Comment je fus curé

Deux heures que j'étais bloqué sur le périphérique dans un bouchon d'enfer. J'avais essayé de sortir porte de Vanves pour prendre les Maréchaux. Rien à faire. Du cœur de la capitale, des milliers de voitures venaient congestionner chaque artère, créant l'asphyxie et l'énervement généralisé des automobilistes.

De mon côté, je m'étais muré dans mon habitacle. Machinalement, toutes les trente secondes, je sortais de ma torpeur pour vérifier si la route se libérait, au besoin aidé par le coup de klaxon de l'excité qui me suivait. La radio tournait en boucle sur France Info. Tous les quarts d'heure, je me récitais le chapelet des nouvelles. L'un d'elles retint plus particulièrement mon intention, celle sur l'encyclique Laudato si du pape François sur l'écologie.

Mû par je ne sais quel instinct, je changeai de station pour tomber sur Radio Notre Dame. Il y était justement question de l'appel à la solidarité Nord-Sud du Saint Père. Un coup de liquide lave-vitre et le détournement de mon regard suffirent au Rom estropié pour lui faire comprendre que mes vitres se passeraient de ses services.

Les invités débattaient de ce qui leur apparaissait en être les points majeurs. Décidément, il me plaisait ce pape qui mettait les pieds dans le plat de notre planète. J'admirais son ouverture d'esprit, parlant sans détour de notre monde prostitué aux lois de la finance. Je me dis que si l'Église, Curie romaine en tête, ne s'était pas fourvoyée dans ce que le pape appela dans son discours du 22 décembre 2014 les 15 maladies, fustigeant entre autres la tête d'enterrement, le carriérisme ou l'exhibitionnisme mondain, nous n'en serions pas à cette situation si désespérante.

J'ai quitté la religion suite à ma confirmation en 1982 pour n'y revenir que l'année dernière. Je pense que le catéchisme n'est pas toujours évident pour un jeune public et qu'il est souvent source de détournement de la foi, délaissant peut-être les rares brebis qui auraient pu embrasser la prêtrise. Ce fut sans doute mon cas. Je me souviens que nous avions régulièrement des interrogations sur l'Évangile. J'obtenais à tous les coups un 20/20. Il est vrai que je n'y voyais aucune contrainte et j'aimais faire plaisir. Non pas en m'agenouillant dans le confessionnal, une main posée sur ma nuque, mais parce que j'assimilais les cours du mercredi matin à ma passion pour l'histoire et la géographie. J'étais hypnotisé par la carte de la Palestine au temps de Jésus-Christ. La Trachonite, Machéronte ou Ahsdod, autant de lieux qui engendraient chez moi un mini-syndrome de Jérusalem. Quand le prêtre se présenta chez mes parents pour aborder la possibilité que j'intègre à terme le séminaire, il repartit la queue basse, comme d'habitude.

Qui sait ? Peut-être serais-je aujourd'hui à célébrer la messe. Aurais-je eu un coup de pouce céleste pour me détourner des tentations terrestres ? Sur le fond, quand j'y réfléchis, hormis ces désagréments d'origine physiologique, il ne m'aurait pas déplu de me mettre au service des plus humbles. On pourra toujours arguer mon mauvais caractère ? Et alors ? Depuis que j'ai retrouvé le chemin de la foi en fin d'année dernière, j'ai eu l'occasion de côtoyer des abbés. Pensez bien qu'ils sont à bien des égards tout aussi humains que nous, avec leurs doutes, leurs combats intérieurs et leurs humeurs.

Je relevai la tête et j'observais mes compagnons de galère. C'était triste tout de même de découvrir ces mines renfrognées. Évidemment qu'ils avaient hâte de retrouver leur foyer après une journée d'emmerdes et de le rejoindre pour entendre leurs enfants tirer la tronche et les conjoints s'enfermer dans le silence de leurs reproches. Qu'est-ce que ça aurait coûté un petit sourire, une petite blague pour décrisper l'atmosphère ?

Le lendemain, je prendrai le métro. Ce serait moins crevant à supposer que la RATP ne nous fasse la surprise d'une grève. J'oublierai alors ces longues minutes coincées dans ma voiture. Et, du moins, je ne serai plus dans cet état où je fus curé par un index jusqu'au tréfonds de mes narines.