Chronique paysanne

Hervé Lénervé

Encore une tentative de dernière chance pour devenir un grand metteur en scène.

Je voulais écrire une pièce sur le monde agricole et je m'étais retiré en Bourgogne, dans l'Yonne, pour m'imprégner du parler vrai de la ruralité. Dans un lieu-dit perdu au milieu des champs de nulle part, j'essayais de me faire accepter par les autochtones. Ce n'était pas encore gagné, mais il y avait des progrès, car je n'étais plus reçu par des plombs de douze, quand j'entrais dans une cour de ferme.

Ce matin, je pénétrais, pour la première fois, dans la ferme du père Patron, j'étais sur mes gardes.

-         Sur mes terres, t'es l'parigot !

-         Oui ! Bonjour monsieur Patron. On peut se parler, un instant ?

-         Dans un instant, tu ne parleras plus à personne, mon gars, j'lâche les chiens !

-         Attendez, je viens en ami, je peux vous rémunérez pour votre collaboration.

-         Tu me traites de collabo, j'ai enfourché plus de boches que de botte de foin, Bouge pas d'là, mon gars, j'vas chercher ma fourche.

-         Vous vous méprenez, je parlais d'assistance.

-         Mildiou ! Y m'traite d'enfant de l'assistance à c't'heure. La Germaine porte moi donc, mon fusil ! Mets-y d'la chevrotine pour le sanglier. J'vas m'le zigouiller, l'autre cochon !

-         Je crois que nous ne nous comprenons pas, monsieur, laissez-moi vous expliquer.

La Germaine sortait déjà de la ferme en tenant, de ses deux bras ballants, le fusil de chasse. Elle était habillée, comme elles le sont toutes, de ces robes-blouse droite aux motifs de toiles cirées que toutes les pedzouilles femelles portent, après mariage, les transformant en une espèce de sac à patates planté sur deux jambes allumettes. Dès que les belles jouvencelles se dévêtissent de leurs robes de noces, elles mutent instantanément en grosses bobonnes interchangeables.  Le mari, lui était habillé du sempiternel pantalon de velours côtelé, bretelles à boutons et casquette en cheveux. Il avait aux lèvres, le mégot des cigarettes roulées maison, qu'il fallait sans cesse rallumez avec un briquet à pétrole qui puait le mazout. Je vadrouillais toujours avec un appareil photo en bandoulière, je pris un cliché pour immortaliser les indigènes, ma prise fut mal prise.

-         Mildiou, il nous prend pour des bestioles, l'autre touriste, j'vas m'l'étriper comme un porc !

Ce fut la Germaine qui m'octroya un répit.

-         D'puis quand, t'as enfourché du boche, toué ! On en a pas vu un seul, par ici, pendant la guerre.

-         Et l'Fernand !

-         Justement, tu l'as canardé l'jour qu'il a voulu te montrer un casque à pointe qu'il avait déterré en labourant la Grande Renarde.

-         Faut pas m'la faire à moi ! Tu trouves un casque de boche et c'est le début, ensuite tu t'engages dans la milice et tu finis par parler l'boche.

-         Où t'as vu qu'il parlait l'boche, mon p'tit frère ?

-         Il l'aurait fait ! Pour sûr, c'est sûr ! Ça fait pas deux sans trois !

-         C'était un bon gars, mon Fernand. Il battait pas sa femme, lui.

-         Il aurait mieux fait, plutôt que de déterrer le passé. C'est de sa faute, si on a eu la deuxième.

-         Tu dis vraiment n'importe quoi, mon pauvre Raimond. Je m'demande si t'as bien tout dans le bon ordre, par Diouf.

-         J'sais, c'que j'dis. Mais toué, faut toujours que tu l'défende. J'me d'mande si vous… avoue ! Vous avez fait des cochonneries ensemble quand j'avais l'dos tourné.

-         Bien ! Je vais vous laisser, messieurs dames, je vois que vous avez des histoires de famille à régler entre vous.

-         Toué, tu bouges pas d'là ! J'te tire deux cartouches de chevrotines dans les tripes.

-         Tu vas arrêter d'salir ma famille ou j'm'en vas voir les gendarmes. Tu leur expliqueras pour les deux petiotes parigotes que tu emmenais sur Bijou, puis sur les meules de pailles, vieux pervers !

-         Mais tu vas la fermer ta grande gueule à purin, pute de truie !

-         Je dois partir, j'ai encore beaucoup à faire.

-         Vingt Diu ! Tu vas y avoir droit, mon gars ! j'te l'dis, moué. Donne le fusil, la Germaine, donne ! j'te dis !

-         Ben, prend le ton fusil de merde, fumier d'porc !

Bang ! Bang !

-         Bouse de merde ! C'est parti tout seul. Il est sensible son truc. Tout'façon, il méritait pas mieux, c't'ordure !

-         Oh mon Dieu ! Qu'avez-vous fait ? Mais qu'avez-vous fait ? Vous avez occis votre mari ! Vous croyez qu'il est mort ?

-         Pour sûr ! deux cartouches à bout portant, ça porte. Mais t'as raison l'parigot, j'vas y mettre un coup pelle, par mère de prudence et d'sureté protectrice.

-         Mais arrêtez, arrêtez ! Vous êtes folle ! Vous venez de tuer votre époux.

-         Bon débarras ! Y l'méritait ! Allez, tu peux être sûr qu'il sera pas pleuré dans l'coin, une ordure pareille. Allez ! Aide-moi, donc, à l'trainer jusqu'à la souille des cochons, comme ça, on fera des économies d'bouffes.

-         Mais rien du tout, rien du tout, je ne le trainerai nulle part. Je vais aller à la gendarmerie.

-         Ne fais pas ça malheureux t'aurais des histoires.

-         Comment cela, des histoires ?

-         Pardieu, tu crois qu'on aime ça, nous, les parigots qui viennent nous trucider, chez nous.

-         Je suis innocent !

-         Y t'croirons pas !

-         Mais vous, ils vous croiront !

-         Pour sur mon gars, qu'y m'croiront !  Le brigadier c'est mon cousin, le Roger et son adjoint c'est mon amant, le Jeannot. Ils me croiront, quand je leur dirai que tu l'as zigouillé, mon cochon d'Raymond.

-         Mais ce n'est pas vrai ! Ce n'est pas vrai ! Je rêve, je deviens fou ou les deux ensemble. C'est un cauchemar.

***

Fini le théâtre, mes rêves de grandeur et de gloire dans la capitale.

J'vis à la ferme à présent et la Germaine est ma patronne. A nous deux, on pense bien racheter les terres du père Ronchon, depuis qu'il a été labouré par les socs d'sa charrue. On avait coupé la durite des freins de ses bœufs, avec la Germaine. A c't'heure, on va les avoir pour trois fois rien ses terres à c't'autre ordure d'fumier d'porc.

  • Extra, et te v'là fermier à présent, avec la plus belle des plus belles ! E t'connais ben son patois !

    · Il y a environ 7 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Le patois Bourgignon profond, je sais l’écrire, mais pas le lire. Rien compris à ton histoire, à c’t’heure ! :o))

      · Il y a environ 7 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

    • C'est mon patois à moi, na !

      · Il y a environ 7 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Pas de problème, chacun son patois. Les jumeaux développent un langage intime, unique qu’eux seuls comprennent. Moi j’ai mon patois personnel, que personne ne comprend, même pas moi. :o))

      · Il y a environ 7 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

    • Tu es toujours plein d'humour en tous les cas !

      · Il y a environ 7 ans ·
      Louve blanche

      Louve

  • Truculent à souhait. J’ai adoré ces expressions du terroir . Et là encore j’ai ri de bon cœur ! Merci Hervé de nous donner un peu de votre belle humeur à travers vos merveilleux délires

    · Il y a environ 7 ans ·
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    nehara

    • Merci, Nehara ! Maintenant le problème, c’est que je pense être un dramaturge en écrivant des tragédies bouleversantes. Y’a encore du boulot, alors, mildiou !

      · Il y a environ 7 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

  • Ah quand l'amour est dans le pré...

    · Il y a environ 7 ans ·
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    Mabelschronics

    • Pas près de s’faire c’lui-là. Pour avoir les prés pollués de capotes. Respectons la terre, mildiou !

      · Il y a environ 7 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

  • "...pute de truie...", ça fait "balance ton porc" !!

    · Il y a environ 7 ans ·
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    phil-29

    • C’est la réponse, j’essaie de monter le mouvement « balance ta truie » si t’es intéressé, je t’envoie le formulaire d’adhésion.

      · Il y a environ 7 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

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