Cerf-volant.

flolacanau

petite envolée...


À l'époque le terme n'était pas dans le vent. Internet n'existait pas encore, Les milliers de sites de développement personnel, non plus. Je me trouvais sur cette plage fouettée par les bourrasques, couvert par un temps gris et je déroulais les fils de mon cerf-volant . Il luttait en furieux vrombissements, pareil à un poisson au bout de la ligne et je tentais de le maintenir en l'air, le plus haut possible les bras crispés par l'effort. Ce cerf-volant, je l'avais construit de mes mains, sans être certain de son équilibre, de sa résistance, de sa prise au vent. J'avais chauffé le bambou pour lui imposer une courbe avant de le refroidir dans l'eau . J'avais soigné les fixations, la tension de la toile. C'était ma chose qui prenait goût à la liberté et témoignait d'un désir de hauteur absolue. À l'autre bout de la laisse, je réprimais ses ardeurs, tentais d'imposer une direction et mon esprit tout entier était centré sur cet asservissement. Peu à peu, j'oubliai tout alentour, le froid, le temps, le plus infime parasite qui fourmillait habituellement sous mon crâne distrait. J'étais ailleurs, absorbé par cet oiseau furieux au point de ne faire qu'un avec lui. Était,-ce moi qui le retenais ou lui qui m'envolait ? Ce fil ténu, tendu au point de rupture avait la réponse à cette question que je ne me posais pas, alors. J'étais hors du monde, absent, léger, insignifiant, un embrun, un goût de sel sur la lèvre. Plus d'organes, plus de sang, plus d'enveloppe, je savourais de n'être rien, je me repaissais de cette inutilité.

Des rayons finirent par percer le ciel, vous savez, ce genre de vision d'une beauté absolue qui impressionnent au point d'ancrer chez certains l'idée d'une présence divine. Mon cerf-volant s'affranchissait des barreaux de lumière, aucun carcan n'avait raison de sa folle aspiration à la liberté. J'appris plus tard qu'une coutume chinoise voulait que les amateurs de cerfs-volant passent une année entière à concevoir leur objet pour l'admirer un jour dans le ciel et rompre le lien qui les unissaient à lui. Je n'en avais pas été capable sur le moment, même si j'avais senti que le geste juste était là, comme on laisse le poisson qui se bat reprendre sa liberté. Néanmoins, j'avais fait l'expérience d'un « lâcher prise » total et paradoxal en tirant sur les liens. Cette expérience quasi hypnotique me subjugua. Je ne savais pas lui donner un nom, comme je l'ai dit à l'introduction de ce texte, ce n'était pas dans le vent… mais moi j'y étais.

  • Très troublant ce texte où le créateur ne fait plus qu'un avec sa création, pour mieux s'oublier et s'affranchir des contraintes... au moins momentanément

    · Il y a plus de 8 ans ·
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    miss0

    • ravi de transmettre ce trouble :)

      · Il y a plus de 8 ans ·
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      flolacanau

    • C'est l'expérimentation d'une "fusion" que l'on aime ressentir

      · Il y a plus de 8 ans ·
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      miss0

  • Subjuguée par cette émouvante corde à monarque ;-)))

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Loin couleur

    julia-rolin

    • merci, je papillonne du regard :)

      · Il y a plus de 8 ans ·
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      flolacanau

  • Très beau texte Flo, poétique cette envolée.... et ce "lâcher prise" sans lâcher le lien.... Bravo ;-)

    · Il y a plus de 8 ans ·
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    Maud Garnier

    • oui, c'est l'idée qui m'a donné envie de coucher ce souvenir. merci !

      · Il y a plus de 8 ans ·
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      flolacanau

  • voilà une bien belle envolée avec un zeste de métaphores bienvenu pour tempérer le lyrisme ;-)

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Jef portrait

    Jean François Guet

    • merci l'ami. Vais en profiter pour aller cueillir tes textes

      · Il y a plus de 8 ans ·
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      flolacanau

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