Cahiers d'automne et petits poèmes à Rose

hel

deuxième volée

La nuit, la maison bruisse.

Je n'ai pas tout à fait peur : mille ciels changeants se disputent ma lucarne. Il ne fait plus jamais tout à fait nuit, et la nuit n'est plus jamais tout à fait noire, plutôt d'un certain bleuté où s'invite parfois la trop grande lumière de la lune.

Je tourne de vieilles pages qui sont tout et rien, et tellement à la fois. J'écris quelques mots à peu près illisibles, d'à peu près n'importe quoi, que je rature très vite, ou pire, que j'abandonne.

Depuis quelque temps, à peine la parole s'ébroue que le silence vient la recouvrir. Pour tenter de le chasser, je parle à Rose, lui écris des petits mots, répands ses vieux clichés aux quatre coins. Ses colifichets, d'anciens soleils urbains et quelques postures gracieuses où danse son sourire.

Il y a un peu d'elle dans chaque chose qui craque.

Les murs, eux aussi, ont une histoire que je cerne dans l'à-peu-près, mais que je ne connais pas de manière exacte. Faut-il savoir absolument ?

***

O. ne m'a plus écrit, presque plus.

Nous avions parlé de nous voir, de passer quelques jours ensemble pendant l'été, si elle se motivait à aller voir son père qui habite près de Nice. Juste pour la forme. Elle a dû renoncer, je lui ai souhaité en tout cas en avoir trouvé la force, car ces étés-là, où elle exhume son ombre du tiroir, toujours l'abîment un peu.

A son retour de Bretagne, elle m'a demandé des nouvelles, des photos, de lui écrire, lui raconter, la route dont elle sait qu'elle me terrorise, et puis tout le reste, vite.

Elle n'aime pas plus le téléphone que les au revoir. Tous les jours j'y ai pensé, j'ai pris les photos, des belles, des lumineuses, j'ai joué mentalement la conversation, tout ce que je lui raconterais si elle m'attendait au café du coin de la rue comme avant, mais sans y arriver.

Je manquais de temps, je n'avais pas la tête à, des petits soucis qui trainaient dont je ne venais pas à bout, toujours de bonnes excuses. Peut-être autre chose sur lequel je n'arrive toujours pas à mettre de mots, ou à m'expliquer.

Un vendredi, j'ai eu un sursaut. La culpabilité, la peur d'abîmer ce qu'il y a entre nous, l'envie d'entendre sa voix, les rires dans sa voix, imaginer ses yeux qui sourient, tout ça et le reste. J'ai appelé. Elle n'a pas décroché. Le soir elle m'a écrit être occupée qu'elle n'avait pas pu me répondre, et m'appelait le week-end. Elle ne l'a pas fait et je ne lui en veux pas. Je sais exactement. On continue depuis à se rater.

J'y pense encore, à lui raconter un peu tout et rien, ne pas perdre le contact. Je n'y arrive pas, et c'est pareil pour presque tout et n'importe qui. J'ai lu quelques mots d'Albertine Sarrazin dans l'Astragale, qui m'ont semblé proche de ça :

« Je n'essaie pas d'intéresser les gens : après quelques avances mal reçues ou interprétées de travers, je me renfrogne dans l'indifférence où eux-mêmes me laissent. Non par mépris, mais parce que je ne sais pas forcer les oreilles et les cœurs : il faut qu'on vienne à moi. »

C'est un peu ça, sans l'être tout à fait pour O. quand c'est si vrai avec des tas d'autres personnes. Les mots lus me trottent, l'histoire, sans doute aussi à cause d'Estelle, je superpose. Elle non plus je n'y arrive pas, lui écrire, lui dire n'importe quoi dont elle semble avoir besoin plus que quiconque. Même pas pour lui envoyer ma nouvelle adresse.

Je reçois chaque semaine une lettre qui s'impatiente plus que la précédente par le suivi de courrier. Pour ne pas qu'elle pense que je lui ai tourné le dos, j'envoie des colis à la place des mots. Du savon, un ou deux paquets de cigarettes, des noix de cajou, du chocolat, des bidules de fille, des petits objets rigolos qui ne servent à rien, mais que je sais qu'elle affectionne, ça fera des couleurs que je me dis, un sourire d'une minute avec un peu de chance. Je fais dans la lâcheté jolie et attentionnée. Puis je me dis encore « samedi, sans faute ! »  Et au fond déjà je redoute le lundi.

 

  • J'aime beaucoup la délicatesse des sentiments, les mots d'une simplicité qui donnent de l'authenticité à ces cahiers…

    · Il y a environ 8 ans ·
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    nyckie-alause

    • ravie que tu le perçoives ainsi :)

      · Il y a environ 8 ans ·
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      hel

  • un bien joli texte ; les autres , on les préfère parfois absents...

    · Il y a environ 8 ans ·
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    Susanne Derève

    • Merci Suzanne, les autres, je ne sais pas, et puis il y a les autres et les autres, mais parfois peut-être oui

      · Il y a environ 8 ans ·
      Avat

      hel

  • J'aime ta plume et ton monde intérieur ... toujours un plaisir de te lire et tu es revenue rapidement :) j'adore te taquiner !!

    · Il y a environ 8 ans ·
    W

    marielesmots

    • Ah bon ? ^^
      hé hé, merci Marie.

      · Il y a environ 8 ans ·
      Avat

      hel

  • J'aime beaucoup et j'ai lu "l'astragale " il y a très, très longtemps mais ce livre m'avait marqué.
    Les autres, je vais vers eux avec le sourire, mais s'ils ne veulent pas d'un peu d'amitié, je laisse tomber...

    · Il y a environ 8 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Merci Louve, oui il y a les petits poèmes, les autres livres, et puis moi Albertine Sarrazin, son parcours, ses ombres et le reste, tout ce quelque chose de captivant, du franc parlé, à la finesse parfois, souvent, les contrastes me passionnent, et toute l'ambiguïté qui en découle.
      Un sourire c'est déjà énorme :)

      · Il y a environ 8 ans ·
      Avat

      hel

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