C'est celui qui le dit qui l'est

ysabelle

Avez-vous déjà observé la surface mousseuse de votre café lorsqu’il coule dans la tasse chaque matin ? Moi, je le fais.
Et vous savez quoi ? Il me rit au nez ! Parfaitement ! Il me regarde de ses yeux globuleux, un sourire en coin, semblant me dire : « Alors ? Encore une dure journée qui s’annonce ? »
Mon café se moque de moi !
Tout ce que je lui demande c’est de me donner un petit coup de fouet pour attaquer le boulot et lui…lui !
Le téléphone sonne. Pas le temps de lui dire ce que je pense ! Quelques dossiers à traiter et les minutes passent.
Tu es tout froid maintenant ! Imbuvable ! Comment veux-tu que nous continuions comme ça !
C’est fini ! Oui, tu l’as voulu, c’est terminé ! It’s over !

Il sait très bien que ma frustration sera de courte durée et que dans deux heures à peine, je ferai à nouveau appel à lui, qu’il pourra se permettre de me brûler la langue puis de me faire faire la grimace lorsqu’il sera amer et tiède.
Quelle histoire !

A ses côtés, la bouteille d’eau, limpide et sibylline. Elle se laisse descendre sans un mot, reflète juste les murs mais se permet de m’interrompre régulièrement. Elle est stoïque ma bouteille, pas vraiment compagne de labeur. Elle m’aide juste à effacer le souvenir acre de son voisin le café et à remplir mon estomac en attendant midi. Constante. Pas même à bulles.

Le téléphone sonne encore.
Vous avez un message.
Tiens, c’est Rodolphe. Mon collègue du cinquième. Que me veut-il de si bon matin ?
Il aimerait que je passe dans son bureau. Ce sera pour plus tard. J’ai des statistiques à terminer.


J’éprouve quelques difficultés à me concentrer. Le ciel à tendance à s’obscurcir. Je le vois par la fenêtre. De grandes vitres fumées qui couvrent toutes la surface du mur extérieur.
Le vent se lève aussi. Il fait vibrer les chambranles. Quelques mouettes, quelques pigeons qui se font bousculer par les rafales de plus en plus violentes. Les hirondelles restent à l’abri. Une à une, goutte à goutte, de plus en plus fort, jusqu’au fracas sur les toits. Mélange d’eau et de glace. Première giboulée de l’année.

Le téléphone sonne. Je n’arrive même pas à entendre mon interlocuteur.

Midi arrive. Il fallait s’en douter. Il pleut toujours au moment de sortir. Je n’ai pas de parapluie. Je n’aime pas ça. Ceci dit, avec toutes ces bourrasques, il y aurait sans doute moyen de singer Mary Poppins. J’imagine… Là, plus possible de me récupérer. Je suis définitivement partie dans un autre monde. Envolée.
Je m’amuse des flaques. Je m’écoute réprimander les enfants : « fais attention, ton pantalon va être tout mouillé, tu vas faire des taches de boue sur tes collants » et je souris. S’ils me voyaient. Le privilège de l’âge. On ne doit ses bêtises qu’à soi. Alors, tant qu’ils ne sont pas là, je m’en donne à cœur joie. Bon d’accord, ça ne va pas sans étonner tous les gens raisonnables que je croise, voir choquer les mères et les vieux, mais j’en aperçois aussi quelques uns qui, le sourire réprimé, m’envient d’avoir le cran de cet éclat d’enfance.
Un peu de folie que diable !

Je suis jolie. Je dois retourner travailler et je ressemble à un chien passé sous les chutes du Niagara. Vous n’en avez jamais vus ? Moi non plus, mais je suis certaine que ça doit être à peu de chose près l’image que je donne en ce moment. J’ai les cheveux raplaplas sur le crâne, les mèches collées au visage et mes vêtements au corps. Humhum. Que va dire mon chef ? Suis-je bête, il n’est pas là. De toute façon, j’assume !


Le téléphone sonne. Il grésille. Encore de la friture sur la ligne. Je vais débrancher le câble. Coupons le cordon. Metro boulot dodo, est-ce tout ce à quoi nous sommes attachés ?
Je suis trempée, lavée de ma matinée. Le soleil perce à nouveau. Il me nargue. Je martèle les carreaux de l’espèce de véranda qui me sert de bureau en injuriant les nuages, en maudissant les rayons qui ne me sèchent pas, ne me touchent pas.
Je veux jouer avec eux. Je ne suis pas une enfant gâtée qui n’est jamais contente. Je veux être dehors. J’ai fini mes devoirs, j’ai appris mes leçons. A quoi ça sert de grandir puisqu’on est toujours en prison ?

Faire ce que j’aime ?
Quelle dérision !

  • beau texte

    · Il y a environ 11 ans ·
    Mariage marie   laudin  585  orig

    franek

  • ...implication détachement contrainte un cloisonnement précis et normatif qui nous renvoie à notre anonymat citoyen souvent en rupture avec nos aspirations profondes à minima faire ce que l'on aime faire ...un jour je te ferais un exposé sur le caractère anti-démocratique du parapluie qui annexe l'espace au-delà de soi mais c'est une toute autre histoire ...très bien Ysa une vraie clarté dans l'art de subir...Amicalement jm

    · Il y a environ 11 ans ·
    Snapshot 20120624

    Jean Marc Frelier


  • odeur de pluie, la terre est poudrée...quatre traits à la craie, volutes et k fée. Entre rêve et réalité, on promène l'enfant qui balade en soie...Chasse au trésor, reflet carte dort...la pluie s'est mouillée. Il est 6h, bientôt le réveil va sonner...dimanche s'éveille. La nuit s'étire...baille un peu. Un pied clapotis, un autre posé. J'attends le soleil avec mon café.
    Merci Ysa pour ces courbes tracées.

    · Il y a environ 11 ans ·
    545579 3657952887767 1403693905 n

    sally-helliot

  • Partir du café pour en arriver à cette conclusion, faut oser!
    Et j'aime ça!
    Merci du sourire que vous avez fait naître sur meslèvres!
    Et j'oserais dire...Encore!? Ben oui !

    · Il y a environ 11 ans ·
    59577 1501068244230 1159900199 31344222 178986 n 465

    Choupette

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