Cahiers d'automne et petits poèmes à Rose

hel

volent, volent

J'ai emporté avec moi des cartons que je trimballe sans jamais les avoir ouverts. D'une cave à une autre. Des années de poussières dessus, et peut-être même dedans. Quelque chose m'empêche de les jeter, pourtant je suis incapable de n'en rien faire. Jeter, bruler, semer, donner, rien. Je ne sais pas. J'en ai ouvert un dimanche, par inadvertance, en cherchant les manteaux d'hiver. J'étais distraite, la trouille de la cave, en forme de garage et ouverte sur la rue pourtant, mais profonde, noire dans le fond qui respire un vieux passé, des histoires de moulin. Un escalier d'un autre siècle, taillé dans la roche se dessine encore dans le fond, j'ai cette sensation quand je le regarde qu'une paire de godasse va apparaitre. Comme une peur d'enfance, celle des monstres tapis et des images qu'on se fabrique, la paire de godasse me court après. J'ai reconnu quelque chose et très vite tout laissé en plan. Cette peur-là n'a pas de visage, je ne sais même pas si c'est une peur. Peut-être de l'incompréhension juste, ou d'y reconnaitre une vérité trop concrète.

J'ai marché sous le vent et le soleil l'après-midi comme pour chasser les poussières, le frisson qui me glaçait depuis le matin. J'ai acheté des livres de trois sous, tout emballés, à l'aveugle sans pouvoir rien feuilleter, à la couverture, juste comme ça. Ils somnolent encore dans leur sac de papier. Je ne sais même plus lesquels. Le monsieur du marché m'a fait le pitch de l'un, je n'écoutais rien, j'avais le regard vissé sur des stands colorés de bric et de brocs et de toiles tendues plus loin, je l'ai coupé pour lui demander de quoi il s'agissait. Il a haussé les épaules et accompagné le geste d'un regard mauvais, des bohémiens qu'il a répondu comme si tout était dans le mot et lui salissait la langue.

Il y avait de très beaux objets en fer forgé, j'ai hésité, tourné trois fois autour d'une grande cage à oiseaux. Je n'aurais pas mis d'oiseaux dedans, jamais, j'aurais fait courir du lierre entre les barreaux, et niché un gros saintpaulia dans le milieu, aux feuilles glacées, givrées, semblables à l'ornement. Ou alors je lui aurais accroché des ballons rouges, pour la laisser flotter, je l'aurais remplie de fleurs de papiers, ou de fruits que je garde à l'air libre. J'ai tourné, tourné encore, et puis non. Le prix était modeste. Mais je ne sais pas, il y a des détails absurdes qui me retiennent l'élan parfois. La symbolique peut-être.

Et en même temps, il y a des objets qui comme ça m'attirent irrémédiablement, qui n'ont pas d'utilité réelle et me semblent à la fois indispensables à mon monde, celui qui tourne à l'intérieur et  qui me parait parfois plus concret, plus profond, que tout autre chose.

Un dimanche de décembre peut-être, je retournerais tourner autour de la cage, c'est ce que j'ai toujours fait, tourner autour de la cage. Tourner autour de veilles images, comme si à force d'approche, une compréhension plus grande allait naitre. Un chemin que je n'ai pas encore trouvé.

***


Parfois me vient l'angoisse de l'œil dans la lucarne et de ses mille langues. Ses langues surtout, leur manière de fourcher qui impriment leur battement, leur balai, au creux de mon tympan. Je déduis trop et trop bien des silences, des choses non dites et même quand je me trompe, il y a dans mes erreurs une telle conviction, qu'au final elles me semblent toujours se bâtir sur un fond de vérité.

Je me suis longtemps méfiée des sourires trop évidents, des mots trop évidents, et de l'œil derrière, et je sais pourtant, dans le même temps, la vérité et l'entièreté de certains.

L'œil est aussi ce battement, vibrant comme une obsession, à tout vouloir saisir, fixer, à rechercher une vérité inatteignable.

Si je sais mes fables, je continue, sans pouvoir m'en empêcher, de les poursuivre.

L'œil, enfin, est aussi cette cage parfois, dont  j'apprends à me défaire. Mais parce qu'elle a longtemps pesé, il me faudra peut-être toute une vie encore pour y arriver.

***

Je voudrais une langue forte, une qui se faufilerait par le nombril, creuserait le ventre, y ferait son trou, pour y souffler dans les creux et les vides son haleine chaude.

Je ne voudrais pas le mot pour le mot, mais  les mots entiers. Je voudrais le rythme, la grande musique des choses. L'esthétique mot. Le mot qu'on regimbe, le mot qu'on égratigne et tourne de toutes les manières possibles. Je voudrai le sens, le beau, le limpide, l'essentiel, l'authentique, le déjanté.

Je voudrais mentir et dire toutes sortes de vérités.

Je voudrais enfanter une langue, la langue d'une folie furieuse,  d'une folie féroce. Une langue belle. Une langue sale. Une langue retenue. Une langue criée, braillée, d'une oralité insoutenable qui fasse bisquer l'œil.

Une langue chantée, fêtée.

Je ne voudrais pas que la langue et les mots. Je voudrais les images, les odeurs, les parfums, les grands orages, les bruits du dehors et ceux du dedans et les silences de la nuit pour les recouvrir.

Je voudrais l'histoire de toutes les histoires possibles et autant de paysage, de détails, d'angles morts et de recoins.

Je voudrais les sables, les marées, les grands arbres, les déserts, les terres sèches et craquelées, les herbes hautes, les herbes rases, les roches immenses, les trous et les crevasses, les ponts, les aqueducs, les édifices, les routes, les culs de sac…. Je voudrais tout ce qui est. Tout ce qui grouille, marche, rampe et vole. Tout ce qui tangue, pèse, ploie, s'éparpille, s'écrase, se faufile…

Toutes les peaux, tous les corps, toutes les voix, tous les personnages qui ne seraient pas des personnages, mais qui seraient des hommes et des femmes grandioses d'infinis rien, aux rires contagieux et aux violences muettes.

Je voudrais une langue qui se faufile par l'œil et la bouche, une langue qu'on ne peut s'empêcher d'articuler, une langue qu'on éprouve, qu'on condamne, mais qui persisterait malgré tout.

Et toujours je suis au commencement et jamais je n'achève rien, parce que rien n'est assez. Et tout n'est qu'un grand éclat de rire. Une fuite. L'œil dans la lucarne et ses mille langues. La cage et ses mille oiseaux. L'ombre de Rose.

  • Je suis fan !

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Avatar

    nyckie-alause

  • trop beau comme d'habitude. Quand je te lis je me sens rassasiée. C'est bon, moi qui sent toujours le vide dans mon estomac. Tu te nourris de mots et tu les offres en collation. Merci.

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Bbjeune021redimensionne

    elisabetha

    • Tu ne pouvais pas me faire plus plaisir, Elisabetha.

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Avat

      hel

  • Je ne trouve pas les mots, c'est beau et tourmenté à souhait ...avec cette quête permanente ...tu es vraiment douée pour exprimer les ressentiments et la complexité humaine ... Je me retrouve dans certaines analyses :) Une phrase m'a fait sourire, et c'est juste pour te taquiner ... je n'achève rien !! merci Hel

    · Il y a plus de 7 ans ·
    W

    marielesmots

    • Je suis contente que ça te plaise Marie, et tu as raison de sourire, c'est vrai, et c'est bien parce que je veux tout qu'aucun texte ne me semble rempli, et que je me lasse et veux autre chose, mieux, plus fort, et çi et ça :)

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Avat

      hel

  • tout est là ...magnifique

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Photo

    Susanne Derève

    • Merci Suzannne, ça me pousse des ailes ces petits mots pour continuer

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Avat

      hel

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