Café philo

Hervé Lénervé

La philosophie est une gymnastique qui muscle la cervelle et avec des câpres et du citron, c’est pas bon, hein !

On me reproche souvent de négliger les descriptions aux profits des dialogues. Donc je plante le décor.

Un petit troquet dans un bled perdu quelconque, mais quelque part quand même. Entrons !

Des guirlandes décorées aux mouches pendent du plafond, par-ci, par-là, parcimonieusement pardi ! Attention, tu en as une dans les cheveux. Faut pas me saloper tout mon décor, merde ! Un bar douteux qui ne doute de rien dans son style oublié. Un comptoir crasseux qui ne compte plus ses coups de crasses entre habitués.

Les habitués, des philosophes poivrots ou des poivrots philosophes au choix, sont matinaux et tardifs, réglés sur le fuseau horaire ouverture-fermeture. Derrière le comptoir une tête, il est tout petit le patron. Il n'y a pas foule ce jour, mais il n'y a jamais foule ici, désertification des campagnes pour la desservir. « Une autre patron ! »

Il y a Marcel, sale gueule, malgré sa belle couleur rougeaude. Il y a Roger, pas mieux et c'est tout ! Et c'est tout pour le décor aussi, minimaliste, certes ! Mais c'est l'intention qui compte.

-         Putain ! Dans quel état, tu t'es encore mis, un vrai porc. T'as plein de cambouis sur ton tricot de corps, Marcel !

-         Fais pas chier, Roger ! Tu n'es guère mieux! On dirait une vieille qui a glissé dans une bouse.

-         Tiens, ça me fait penser que la mamie a cramée hier soir, trop près du chaudron.

-         J'espère qu'elle ne voulait pas se faire enterrer d'un seul tenant.

-         Si ! Mais de toute façon, ne te met pas martel en tête, Marcel ! On l'aurait mise dans l'incinérateur de la déchèterie, c'est moins cher !

-         Pour sûr et le résultat est le même. T'en pense quoi, de la mort, toi, au juste, en gros, comme ça ? Gros Roger !

-         Que du mal ! La mort est stupide, elle arrive toujours  trop tard, comme la cavalerie. Elle arrive après la vie, alors qu'il n'y a plus rien à faire dans les gestes de premiers secours pour sauver les scalpés.

-         Et la mort subite du nourrisson, alors ?

-         Ça, c'est une invention parentale pour masquer leur infanticide.

-         N'importe quoi, l'autre ! Puis on dit enfanticide.

-         Comment cela n'importe quoi ? Mais qui, qui, mon kiki, résisterait à des braillements incessants du matin au soir pour demander assistance ? Ce n'est pas la faute des parents si les petits d'hommes ne sont pas adaptés à la situation.

-         Tu vas encore me sortir tes modèles naturels où le girafon n'émet aucun son pour éviter le lion, nom de nom !

-         Si ! C'est l'absence de prédateurs qui a engendré cette espèce d'inadaptés à la survie. Le nourrisson est un con, oui de oui !

-         Donc, les parents se substituent aux tueurs pour tuer leur propre progéniture et tu parles d'ordre de la Nature pour perpétuer l'espèce. Quelle tuerie !

-         Bien sûr ! Depuis que l'être humain est un être dénaturé, qu'il agit avec son libre arbitre pour jouer sa vie, il est juge et parti faire son tiercé. Il faut donc bien inventer un mal, pour ne pas mettre tous les parents en prison dans le même panier.

-         Mais, la majorité des couples ne tue pas leur enfant.

-         Parce qu'ils sont maladroits ou lâches, autrement si !   

-         Bon, le narrateur, il peut écrire le décor de fin, là, je commence à fatiguer de la cervelle aux câpres. Capri, c'est fini !

Bon, décors de fin, alors :

La tête du patron, tout petit, sort de derrière son comptoir, elle se déplie et se met debout, c'est un véritable géant de deux mètres cinquante, le patron, pas la tête, voyons ! Le troquet ressemble à un troquet de poupées avec lequel les fillettes jouent à la maîtresse-femme derrière la caisse.

Fin de décor de fin et fais attention aux guirlandes de mouches en sortant, espèce de moucharabiehs !

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