Comment sauver le monde avec un boeuf bourguignon ?

riatto

Harcelé de toutes parts par d'apocalyptiques reportages et documentaires sur la fin du monde qui menace de nous péter à la figure à chaque coup de fourchette et à chaque bouchée de steak haché, eh bien figurez-vous qu'il y a peu de temps de cela j'ai... Décidé de cuisiner un boeuf bourguignon. Là !

Dit comme ça, voilà qui ressemble à une activité familiale et saine dont, me direz-vous, il n'était sans doute pas nécessaire de faire tout un pataquès. J'aurais pu tout aussi bien écrire qu'il n'était pas utile d'en faire tout un plat, mais alors on m'aurait déjà taxé de vouloir faire de l'esprit en vous faisant perdre votre temps, et le temps, vous savez ce que c'est... Maintenant, revenons à la marmite.

Pour faire un bon bourguignon, et ça n'est pas Guy Roux qui me contredira, le secret réside avant tout dans le choix et la qualité des produits que l'on utilise. Pour faire simple, nous diviserons ces produits en trois catégories que nous regrouperons selon leur appartenance au règne animal, végétal et... viticole.

Me voilà, et là encore je dis " me voilà " tout en sachant que cette histoire aurait très bien pu vous arriver à vous, mais pour la forme je préfère écrire " me voilà " parce que d'une part c'est plus simple, et que d'autre part il est plus facile pour le lecteur de s'identifier à la première personne du singulier qu'à la troisième, parce que le "on" ou le "il", personne ne sait jamais de qui il s'agit et tout le monde s'en fout.

Maintenant cessez un peu de m'interrompre, ou vous serez coupables d'un gaspillage d'électricité qui fera de vous d'abominables bourreaux, assassins des dauphins, des tortues, des pandas et des méduses au goût de sacs plastique. Compris ?

Me voilà donc à déambuler dans le labyrinthe des étals de légumes d'une grande surface qu'il n'est pas utile de nommer, elle se fait bien assez de publicité comme ça en sponsorisant une équipe de jambes cassées, trop c'est trop, et non un quart de finale ne constitue pas un exploit quoiqu'on en dise. ( je ne m'égare pas, j'explique ).

La Loi étant ce qu'elle est (devenue), je décide, en bon citoyen que je m'efforce de devenir, de consommer ma ration journalière de fruits et/ou de légumes obligatoires au bon fonctionnement de mon cerveau. Cerveau dont le peu de temps disponible doit me permettre d'ingurgiter quotidiennement une quantité industrielle d'informations, de publicité, de publi-information ( quel joli mot.. ) et bien sûr de laisser la place nécessaire au déssert, lui aussi obligatoire, de la météo des plages. Friandise de gourmet s'il en est.

Alerté, angoissé, concerné, que dis-je ? Terrifié par les dangers et les dérives de l'impitoyable univers des industries agro-alimentaires, me (re)voilà , droit dans mes baskets, à tâter de la tomate, à soupeser de la courgette, à renifler de l'aubergine et du filet d'oignons dans l'espoir, en remplissant mon caddie boiteux, de ne pas commettre l'irréparable impair de la consommation déraisonnée, irresponsable... De ce nouveau péché d'inconsistance qui consiste à faire basculer dans son panier du tout et du n'importe quoi sans se soucier des conséquences tragiques que peut désormais déclencher cet acte inoffensif que les anciens osaient encore appeler... " faire ses courses".

Plus tard, après avoir déballé mon butin acquis au prix d'efforts insoupçonnables pour vaincre une culpabilité latente mais bien réelle, le constat s'impose à moi comme un verdict de cour d'assise.

Je découpe en fines rondelles quelques champignons de Pologne.

J'émince avec soin deux oignons de Hollande.

J'épluche minutieusement une courgette portugaise, tandis que dans l'égouttoir dégorge une aubergine d'Espagne. Je ne sais pas d'où arrive ma gousse d'ail, car allez savoir pourquoi, personne ne se soucie de savoir ou poussent les gousses d'ail ( Dans les arbres ? Dans la terre ? Sincèrement, vous savez d'où vient l'ail vous ? )

Un peu plus tard j'arrose mon plat de ce liquide rougeâtre vendu en mini-bouteilles à l'allure peu engageante. Un vin, rouge d'accord pour ce qui est de la couleur, mais dont l'origine s'entoure de cette pudeur désormais bien connue des amateurs de discount et qui donne à peu près ceci : " Vin des pays de l'Union Européenne ". Bien. Je sens alors gonfler en moi le drapeau bleu-nuit parsemé d'étoiles d'or, ce fameux étendard qui flotte au-dessus de nos têtes, flambeau magnifique de l'union des peuples et des cultures du vieux continent. Dans cette bouteille chétive et mal fichue, c'est Robert Schuman, c'est Helmut Kohl, c'est le Général ! Le grand marché européen, les écus, la CEE et encore cinq mille pages de cours d'histoire effacés, oubliés, tombés avec le mur de Berlin.Cette bouteille de vin, c'est de l'Histoire ! Imbuvable, d'accord, mais de l'Histoire quand même !

Et puis, entre nous soyez honnêtes... Même si vous aviez les moyens, est-ce que vous iriez mouiller votre bourguignon avec un Chassagne-Montrachet 2002 ? Bon... Nous sommes d'accord.

Là-dessus ne manquait plus que la viande ( j'espère que vous prenez le temps de faire une fiche-recette, que tout ce baratin serve à quelque chose... ) Pour ce qui est du boeuf, j'avoue ne pas avoir tergiversé aussi longtemps que pour les légumes.

Une caissette estampillée " Viande bovine française " affichait fièrement sa cocarde bleu-blanc-rouge dans un rayon où, de toutes façons, aucun autre choix ne s'offrait à moi. 

Et puis, pour ce qui est d'être végétarien ( un choix ô combien respectable, qu'on évite de se méprendre au sujet de cet article ) je ne dirai qu'une seule chose :

J'adore la purée et les haricots verts ! Ca va tellement bien avec les côtelettes d'agneau...

Voilà.

Je ne m'avancerai pas à prétendre que ce plat fut digne d'un étoilé, ni même d'une brasserie, mais je garde le souvenir du silence qui l'a suivi, et des visages satisfaits de ceux qui l'ont dégusté. Ils en parleraient sans doute mieux que je ne saurais le faire.

Le jour d'après, j'ai eu juste le temps d'être révolté par un nouveau documentaire dénonçant la surpêche, puis un autre révélant le massacre des requins ( non mais ça c'est VRAIMENT ignoble, pour de vrai ), les semences Monsanto, l'élevage industrielle des volailles morts-vivantes, les tomates espagnoles qui ont tué l'Andalousie, les fausses perches du Nil, la déforestation amazonienne provoquée par le hachoir à hamburgers... 

J'ai éteint l'ordinateur.

Dans la cuisine, un couple de nectarines n'en finissait pas de ne jamais mûrir, et de garder le teint frais et ferme des fruits qu'on nous demande d'avaler à longueur de journée. Des fruits qui ne se gâtent pas, qui ne pourrissent pas, des fruits qui décorent comme des fleurs presque éternelles.

Alors j'ai écrit ces lignes en espérant que vous m'aideriez à sauver le monde.

Et puis, en attendant, j'ai ouvert une bière écossaise.

( Quitte à sauver un pays de la faillite, je me suis dit, pourquoi pas celui-là ? )

  • Avec un Pot-au-feu ou avec des queues de lotte aux saint-jacques, ça marche pareil,
    tant qu'il nous reste une marmite à faire bouillir.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Lo new york

    riatto

  • J'imagine que ça marche aussi avec un pot-au-feu. (Enfin... j’espère)
    Merci Super boeuf-bourguigon man!

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Imagescaolxyq7 150

    rcclarence

  • Ben oui. Dans la terre. Les aulx. Comme les oignons. (Oui, le pluriel "ails" est admis, mais il est infiniment moins snob).
    Monde sauvé avec brio ! On en reprendrait...

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Photo du 57301621 05    15.55 orig

    le-fox

  • Bientôt...

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Lo new york

    riatto

  • Mais quelle idée de vouloir mettre des légumes dans le bac à bière?!
    Bravo pour l'écriture, génial!

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Wlw 150

    E.L.Y

  • j'aime bien le ton pour le fond il faut aller encore plus loin, la bouffe industrielle c'est dégueulasse et dangereux our le santé.L'écologie devrait déjà se poser la question de la surpopulation du globe: sujet tabou!!!!

    · Il y a presque 12 ans ·
    Mariage marie   laudin  585  orig

    franek

  • Superbe ! enthousiasmée, je lis, je ris, je compatis(encore que je fasse partie du lot des cons sommés)et j'applaudis des 2 mains !! cdc !

    · Il y a presque 12 ans ·
    D9c7802e0eae80da795440eabd05ae17

    lyselotte

  • Intéressant et, somme toute, une théorie qui se tient !
    Excepté le passage sur le gros rouge qui tache qui serait le produit étendard de nos si beaux (futurs) États-Unis d'Europe...
    Quant aux nectarines qui ne veulent pas mûrir, la dernière fois que j'en ai mangé une, je me suis cassé une dent ! Désolé pour le pays producteur mais je me suis rabattu sur une banane !!!

    · Il y a presque 12 ans ·
    Francois merlin   bob sinclar

    wen

  • Comme tu le dis, l'important reste qu'on va pouvoir continuer à boire tranquillement, bon sang.
    C'est quand même pas une bande d'indiens emplumés qui va nous foutre le monde par terre, ah mais !

    De mon côté, j'attends toujours impatiemment le bug de l'an 2000.
    On nous l'a promis, je l'attends de pied ferme.

    · Il y a presque 12 ans ·
    Lo new york

    riatto

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