Chambre 2405

Mon cher Raymond,

Mon bel inconnu, mon printemps, mon hirondelle,
Je suis venue dès que j'ai appris la nouvelle,
Votre chambre est vide et je suis assise là,
Alors que je rêvais d'être enfin dans vos bras.

Voilà quelques fleurs pour égayer votre table,
Voyez-vous, je me sens égoïste et coupable,
Lorsqu'on m'a appelée, ce fût un si gros choc,
Et je sais seulement que vous êtes au bloc.

Je ne crois plus en Dieu, non, et pourtant je prie
Pour que, dans ce ciel noir, vienne une éclaircie,
Pour que, demain, vous et moi, soyons réunis,
Comme nous nous l'étions tout récemment promis.

Je vous aime Raymond, j'aurais dû vous le dire
Cent fois, mille fois, car votre si beau sourire
Réenchante ma vie, éclipse le chagrin,
Vous êtes dans mon cœur, dans ses moindres recoins.

Il faut que vous sachiez, avant de vous connaître,
J'avais délimité un petit périmètre,
Dans ma vie nul n'entrait, jusqu'à ce jour d'hiver
Où vous m'avez écrit de si merveilleux vers.

Je regarde dehors, tout me semble possible,
Vous êtes comme un arbre immortel, invincible,
Votre cœur est intact, je le crois, je le sais.
Soudain, la porte s'ouvre et vous apparaissez.

Les brancardiers sont là, médecin, infirmière,
Il y a des fils partout, une intense lumière,
Mes yeux sont trempés, je n'y vois presque rien,
Je tente d'écouter sans comprendre très bien.

Quelques mots saccadés me viennent à l'oreille,
Je veux approcher, mais on me le déconseille.
« C'est Ginette ! Je suis là, calmez-vous, Raymond,
- Suis-je au paradis, mort, ou plutôt en prison ? »

Il y a tellement de buée sur mes lunettes,
- Est-ce vous, ma souris, ma ravissante alouette ?
Je ne vous entends pas, faites un pas vers moi !
- On me le défend, et je ne pas sais pourquoi !

- Madame, s'il vous plaît, il faut qu'il se repose,
Saviez qu'il souffrait d'une athérosclérose ?
Revenez dans deux jours, les fortes émotions
Sont dangereuses pour la récupération.

- Ne partez pas Ginette, il faut que je vous voie,
J'ai besoin de vos yeux, cette source de joie,
J'ai besoin d'oublier ce lit froid, ces barreaux,
Vous m'avez dit que vous saviez jouer du piano ?

Chopin, vous connaissez ? C'est une galaxie,
C'est la cabane en bois où l'on se réfugie
Quand la nuit frappe et que même l'été s'en va.
- Mon Raymond, s'il vous plaît, ne vous épuisez pas,

Je reviendrai, promis, nous partirons ensemble,
Vous êtes fatigué, voyez, votre main tremble,
Il faut que nous soyons sages et courageux,
Sans doute que demain vous irez déjà mieux. »

Sur ces mots, on me fait sortir, dans le vacarme,
J'essaie de contenir ma tristesse et mes larmes,
Car je sais que, parfois, il faut un long détour
Avant de retrouver le chemin de l'amour.

Je finis cette lettre avec une promesse,
Dans la nuit étoilée, je penserai sans cesse
À vos yeux débordant de générosité
Et à votre voix, si pleine de vérité.  

Texte : Par Julien Darowski en 2020
Image : La Nuit étoilée, peint par Vincent van Gogh à Arles en 1888
Musique : Schubert / Liszt - Serenade jouée par Horowitz