faux-semblants grégaires d'un ordre établi. Oui, comme vous, j'accapare chaque interstice.

Patrick Grachet souriait. En cinq années, il accéda au statut de chef de département. Il se donnait deux ans avant qu'on l'intronise à la direction. Son succès, il ne le devait ni à ses compétences, ni à son intelligence, et nullement à son ouverture d'esprit. Il possédait une qualité : il ignorait l'empathie. Sans scrupule, il s'appropria le pouvoir en pulvérisant la concurrence de manière méthodique. Il impressionnait, fort de ses cent-trente kilos et de sa gouaille de garçon boucher. Il écrasait aisément ceux qui se rebellaient de tout le poids de son vice inné.

Il n'hésita pas à dénoncer un collègue qui négligea de passer à la caisse pour régler une boîte de raviolis. Seuls les résultats importaient. Chef de rayon, il se précipitait sur le responsable régional occupé à la tournée des popotes. Il réfléchissait à ses actions perfides, déchargeant sur ses subalternes les basses tâches, se gloussant de leur haine larvée. Pour les calmer, rien de plus facile. Quatre à cinq semaines de chantage ou de vexation suffisaient à aider un employé récalcitrant à donner une nouvelle orientation à sa carrière.

Cela faisait deux ans que Laurent Casable subissait sa pression. Il ne supporta pas les humiliations racistes et constantes envers Adel, la bonté personnifiée et monta au créneau. Au bout de deux mois, le temps de constituer un dossier, il pointait à Pôle emploi.

Le coup de sang ne se décrète pas. Un jour, il tomba inopinément sur Grachet qui partit se requinquer une quinzaine à l'hôpital.

Laurent croupit désormais tel un rat au fond d'un cachot à compter les cancrelats.

  • Je me doutais bien que tu allais nous amener au ras des pâquerettes humaines, avec ce texte !

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Mycjq3xv

    Christian

  • Ben en fait...je suis pas sûre de moins les détester maintenant. C'est peut-être même encore pire ! Mais très beau texte quand même ;))

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Ananas

    carouille

  • Froid dans le dos, le cafard et l'individu sans scrupules. Bien la fin qui boucle la boucle. Tu soulèves des pierres pour voir les dessous, les limites de notre tolérance.
    "Je suis le reflet de vos cœurs asséchés et de votre évolution ratée." Terrible. L'impunité du cafard Grachet qui se croit tout permis, et qui échappe à tout, même à la cellule.

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Mai2017 223

    fionavanessa

  • Que dire? une fois de plus je suis scotchée ..

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Ade wlw  7x7

    ade

  • Le hasard n'existe pas dit-on et tant que Laurent Casable peut encore manifester sa rage, je n'aurai pas le cafard ;-)

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Printemps   2011   n%c2%b0 n%c2%b0 016 n b

    akhesa

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