Cette cochonne d'Odette...

vinvin

Chaque matin je lis l'Equipe et un autre quotidien qui change selon mon humeur. Si je n'ai pas envie de réfléchir, si je veux juste les titres et des anecdotes sordides, j'achète le Parisien. Quand je me réveille avec le coeur à gauche et l'esprit révolutionnaire, j'achète Libé. De temps en temps, je prends le Figaro pour faire contrepoids à Libé, mais après j'ai des remords et je m'achète un Big Mac pour compenser. Du coup je grossis et je culpabilise.

Ce matin, c'était Libé.

En terrasse, sirotant mon café, je tombe alors sur cette demi page de publicité qui sensibilise sur le port du préservatif et la protection contre le Sida. La femme âgée, une vieille femme, je veux dire très passée et volontairement ancestrale, me regarde droit dans les yeux. Une accroche m'interpelle : "La capote protège du Sida". Certes.
Remarque ça a le mérite d'être clair. Retour aux fondamentaux, comme on dit. "Le dentifrice lave les dents", me dis-je intérieurement. Soyons juste, je reconnais l'utilité du message et comprends qu'il faille le répéter encore et encore. Sans doute des études comportementales ont-elles démontré que l'attention face à la maladie avait baissé et quelques créatifs inspirés sont revenus devant le collectif d'annonceurs en vendant un discours simple et clair, sans fioriture sur la ligne.

Mais Bob, le créatif en chef, a tout de même rajouté qu'il faudrait "marquer l'esprit en sortant du discours culpabilisant habituel".

Face aux dix gugus autour de la table, Bob s'est levé et a dit : "Comprenez, les gens en ont marre de ce discours culpabilisant et infantilisant qui les place continuellement face à leurs défauts. Plus le droit de fumer, de dire du mal des noirs ou des homos, de baiser comme on veut. Deux générations ont eu leur sexualité sacrifiée à la fois par François Mitterand (rires dans la salle) et par le Sida. Hahaha, non je déconne pour le Sida (re-rires sans la salle). Je dis stop. Nous disons stop. Il faut séro-positiver !". (On entend des wouhaaaaa dans l'audience) "Il faut montrer que se protéger c'est vivre plus longtemps et, comme Odette, avoir toujours la bouche ouverte en attente d'une petite gâterie potentielle. Il n'y a pas d'âge pour être heureux, tant qu'on porte une capote". On applaudit de partout en découvrant le carton avec la photo d'Odette en gros plan. Le gars continue. "L'idée est simple. Incrustons sous l'accroche principale le nombre de capotes utilisées par Odette dans sa vie. C'est choquant vous comprenez, cette dame qui pourrait être la grand-mère de monsieur tout le monde... Cette dame, OUI, a eu une sexualité épanouie, et parce qu'elle a mis des capotes elle est vivante et heureuse comme le prouve sa bouche ouverte..."

Silence.

Trois directrices du marketing ferment soudainement leur bouche mais trouvent la démonstration admirable. Le gars de chez Tetu est sur le cul. "Bingo. c'est fort, c'est décalé, c'est provocateur sans être vulgaire. Bravo Bob".

3 mois plus tard la campagne sort. Personne n'a vérifié le nombre de capotes.

C'est pas possible ?!? On a vu des coquilles plus grosses que ça par le passé mais là quand même c'est fort... 13874 capotes !!! Je saisis ma calculette.

A vue de nez et pour être gentil je donne à Odette 80 ans. Bien conservée.
Elle serait donc née en 1929. Ok. C'est la crise.
Allez. Imaginons que cette petite coquine d'Odette commence sa vie sexuelle vers 15 ans ; c'est la guerre, elle s'ennuie et elle a des capotes dans la cuisine. Son père travaille dans le caoutchouc et importe des modèles venus du Vénézuela. Elle est curieuse et veut absolument savoir. Odette est Sagittaire et elle sait que sa virginité doit tomber à la Libération, c'est écrit dans l'horoscope de la Gazette de Mézières. Elle offre son corps à un caporal de passage. Première capote.

Ensuite c'est la débandade dans la vie d'Odette. Prise par le démon du caoutchouc, elle les consomme alors à la vitesse d'un bout-en-train à grande vitesse. Je tapote sur ma calculatrice et n'en crois pas mes yeux. 80-15=65 ans. 13874 capotes/65 ans=213. 213 capotes par an ! 58% d'une année, soit plus d'un jour sur deux !
Notre chère Odette a, sans jamais s'arrêter, de 15 à 80 ans, utilisé une capote tous les deux jours pendant 65 ans ! Odette est la plus grosse cochonne que les agences de publicité aient jamais dégoté !

Je la regarde avec respect.

Je comprends encore mieux cette bouche toujours ouverte.

...

Ou alors elle s'en servait de sac poubelle car elle était issue d'une famille dans le besoin qui recyclait tout ce que son père ramenait de son travail. Pas très pratique pour jeter les os de poulet mais avec le coup de main on pouvait faire rentrer n'importe quoi...

Ou alors c'est la norme et il faut que je me dégrouille si je veux poser pour une pub en 2050.

Et j'imagine quand même qu'elle a eu des périodes de creux. Bah oui, tiens, je n'ai même pas compté la pose menstruelle. Rien n'arrête Odette ! Parce que si Odette n'aime pas fricoter pendant ses périodes et que j'enlève 5 jours par mois, soit une base de 305 jours au lieu de 365, ça nous fait 69% !!! C'est un signe, je vous le dis. Deux jours sur trois. Quelle santé. Sûrement une fille du Cantal.

Ou alors...

Ou alors Odette est une vieille prostituée à la retraite. La capote, c'était son job, son outil de travail. Eureka.
Du coup ça change tous les calculs ! Elle a peut-être fait ça 20 ans parce qu'elle n'avait pas le choix c'était ça ou la rue. Sur 20 ans, en admettant la pose week-end, ça nous ferait du 227% soit plus de deux par jour (hors période embarrassante), ce qui est pas mal si elle est indépendante et vit dans un coin tranquille.

Et voilà. J'ai trouvé. Odette. Tes 13874 capotes t'ont non seulement aidé à vivre longtemps, mais surtout elles t'ont aidé à survivre. Et aujourd'hui tu témoignes.

Merci Bob.

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