Célestin

petisaintleu

Il y a onze ans, le mariage et la paternité était du domaine du probable comme du premier homme qui fera le premier pas sur Alpha du Centaure. Les gosses, ça pouvait être sympa, en particulier chez les autres. Bien que mon niveau de maturité soit à peu près celui d'un adolescent de quinze ans, j'avais oublié les codes de la petite enfance. Quant à l'hymen, c'était une contrainte due aux liens sacrés et j'en connaissais les conséquences, à savoir plus ou moins couper les ponts de mes sorties du samedi soir à refaire le monde dans un bistro avec les copains.

Il y a dix ans, je me suis marié. Et il y a sept ans et quelques mois, tu es arrivé.

Je m'étais pourtant conditionné ou on m'avait conditionné. Non pas que j'étais particulièrement contre ta venue. Je la subissais d'une neutralité bienveillante, sans excès. Les quelques rares amis qui avaient passé le cap de la paternité m'avaient pourtant prévenu : « Mais si, tu verras, ça va changer ta vie et tu en seras tout chose de ton gamin ». J'étais dubitatif.

Pour le prénom, je m'étais coltiné les sites spécialisés en la matière. J'en avais privilégié un qui m'avait permis des filtres de recherche : prénoms très rares, français, etc. J'en étais donc arrivé à une trentaine que je soumettais à Karen pour te choisir, Célestin. Un ami qui connaît mon goût pour la provocation pensait que ce n'était pas neutre « Vichy, Vichy Célestin ; c'est Pétain ». Hé non, je le trouvais tout simplement joli et gentiment désuet.

Je dois admettre que les premiers mois, les premiers trente-six mois, je t'ai un peu subi. Pas phallocrate pour deux sous, je dois avouer que déléguer la trilogie caca-gaga-dodo m'a assez bien convenu. Il est vrai que tu me le rendais bien. Tu m'ignorais. Je ne m'en formalisais pas, je mettais ça sur le dos de la relation fusionnelle mère-fils.

Puis, par le biais du langage, tu m'as apprivoisé. Bien que nous ayons dû t'accompagner les premiers temps chez l'orthophoniste. Elle nous avait mis un savon après lui avoir expliqué que Karen te parlait en français, en anglais, en cebuano et en tagalog, ce dernier incluant beaucoup de mots espagnols; le tout, dans une seule phrase.

Une nouvelle ère allait s'ouvrir. Je suis alors devenu ton confident. Il est vrai qu'avec ton entrée à l'école maternelle et la découverte de la vie en société, tu découvrais les affres de tes petits camarades qui avaient refusé de te prêter leur toupie Beyblade. Ton vocabulaire y gagnait en consistance.

J'étais également devenu ton compagnon de jeu. Je pense que nous avons regardé les Barbapapa douze mille cinq cents fois. Je connais chaque recoin de notre très spacieux quatre-vingt mètres carrés et de ses cachettes possibles. Tu n'avais aucune pitié à te jeter sur moi quand je rentrai du travail par un très buzz-l'eclairien « Vers l'infini et au-delà ».

Désormais, nous adorons aller nous balader dans Paris, main dans la main. Par de fréquentes visites au Louvre, je ne veux pas faire de toi un singe savant. Je ne veux que te donner le goût du critique et de l'esthétique.

Tu n'as que sept ans. Il nous reste encore du temps pour bien d'autres découvertes. Il y a trois semaines, tu m'as avoué avoir ta première amoureuse. Tu grandis mais tu ne changes pas. Tu es le plus mignon des bonhommes que je connaisse.

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