Chez Mamour

mylou32

Chez Mamour      :

  

Je me souviens de ces grandes marches qui de la route menaient à sa maison ou plutôt «case créole»;devant,des parterres de fleurs,un pied d’orchidée où je comptais les sabots,les fleurs «malabars»les oeillets d’Inde,s’éparpillaient au gré du vent.

Le bassin carré du milieu de la cour et ses poissons rouges,et son jet d’eau.

Sur le côté un long trottoir bordait le jardin bien rangé de ses légumes alignés ,aux pieds de piments oiseaux en pleine terre. Au loin la murette qui séparait du terrain voisin; le pied de litchis ployait de ses fruits et quelques branches s’y reposaient chargées de leur fruits rouges gorgés de soleil.

Je me cachais en dessous pour toucher la sensitive qui s’y trouvait: dés qu’on touchait ses feuilles,elles  se repliaient ,et j’attendais qu’elles se redéploient pour à nouveau les faire se rétracter.

En bas de la maison il y avait un champ de maïs qui séparait de la ravine :j’avais l’interdiction formelle d’y aller; je restais au clapier des lapins pour les regarder manger la mauvaise herbe que j’avais patiemment arraché dans le potager. A côté le lavoir était caché par une haie de caféier ou quelques grains rougissaient encore au soleil. Par terre plus loin il y avait tout juste de la place pour marcher: des tapis en «goni» s’étalaient livrant au soleil ces graines de café; pieds nus je marchais sur les plus secs, cela me chatouillait la plante des pieds et produisait un son particulier qui me rappelait le ressac des vagues,je me gardais bien de marcher sur les plus verts c’était humide et désagréable; cela aussi était interdit mais je n’en avais cure , dans une insatiable recherche de sensations. «Mireille viens ici» était son leitmotiv , je courais les cheveux au vent la rejoindre, alors ses bras et genoux m’encerclaient quand elle était assis sur le perron, je m’y réfugiais avec délices, sa peau fleurant bon la savonnette et l’eau de Cologne: MAMOUR! je levais la tête et rencontrais ses yeux bleus, et son insondable regard me livrait tout l’amour dont petite fille j’avais besoin. Sa capeline ajourée sur la tête  délivrait des petits trous de soleil qui dansaient sur son visage buriné.

Mes chagrins et mes peurs s’envolaient comme par magie quand elle me parlait de sa voix douce et apaisante; elle chantait de cet accent créole pour me bercer et ma tête dodelinait sur son épaule passant de l’ébullition au bras de Morphée , comme hypnotisée je m’endormais d’un sommeil de plomb rêvant...A cette maman qui n’avait ni patience ni temps pour élever ses enfants: «Nous étions confiés» ; nous étions donnés; elle ne savait pas aimer et ne donnait que ce qu’elle même avait reçu.

Son abandon me hantait, me rongeait,petite fille je lui en voulais, elle était la cause de tous mes chagrins,j’étais la mal-aimée,la rejetée, le vilain petit canard abandonné. Ma mère venait quand même, de temps en temps, me chercher , me montrer à la famille, certainement pour ne pas que je les oublie; Mamour  me manquait alors, terrorisée par ces parents à la main leste dés que je m’agitais,j’étais engoncée dans des vêtements qu’il ne fallait pas salir, arrivée chez mes grands-parents ils m’asseyaient dans une petite chaise en rotin avec l’ordre de ne pas bouger jusqu’au moment de passer à table, leurs conversations m’ennuyaient ,je n’avais pas le droit non plus d’ouvrir la bouche alors mon esprit s’évadait, vagabondait ,je refaisais le chemin à l’envers pour retrouver ce carré de légumes où penchée sur la terre je m’appliquais à discerner la mauvaise herbe du futur légume prometteur de bonnes odeurs une fois lavé et sauté dans la marmite. Je me figeais attachée à revoir la cuisine au bois sombre que tout créole qui se respecte avait dans son jardin ,elle était sombre,oui, emplie de fumée et de fumets du boucané suspendu dans le conduit, le foyer était bas ainsi que le petit tabouret qui servait à s’assoir confortablement avant de roussir les ingrédients d’un bon carry; le riz mijotait dans sa marmite en fonte, il m’arrivait parfois de touiller les morceaux du poulet sous le regard tendre de Mamour ; alors à table elle lançait à la cantonade:»c’est Mireille qui l’a fait !» et j’en rougissais de plaisir. Plus encore au dernier repas que nous avions fait la veille: ce souvenir était encore bien vif et pour cause ,en allant chercher des oeufs dans le poulailler juste avant de sortir un énorme coq m’avait attaqué, tous ergots dehors il m’avait sauté dessus, j’avais lâché tous les oeufs et me protégeais la tête en hurlant, Mamour m’avait délivré, en me consolant m’avait promis qu’on le mangerait le dimanche suivant. Et j’ai eu le droit de manger tous les morceaux que je préférais! «A TABLE !» 

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