Ce bruit
sophiea
- Je t'ai eue !!!
- Chuut… Ne crie pas !
Trop tard, notre mère surgit et nous giflent. Aussi vite arrivée, aussi vite repartie. Dans sa chambre, qu'elle ne quitte que pour aller téter, en douce, la bouteille de whisky planquée dans le placard de la cuisine, celui au-dessus du four. Celui qui fait « clac » quand elle l'ouvre et « clac » quand elle le referme. Ça fait beaucoup de « clac » dans nos vies…
Notre père ne sait pas. Rien.
Mon frère pleure. Je serre les poings. Impossible de jouer en silence quand on est gamin. Ma mère est repartie sur son lit et lit. Elle lit beaucoup. Des romans. La réalité, elle n'arrive pas à l'affronter.
Pourquoi n'avons-nous rien dit ? Moi en tout cas, moi la plus grande. Parce que confusément, je comprenais que ma mère était malheureuse et qu'elle avait besoin de ça. Je la croyais ainsi à cause de mon père. Ils se disputaient si souvent. J'ai appris plus tard que ses tourments dataient d'avant…
- Viens, on s'en fiche… on va jouer avec Ivan et Luciana.
J'en voulais à mon père de rendre ma mère triste et je la défendais toujours. Je faisais promettre à mon père de ne plus crier. Il s'excusait, tenait quelques jours et cela recommençait. L'inertie de ma mère l'exaspérait. Il ne voyait pas la dépression qui la possédait. Je la défendais, elle ne me remerciait pas. Jamais.
Je frappe à la porte de sa chambre, entre et préviens ma mère qui répond d'un grognement. Nous grimpons l'escalier en courant. On aimait aller chez nos voisins. C'était la grand-mère qui les gardait pendant que les parents travaillaient. Ils venaient d'Argentine. Ivan avait un an de moins que moi, Luciana deux ou trois ans de plus. Mon frère était plus jeune mais cela ne nous gênait pas. Et la grand-mère était toujours si gentille…
- Bonjour madame.
- Bonjour les enfants ! Luciana, Ivan, venez voir qui est là ! Entrez vite les enfants !
On a joué à cache-cache longuement. Je n'ai vu le temps passer. Soudain la grand-mère arrive, les sourcils froncés :
- Votre mère est là, vous l'avez beaucoup inquiétée, elle ne savait pas où vous étiez…
Mon frère se crispe et nous la rejoignons. Lui devant et moi derrière, désespérée… Je ne comprends pas. Je lui chuchote :
- On n'a rien fait de mal. T'inquiète pas.
Je sens que cela ne le rassure pas et j'imagine ma mère en train de nous appeler et de nous chercher, sans nous trouver. Comme elle a dû avoir peur…
Ma mère remercie la grand-mère et nous descendons l'escalier.
- Mais maman, je suis venue te le dire dans ta chambre…
J'ai besoin qu'elle me croie. Je ne suis pas méchante, je ne veux pas lui faire de mal. Pas moi. Ma mère ne se souvient pas. J'insiste :
- Souviens-toi. Tu étais allongée sur ton lit et tu as dit oui !
- …
- On voulait pas te faire peur maman. Vraiment !
Dans cette phrase j'ai mis tout l'amour que j'avais pour elle, l'a-t-elle ressenti ?
Elle claque la porte d'entrée. Nous rentrons la tête dans les épaules, prêts à encaisser mais elle nous dit juste :
- J'ai dû te répondre en dormant.
Et elle ne nous en a plus jamais reparlé.
Vous faites preuve de beaucoup de résilience. Bravo. Ce texte fait écho à un autre intitulé ''Nos ecchymoses''. Par dérision, car elle sauve, je vous dis: bienvenue au club.
· Il y a plus de 3 ans ·enzogrimaldi7
belle écriture ! un ton naturel ! Bravo !
· Il y a plus de 10 ans ·psycose
Merciii
· Il y a plus de 10 ans ·sophiea
Tes mots sonnent juste, claquent même, aussi fort que "ce bruit" dans ta mémoire... Je crois savoir pourquoi tu écris cela aujourd'hui, et tu m'en vois désolé. J'ignore si ce texte aura un miroir... poignant.
· Il y a plus de 10 ans ·mathieub
Pas besoin de miroir je crois... Merci Mathieu
· Il y a plus de 10 ans ·sophiea
Emouvant et douloureux !!!
· Il y a plus de 10 ans ·marielesmots