COMMENT AI JE PU TOMBER SI BAS

oliveir

Comment ai-je pu tomber si bas ?
Comment ai-je pu tomber si bas ? Je n’ai jamais fait de mal à personne pourtant. Nous recevons de la nourriture, celle qu’on veut bien nous donner. De la nourriture suffisamment mauvaise pour que l’on ne s’en contente pas. Le plus important c’est de ne pas lâcher l’éducation des enfants. Il faut qu’ils apprennent à lire et à écrire même si leurs chaussures sont misérables.
Comment ai-je pu tomber si bas ? Ce n’est pas parce que nos vêtements sont déchirés qu’il ne faut pas les nettoyer. Redresse-toi… je répète toujours cette injonction à mes enfants quand je les vois traîner les pieds, les yeux fixés sur le sol. Ce n’est pas une vie pour eux de vivre parmi les chiens errants et les vagabonds. Quels objectifs ont-ils ? Où est l’exemple à suivre ?
Comment ai-je pu tomber si bas ? La crise économique n’a rien arrangé, il ne faut pas la nier. Il faut espérer qu’elle ne durera pas toujours. La vie est faite de hauts et de bas, la fatalité n’existe pas. Le chômage est élevé, bien-sûr, mais il faut y croire. Il n’y a pas de métier honteux. Je distribue des journaux aux automobilistes arrêtés aux feux, à ceux que je côtoyais hier, à ceux qui ont eu la chance d’être passé à travers, à ceux qui se demandent comment j’ai pu tomber si bas. Avec le peu d’argent que je gagne, j’achète des fruits pour éviter que les enfants tombent malades. Les docteurs ne viennent pas ici, la maladie est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre.
Je ferai n’importe quoi pour rester debout, pour être prête à saisir la première opportunité quand elle se présentera. Et puis, il faut donner l’exemple pour que les enfants conservent un espoir. On ne peut pas les laisser se replier sur eux-mêmes. Il faut y croire et la religion nous aide, l’avenir est devant nous.
Comment ai-je pu tomber si bas ? Je me répète cette phrase cent fois par jour pour ne pas pleurer, pour ne pas tomber sur ma paillasse comme les alcooliques et les drogués qui nous entourent, pour empêcher mes enfants de sombrer.
Je répète cette phrase sans cesse. Il y quinze ans nous vivions en famille dans une maison coquette des beaux quartiers, j’étais secrétaire, Mandela était président. Il ne l’est plus et tout a changé. Quand mon mari est décédé, j’ai tout assumé. Mais à mon retour de vacances, mon bureau était occupé, on m’a donné un petit pécule pour toute indemnité. Il a fondu comme neige au soleil car il fallait s’entraider. Et puis, nous croyions que cela allait s’arranger. Je n’ai jamais retrouvé mon travail. J’ai compris que ma peau blanche était un obstacle à ma réintégration. La maison a été vendue. J’ai atterri dans ce camp de réfugiés où nous campons dans des caravanes délabrées.
Comment ai-je pu tomber si bas ? Parfois j’aimerais cesser de ressasser cette phrase dans ma tête, j’aimerais me laisser aller, penser à des choses plus agréables mais je répète cette phrase à longueur de journée pour garder les pieds sur terre, pour éviter de tomber dans le monde des rêves, pour éloigner la folie.  

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