Camille

Tête De Plume


« Pars immédiatement à l'aéroport. Présente-toi au comptoir des consignes et dis que tu viens récupérer un bagage à mon nom. Apporte ta carte d'identité. Présente le numéro de référence inscrit à l'endos de ce message. Ne parle à personne. Ne te retourne pas. Fonce. C. »


Je scrute le mot écrit de la main de Camille. Comment cette note est arrivée sur mon frigo ce matin, je n'en ai aucune idée. Le cerveau englué dans le caramel après une courte nuit, je suis dans l'incompréhension totale.

J'ai rencontré Camille il y a environ un an, pendant un cours de dessin à Paris. Elle était le modèle, j'étais celle qui la dessinait. Une complicité agréable s'est vite installée entre nous. Mais très vite, Camille est repartie. Loin. A Montréal. 5 506,84 km de distance.

Un mauvais pressentiment s'empare de moi. Je téléphone au bureau et laisse un message expliquant que je suis malade. Je tousse, puis raccroche. J'enfile ma veste et referme la porte de mon appartement avec une boule au ventre.

Rue. Klaxon. Métro. Bruit. Foule. Odeurs. Bousculades. Quai bondé. Attente. RER B. Touristes. Banlieue. Graffitis. Voix. Aéroport Charles de Gaulle 2 - TGV. Arrêt.

Je suis les instructions laissées par Camille pour trouver le comptoir des consignes dans ce labyrinthe où je n'ai jamais mis les pieds. Je récupère un sac à dos. J'y trouve mon passeport, une tenue de rechange, un carnet à dessin et un crayon. Toutes ces affaires m'appartiennent. Au fond du sac, une enveloppe blanche.

« Ouvre-moi »

L'écriture de Camille. A l'intérieur, un billet d'avion pour Montréal. Départ à 13h05. Durée : 7h35. Vol AC871. Repas végétarien. Elle a vraiment pensé à tout. Il ne me reste que quinze minutes pour m'enregistrer et sauter dans cet avion. Je jette un œil à mon téléphone, espérant un texto de Camille. Je cherche les caméras autour de moi, prête à entendre un « surpriiiiise » surgir de nulle part. Mais non, ce n'est pas une blague. « Ne te retourne pas. Fonce. ». Je commence à penser qu'elle est peut-être en danger.

Mon voisin ronfle. Des flocons se sont cristallisés sur l'extérieur du hublot. En bas j'aperçois Montréal, cette île dont Camille m'a tant parlée. Le pilote amorce la descente.

Dans le hall des arrivées, des centaines de regards impatients me font face. Un enfant tient la ficelle d'un ballon rouge en suspension dans les airs. Un couple s'enlace. Une famille trépigne, caméra dans la main. Au loin, j'aperçois un panneau qui dépasse de la foule et sur lequel il est écrit :

« Suis-moi ».

Je me mets à courir pour rattraper la pancarte qui se déplace, certaine que c'est Camille qui la tient. Je slalome tant bien que mal dans la marée humaine, franchis les portes carrousel et suis saisie par le froid. Le panneau entre dans une voiture aux vitres noires. Dans un élan d'adrénaline je saute sur la banquette arrière. Aussitôt, le véhicule démarre. Le chauffeur m'adresse un signe de tête dans le rétroviseur. Mais aucune trace de Camille. Je l'inonde de question. En vain. L'homme reste muet et continue de rouler prudemment sous la neige qui tombe de plus en plus.

La voiture ralentit. Feu rouge. Je songe à ma situation et commence à paniquer. Et si cet homme m'avait kidnappée ? Je décide de m'échapper. La porte est fermée. Je me mets à cogner contre la fenêtre pour alerter les passants mais me souviens que les vitres sont teintées. C'est alors que l'homme me tend une petite boîte à bijou. A l'intérieur, une clef. Sur l'anneau, le chiffre 32. Une inscription est discrètement gravée sur la tige crantée.

« Utilise moi »

Quelques minutes plus tard, le moteur s'arrête. Le chauffeur contourne le véhicule et m'ouvre la portière.

- Nous devons repartir dans 45 minutes. Soyez à l'heure.

J'enfonce mes chaussures dans la neige et me retrouve face à l'entrée d'une petite maison à trois étages. Porte numéro 32. Je monte l'escalier enneigé et glisse la clef dans la serrure. Je pénètre dans un appartement coquet et chaleureux. Sur les murs du couloir, des photos de voyages, des visages inconnus, puis celui de Camille. Je suis chez elle. Ça sent bon. Un bain moussant entouré de petites bougies m'attend. Après sept heures d'avion, impossible d'y résister. J'y plonge. Sur une chaise à côté, un gros manteau d'hiver et une note.

« Porte moi »

Trente minutes plus tard, je reprends place sur la banquette arrière. J'ai hâte de retrouver Camille. Nous roulons pendant une heure et demi, franchissons la frontière américaine et six heures plus tard je me réveille en plein Times Square.

- Bienvenue à New-York Madame, s'exclame l'homme en me tendant mon sac à dos. Une bouteille d'eau dépasse d'une des poches latérales.

Minuscule je suis, au milieu de cette place grouillante de monde et cernée d'immeubles recouverts d'écrans qui flashent et de publicités aux néons multicolores. Soudain quelqu'un me bouscule, m'arrache mon sac et se fond dans la foule. Je pars à sa poursuite, ramasse la bouteille d'eau qui s'échappe de mon sac et perds rapidement sa trace. Dans cette confusion, je ne vois plus mon chauffeur. Me voici donc seule en plein cœur d'une ville comptant plus de huit millions d'habitants. Ma respiration s'accélère. Je sens la crise d'angoisse escalader mes tripes à toute vitesse. J'inspire profondément puis prends une gorgée d'eau. C'est alors que je découvre une inscription sur l'étiquette de la bouteille.

« Arrache-moi »

A l'endos, un plan de Manhattan parsemé de flèches et d'une croix finale. Je sens la colère monter en moi. Je me fais un sang d'encre pour Camille, me retrouve dans un avion sans aucune explication, me fais kidnapper par un homme qui me conduit pendant sept heures de route puis dépouiller par un voleur en plein Manhattan. Tout ça pour suivre un plan de chasse au trésor? Je n'ai plus mes papiers d'identité, plus d'argent. J'ai l'impression d'être une Alice coincée au pays des mauvais rêves. Je veux juste me réveiller et rentrer chez moi. Seul bien qu'il me reste, cette fichue bouteille d'eau. J'aperçois une phrase sur le côté de l'étiquette : « Tu peux aussi rentrer chez toi. Regarde dans la poche intérieure de ton manteau. Maintenant, c'est ta décision. C. ». Dans la poche en question, quelques dollars américains, mon passeport et un billet d'avion pour Paris. Un vent glacial me gifle, m'ordonnant de faire un choix rapidement. J'interpelle une passante et avec un accent franco-chewing-gum, lui demande de l'aide pour me repérer sur le plan. A chaque intersection j'ai l'impression de franchir un pas décisif dans ma vie. Je ne suis jamais autant sortie de ma zone de confort.

J'arrive au bout du chemin indiqué par le plan. Quartier de Midtown, entre la 42ème rue et Park Avenue. Face à moi, la Gare Grand Central. J'entre. Mon regard est aussitôt attiré vers le plafond du grand hall et ses constellations. Je songe à tous les films tournés ici quand une main tiède attrape la mienne. Je baisse la tête et découvre une vieille dame. Ses lèvres bougent en silence.

« Come with me »

Elle me tire sans un mot de plus dans les couloirs de la gare. Nous descendons des escaliers puis passons devant un restaurant, le Oyster. Nous continuons à nous enfoncer dans les galeries sombres pour nous arrêter plus loin, dans une pièce carrée aux voutes en céramique. La vieille femme m'attire dans un des quatre coins et me montre le sol. Une grande croix est dessinée à la craie, comme celle du plan. Elle me pousse dans l'angle des murs, jusqu'à temps que mon visage soit si proche des dalles que j'en sente leur fraicheur sur ma peau. Une inscription sculptée sur la paroi attire mon attention.

« Écoute-moi »

Je tends l'oreille, dubitative. Soudain je crois percevoir un murmure. Je ferme mes yeux pour mieux écouter. Des mots me sont chuchotés, si près que j'ai l'impression que la bouche qui les prononce est à un centimètre de mon visage. Je reconnais instantanément la voix féminine et réalise alors que nous sommes à ce fameux endroit secret dont Camille m'a souvent parlé. Là où les mots murmurés à un angle de la salle ne peuvent être entendus qu'à l'angle opposé, le son voyageant le long des parois voûtées. Je me retourne, le sourire aux lèvres.

Camille est de l'autre côté de la pièce, murmurant aux pierres lisses un doux :

« Épouse-moi »

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