Composez un roman en trois clics

Aden Osean

Participation au concours d'U-chroniques "dans la tête de Steve Jobs"

Vous êtes en train de lire le dernier article rédigé par un être humain.
En réaction contre les écrits mécaniques qui nous envahiront sous peu, j'écrirai donc ces lignes de manière terriblement partiale. Vous y serez gratifié de mon style inégal, de mes répétitions et de mes analyses approximatives, bref, de mes imperfections d'être humain.
Mais revenons à nos moutons électriques. Le nouveau MacQuantiq Pro, avec une mémoire de 100 qubits, sort aujourd'hui. Il est équipé du tout premier logiciel de RAO.


How to?

C'est l'enjouement pour iBooks Author à la fin des années 10 qui a donné à Steve Jobs l'envie de développer un logiciel de Rédaction Assistée par Ordinateur. Idée longtemps considérée comme chimérique : à la difficulté de créer un algorithme assez complexe pour rendre les finesses de la syntaxe, s'ajoute l'impossibilité de faire saisir à la machine les nuances de la langue.
L'entreprise semble irréalisable ? Steve Jobs donne moins d'un an à ses développeurs pour mener le projet à bien.   
C'est ainsi qu'ils créent iScribe, un logiciel d'une simplicité redoutable : pas de dictionnaire intégré, ni de grammaire. À la place, un puissant outil de reconnaissance et de mise en relation des syntagmes. En simple : iScribe scrute et analyse les trillions de mots que compte le Web (plus ou moins... selon les estimations de la World Wide Web Foundation, la toile comptait plus de 3 billions de pages en 2022). Il mouline le tout selon différents critères, déplace, recombine, recolle, intervertit, jongle avec les synonymes, et régurgite un texte tout frais.
Le logiciel est bien entendu pourvu des fonctionnalités de base : prise en compte du nombre de mots, référencement naturel optimisé, choix du niveau de langue, du genre et du ton. Des effets supplémentaires, comme le filtre « poésie lyrique », raviront les amateurs (et consterneront les plus éclairés).


Read me!

C'était à prévoir, l'arrivée de cette grande grammatisatrice automatique soulève quantité d'inquiétudes.
Les enseignants frémissent. Témoignage d'un professeur de français-histoire-informatique dans un lycée de banlieue étendue : « Cela fait quelque temps déjà que nous dénonçons le rôle des traitements de texte intuitifs dans la baisse du niveau en orthographe. Comment les élèves peuvent-ils apprendre à écrire correctement s'ils ne tapent jamais un mot en entier ? Et voilà qu'arrive un logiciel qui pourra composer des dissertations en un tour de main ! ». Acculés, les établissements parlent déjà de prendre des mesures rétrogrades. « Nous avons décidé de ne plus noter que les travaux réalisés en classe, en temps limité, avec papier et stylo. Et on pense revenir le plus souvent possible aux interrogations orales. » Voilà qui va apporter de l'eau au débat sur les écoles sans tablettes...
Côté presse numérique, iScribe signe la mise au chômage de tous ces journalistes Web dont le travail consiste à rewriter des articles, eux-mêmes reformulés d'on ne sait plus où... Fini les écrivassiers qui comptent chichement les signes et enfilent les formules stéréotypées. Une machine va remplacer ces ouvriers à la chaine, et travaillera plus vite qu'eux au renouvèlement du contenu Web.
Il faut donc s'attendre à ce qu'une logorrhée incontrôlable submerge le Web, hélas déjà prolixe. Je vous laisse juge de la qualité de ces informations formulées automatiquement... Mais ne désespérons pas. Peut-être que l'avènement de l'écriture par ordinateur fera ressortir le talent humain. Car pour poindre au-dessus du flot de mots, il faudra désormais miser sur la qualité, proposer des articles originaux et sourcés.
Enfin, ayons une pensée pour les grandes maisons d'édition, celles qui reçoivent un manuscrit toutes les dix minutes. Comment vont-elles résister au tsunami d'ouvrages qui va s'abattre sur leurs têtes ? Car malgré l'avènement des ebooks, le prestige du livre papier continue d'allécher les apprentis écrivains. Et qui ne serait tenté d'écrire d'un roman en quelques clics ? Imaginez : dans la base de donnée « style », entrez tous les poèmes d'Arthur Rimbaud. Pour la recherche de contenu, scannez, disons, une compilation de tout ce qui a été écrit sur Mata-Hari. Et puis, tiens, ajoutez-y les romans numérisés d'Alexandre Dumas ! Faites tourner. Vous voilà l'auteur d'un roman d'aventure haletant, écrit dans une langue fulgurante, elliptique et intense.
Évidemment, on doit aussi s'attendre à voir fleurir des versions pornographiques toutes les dernières grandes sagas. Ne levez pas les yeux au ciel, vous serez le premier à dévorer avec un plaisir coupable les aventures érotiques de Saba et Jack, héros de la saga littéraire et cinématographique Blood Red Road.  
Les lecteurs sauront-ils reconnaitre un roman automatique ? Nul doute, en tout cas, qu'il y aura dans l'histoire de la littérature un avant et un après iScribe. Steve Jobs sera le Gutenberg du XXIe siècle...


Dixit Jobs.

Qu'en dit, d'ailleurs, le principal fautif ? Jobs trône au-dessus de la mêlée, ravi de l'agitation qu'accompagne la sortie du logiciel. Avec un sourire, il déclare : « Rien ne remplace la subtilité d'un cerveau humain, à condition qu'il travaille. » Selon l'entrepreneur, il ne s'agit pas de supplanter l'écrivain, mais de démocratiser l'écriture : l'outil peut, par exemple, aider les moins lettrés à écrire un courrier administratif. Jobs ajoute : « iScribe est déjà d'un maniement assez complexe, et avec les mises à jour, l'éventail des fonctionnalités ira en s'élargissant. De même qu'on ne s'improvise pas artiste à la première utilisation d'un logiciel de retouche d'images, il faudra du temps aux écrivains pour maîtriser l'outil au maximum de son potentiel. »

iScribe est donc moins un rédacteur automatique qu'une aide à l'écriture. Reste à voir s'il est efficace. Pour ma part, j'y vois déjà un avantage non négligeable : la prochaine fois que je ponds un mauvais papier, je n'aurai qu'à prétendre qu'il sort d'un ordinateur...




Note de dernière minute :
J'ai en vérité composé l'article ci-dessus avec iScribe. L'exercice était trop tentant. Cette dernière note est de moi. Tout ce qui précède sort du logiciel : j'ai entré quelques mots-clés, uploadé dans la rubrique contenu tous mes articles déjà publiés, et appuyé sur « générer ».
Le résultat est assez dérangeant. Venu d'un ordinateur, cet article semble presque... pervers. Serais-je témoin de la première tentative d'ironie de la part d'une machine ? Comment cela est-il seulement possible ?
  • Très très bon ! La méthode utilisée pose le problème d'authenticité, mais l'idée est très bonne !

    · Il y a plus de 10 ans ·
    U0wxalhe

    Marius Picard

    • Merci merci ! Et oui, je reconnais que cette histoire d'authenticité fera débat...

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Plustard

      Aden Osean

  • Belle idée, bien menée....Tu as (enfin plutôt I Scribe, a toutes les chances pour le concours. Ceci dit, accepterons t-ils un texte écrit par une machine? J'espère que non, c'est déloyal!

    · Il y a plus de 10 ans ·
    P1000170 195

    arthur-roubignolle

    • Un grand merci ! Mais c'est vrai, je le reconnais, c'est un peu triché, tout ça...

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Plustard

      Aden Osean

  • quelle imagination! fascinant et inquiétant à la fois. j'ai adoré. bravo iScribe!

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Autoportrait etretait

    bathilda

    • Merci beaucoup ! Le mérite revient en effet à iScribe. Incroyable, tout ce que la technologie peut faire aujourd'hui...

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Plustard

      Aden Osean

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