Chien

petisaintleu

La fidélité me caractérise. Je vous escorte depuis tant de générations, transformé jusqu'à vous imiter à la perfection. Même ma digestion s'accommoda, acceptant vos sucreries, l'œil suppliant, domestiquant votre diabète.

Voici cent-mille ans, je devins moins louvoyant en intégrant votre meute. Un jour, des enfants me trouvèrent et me ramenèrent au coin du feu. Ils me choyèrent et en remerciement, je prêtai mes talents de prédateur. Je préfigurai les règles du Docteur Moreau :

« Ne pas marcher à quatre pattes. C'est la Loi. Ne sommes-nous pas des Hommes ? »

« Ne pas laper pour boire. C'est la Loi. Ne sommes-nous pas des Hommes ? »

« Ne pas manger de chair ni de poisson. C'est la Loi. Ne sommes-nous pas des Hommes ? »

« Ne pas griffer l'écorce des arbres. C'est la Loi. Ne sommes-nous pas des Hommes ? »

« Ne pas chasser les autres Hommes. C'est la Loi. Ne sommes-nous pas des Hommes ? »

Ils me plastifièrent le corps et l'esprit puis me spécialisèrent, chasseur de poils ou de plumes. Ils réduisirent les plus tarés en esclaves obéissants et consentants. Trop heureux, ils se métamorphosèrent en cabots, hautains et ridicules dans leur accoutrement anthropomorphique. Ils ne leur manquaient que la parole.

On me chargea des tâches ingrates. Je sautai à l'élastique au fond d'un cirque, au pied du Vercors. Je consolai Rémy, ce brave orphelin. On me satellisa sur la piste aux étoiles, premier cosmonaute. Je conquis les pôles, tandis qu'au Labrador, je me jetai à l'eau. Mon instinct se déroba à sortir mes crocs quand on me pommadait dans un laboratoire, bonne pâte à satisfaire les besoins esthétiques de ma maîtresse qui faisait ses yeux doux de chienne lascive à son amant.

Tout se dérégla. Ma truffe perçut que les temps changeaient. L'air charriait des tombereaux de phéromones qui puaient l'angoisse et l'effroi. On donna du mou à ma laisse et la pâtée se raréfia. Je devins gringalet. L'époque où on me considérait comme le meilleur ami de l'homme s'acheva. Les milliers d'années n'avaient annihilé mon flair de traqueur d'aucune manière. Je conservais une faim de loup.

Le mâle alpha reprit le dessus et on me promut chef d'une horde d'affamés. Quand les décharges et leurs flots d'immondices s'éclaircirent, j'éludai les questions existentielles. Je puisai à la source de mes appétences carnées. La bataille sévissait et je perdis beaucoup de mes congénères quoique nous affrontions sans peur nos concurrents à deux pattes. Il arriva que des femelles faiblissent par atavisme. En leur sein, elles offrirent la chaleur de leur fourrure à des petits bipèdes qui s'adaptèrent à nos vies grégaires. Je veillerai à ce que le troupeau reste docile et à ce que nulle brebis galeuse ne vienne troubler le nouvel ordre établi.

Les vingt têtes baignaient dans le sang qui imprégnait le sable brûlant. Dix minutes après le départ de la modeste troupe armée de machettes et de kalachnikov, les canidés apparurent. On les tolérait, errant dans les rues, éboueurs peu regardants des miettes qu'on leur laissait. En une heure, ils nettoyèrent les reliefs du massacre. À ce rythme, cinq ans suffirent à décimer les chrétiens syriaques descendants des premières communautés d'Antioche. L'Occident s'offusqua à peine d'un haut-le-cœur compassionnel. Il se montrait dubitatif des familles au teint basané surnageant sur un cargo rouillé avec le seul dessein de prier en paix. Comment croire que ces Bédouins exerçaient dans leur bled les métiers d'ingénieurs ou de médecins ?

Homo homini lupus est ? En réalité, combien de bêtes entamèrent des actions répressives contre leurs frères dans le but de s'abreuver de leurs souffrances ? Leur religion demeure panthéiste : respecter la nature, sa destinée immuable où tuer préserve l'équilibre cynégétique.

Aux mouches bleues succédèrent les diptères, les coléoptères et les lépidoptères. Ils se félicitèrent de cette boucherie. L'odeur de la putréfaction ignore les frontières. Ils saisirent l'opportunité de suivre les traces de ces mortifères adorateurs et les bénirent en embrassant les foies à pleines dents.

  • Je suis fan ! J'ai vu ( mais je suis long à la détente ) que tu publies aussi sur Ipag, tu as bien raison, ils ont plus besoin de toi chez eux que wlw a besoin de toi. A bientôt

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Mycjq3xv

    Christian

  • Chassez le naturel, il revient au galop ! ;-) ça rappelle les chiens errants qui vont par grappes en Amérique latine, ça fait songer aussi à La Route de Cormac McCarthy...brrr

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Mai2017 223

    fionavanessa

  • Très beau texte ! Mais, bien moins que mon adorable Potiron sur la photo ! Je l'adooooore mon toutou !!!!!

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Couv2

    veroniquethery

    • Pourvu qu'il ne retourne jamais à l'état sauvage !

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Cp2

      petisaintleu

    • Cela m'étonnerait ! Moi, en revanche...

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Couv2

      veroniquethery

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