La chambre d'étudiant

franz

pour le concours de nouvelles érotiques


La chambre d'étudiant

À quinze ans, j'étais une brindille. La moindre allumette m'enflammait instantanément. Le frôlement d'un coude féminin dans l'obscurité d'un cinéma, l'attouchement furtif de la jambe d'une inconnue à la table d'un bistrot, la vision d'un sein dans un magazine…

C'est dire le tsunami que j'ai vécu, jeune puceau de dix-sept ans, ce fameux week-end prolongé de la Toussaint.

 J'avais décidé de rester dans ma petite piaule du quartier de St-Pierre au lieu de rentrer chez mes parents à une centaine de kilomètres, comme la plupart de mes copains externes. Ma chambre, heureusement indépendante, m'évitant de traverser l'appartement de la famille Martin mes logeurs qui me fichaient ainsi une paix royale, abritait un bureau minuscule avec un rayon de bibliothèque, un lit étroit coincé entre une armoire branlante et un mini lavabo. C'était ma cellule de travail et en même temps la salle de cinéma de mes fantasmes. Par contraste la fenêtre semblait démesurée, plongeant sur un jardin brouillon, rempli de fleurs et d'arbustes livrés à eux-mêmes. Exactement comme moi, qui poussais comme une herbe folle avec la modique somme d'argent que l'arrosoir parental me versait chaque mois.

Le petit crachin qui tombait depuis deux jours aiguisait mon coup de blues dominical à tel point que je ruminais ma solitude en regrettant mon choix.

Après une virée déprimante au centre ville, je m'étais décidé à me calfeutrer dans ma tanière afin d'attaquer ma dissertation et mes maths que je détestais cordialement, avant de m'accorder le dessert, le bouquin qui me troublait terriblement avec son langage cru et ses scènes de sexe. Ce qui me choquait surtout, c'était la découverte des désirs sexuels féminins. Je pensais jusque-là que seuls les mecs en avaient le monopole.

Bouche entrouverte gourmande, yeux marron effrontés… droit dans les miens, narines dilatées… Décidément la photo en couverture de ce Livre de Poche m'avait fait un sacré effet. Brigitte Bardot couchée sur un homme nu, au torse velu et au sourire narquois. Et le titre en noir qui semble proclamer la victoire de ce mâle repu après une nuit orgiaque : «Le repos du guerrier » de Christiane Rochefort.

Me voilà sur le seuil de la maison de mes hôtes. Des cris de gamins joyeux remplissent la cage d'escaliers. Deux garçons de huit et onze ans s'amusent comme ils peuvent par ce temps cafardeux… ils se bagarrent, se bousculent, embêtent leur grande sœur qui sort de sa chambre, dérangée par le bruit. Je ne la vois pas souvent la grande frangine, qui dort pourtant sur le même étage que moi. Quel âge ? dix-sept dix-huit… grande, brune, forte poitrine… je la trouve un peu massive… pas très jolie… Elle me dit bonjour avec des petits yeux malicieux en me serrant la main… c'est un mélange de costaud et de sensualité. Elle m'invite tout de go dans sa chambre pour faire mieux connaissance. Surpris, j'entre en me tortillant, m'assieds sur le lit et bientôt on entend le rire des garçons dans le corridor qui interpellent leur grande sœur: «On parie que dans cinq minutes tu vas lui faire un mimi sur la bouche! ah ah ah!». Elle sort furieuse, les gronde et les chasse à coups de pied au cul.

À peine rentrée dans la chambre qu'elle se marre «quels coquins ces gamins!», à peine assise sur le lit qu'elle me propose ébahi de leur faire gagner leur pari à ces deux salopiots... ah ah ah… Elle avance hardiment la bouche et enfile d'autorité sa langue entre mes dents, longue, dure, froide comme un serpent. Elle me roule un patin profond et ondulant qui produit un effet immédiat, mon pantalon subissant une soudaine proéminence. Ce qui la fait rigoler. Ni une ni deux, sa main s'avance et caresse la bosse à travers le tissu pendant que sa langue recommence ses baisers de couleuvre. Elle gémit, me serre dans ses bras, caresse mes épaules et me souffle dans l'oreille «Incroyable comme t'es musclé! c'est la première fois que je touche des biceps aussi durs et un… machin… oh oh on dirait du bois… c'est pas comme mon fiancé!»
- Quoi, t'as un fiancé ?
- Ouais… c'est pour la famille que je l'appelle comme ça…
- Ah bon… et tu… couches avec lui ?
- Penses-tu… non… seulement si on se marie…

Je lui touche les seins, les palpe, volumineux qu'ils sont, bon sang terriblement excitants! j'essaie de la coucher sur le lit, mais elle résiste, elle décolle sa bouche de la mienne pour me dire:
- Non… je dois y aller, j'ai rendez-vous dans un quart d'heure, on va au ciné et manger une pizza.
- Oh, dommage, c'était mmm...
- Ecoute, je… je viendrai te dire bonne nuit, si je rentre pas trop tard.

Inutile de dire que j'ai un mal fou à travailler et même à finir mon bouquin passionnant. Toute la soirée, je pense à cette fille étrange… Je pense à ses seins felliniens, à sa langue spéciale qui donne des frissons, à sa main dévergondée! Je pense à Brigitte qui joue dans le film, bon dieu, ça existe vraiment des filles délurées, entreprenantes, qui aiment le plaisir physique et qui trompent leur fiancé avec le premier venu. Je me demande ce que vais raconter aux copains le lendemain matin, comment les faire saliver un maximum.

Je me prépare pour la nuit. Est-ce qu'elle va vraiment venir? Électrisé, je me lave nerveusement à mon minuscule lavabo, le visage, les aisselles et le bas-ventre, me pommade de Nivéa, fauché comme je suis, je n'ai ni parfum ni eau de toilette pour m'asperger sous les bras. Je me couche avec mon livre, essaie de lire, deux fois, trois fois la même page, abandonne, éteins ma lampe de chevet et me mets à fantasmer sur les promesses de la nuit. Je l'imagine couchée dans mon lit, son corps collé au mien. Un tam-tam résonne dans mon ma tête. Entre mes jambes, il y a une grenade prête à exploser.

Réveil en sursaut, il y a quelqu'un dans ma chambre, une ombre blanche s'approche sans bruit, déterminée, elle écarte les draps, se glisse dans mon lit. Moi, qui suis resté nu exprès, je n'en reviens pas, je n'y croyais plus, j'étais finalement tombé dans un sommeil peuplé de seins gigantesques.

Muet et tremblant, j'essaie de saisir la forme blanchâtre, mes mains agrippent une chemise de nuit de molleton épais. Elle est bien là, je la serre contre moi, une odeur de lessive envahit mon nez et ma bouche, je relève sa chemise, pas facile, je n'arrive à la faire glisser et l'abandonne pour le moment remontée jusqu'aux seins, pour me concentrer sur eux... Il me faudrait au moins quatre mains pour caresser en même temps ses fesses rebondies. Mon sexe s'enflamme sur son ventre brûlant.

Est-ce que je ne suis pas en train de rêver? Mais non, c'est bien elle, je distingue à peine son visage, rugueux dans la pénombre remplie d'un silence excitant. C'est vrai qu'elle n'est pas belle, mais sa rudesse provoque en moi un trouble bestial. Mon bout de bois s'enflamme sur l'étoupe de son bas-ventre. Pour apaiser la fournaise, mes mains replongent dans les outres fraîches, zut zut zut… je n'ai pas le temps de refroidir ma fièvre qu'un jet arrose son lopin broussailleux.

Un bruit dans les escaliers suivi d'un craquement sur le parquet. Qui nous électrise. Ma partenaire saute du lit comme un ressort, s'aplatit contre la paroi, et au passage envoie valdinguer un de mes souliers, crash d'un avion dans le silence. Un vent de panique paralyse la chambre, fige Adam et Eve nus, pris en faute. Nouveau craquement dans le corridor, la chemise en molleton plaquée contre la paroi s'agite, ouvre la porte extérieure et disparaît dans la nuit. Trois petits coups sont frappés à la porte intérieure. Des coups violents cognent dans ma poitrine. Qui ça peut être? les parents? qui ont tout découvert? Mon cerveau s'emballe, avec un défilé d'images de honte, d'humiliation. Un gong résonne dans mes tempes. En retenant mon souffle, je me décide à entrouvrir la porte, juste un peu.

Dans la pénombre je distingue une robe de chambre qui laisse entrevoir une poitrine opulente qu'un rayon de lune éclaire par la fenêtre du corridor «Antoine, excusez-moi… je vous réveille… mais j'ai eu tellement peur». Le rayon éclaire aussi une portion de paroi contre laquelle est accroché un crucifix, brillant comme un sou neuf. La main de Mme Martin agrippe mon coude, je suis bouche bée, paralysé. «J'ai entendu des bruits… des mouvements… j'ai tellement peur des cambrioleurs… et mon mari est loin pour la semaine». Elle fait un petit pas en avant, je sens son corps contre mon épaule qui barricade la porte, sa poitrine frôle mon bras, un frisson me parcourt le corps. « Et puis ma fille n'est pas encore rentrée… j'ai guigné dans sa chambre… son lit n'est pas défait… je me demande ce qu'elle fabrique à une heure pareille». Elle se rapproche encore, ses seins tièdes collent à mon bras, ses doigts tremblants saisissent mon épaule «Antoine, j'ai eu si peur… sentez comme je tremble… j'entrerais volontiers chez vous cinq minutes…»

Sur le seuil de la petite chambre, un moment de folie me brouille le cerveau, une confusion totale provoquée par la chair qui touche mon corps nu frissonnant dans la nuit.

Je bredouille, vacille sur mes jambes, le barrage de mon corps cède sous la douce poussée exercée par ma logeuse. Elle est dans ma chambre, avance à tâtons vers le lit, s'assied au bord avec précipitation. Je la rejoins, les jambes flageolantes.
- Merci Antoine… vous sentez comme je tremble?
- Euh… euh… plus rien à craindre… c'est fini.
- Mais vous… vous avez froid !… prenez ma robe de chambre!

Sans attendre, elle enlève son peignoir, m'en recouvre les épaules. Je n'arrive plus à penser. Un vertige. Pourtant pas moyen d'éviter le coup d'oeil sur sa nuisette qui paraît transparente. Elle se met à évoquer sa vie de mère, de femme, souvent seule, livrée à elle-même, sans beaucoup d'aide et de compréhension de la part des siens. Je respire très fort et commence à transpirer. À mesure qu'elle parle, sa main se promène dans mon dos, nos corps frémissent, sa tête penche vers la mienne, repose à présent sur mon épaule. Gouttes de sueur sur ma poitrine et sourde brûlure dans mon bas-ventre. Soudain un souffle puissant nous bascule en même temps sur le lit. Aveuglés, haletants, hésitants. Nos bouches se cherchent, confuses, fiévreuses. Fusion précipitée des langues. Tendres morsures. Nos corps se mélangent. Bon sang, que se passe-t-il? Mes pensées ont pris le mors aux dents, notre embarcation est emportée par une vague énorme. Juste après, j'accoste sur son île paradisiaque où des fruits exotiques m'accueillent avec volupté. Sa langue est une figue, ses lèvres du miel, sa poitrine des noix de coco gonflées de lait, ses caresses du sable chaud. Pas besoin de mode d'emploi ni de diplôme pour glisser entre ses cuisses, tout s'enchaîne harmonieusement. Nos corps fondent dans une douceur si intense que nous gémissons ensemble lorsque l'éruption volcanique se produit. Est-ce cela la damnation éternelle dont parlait le catéchisme de mon enfance? Qu'il est donc voluptueux le péché mortel!

La nuit s'achève dans une ouate bienheureuse.

Le lendemain en me réveillant, plus personne à mes côtés, j'ai du mal à faire le tri entre la réalité et le rêve. Encore un fantasme d'adolescent frustré! Non non, j'ai vécu tout ça! C'est un bouleversement indicible, tellement fort que je ne peux même pas en parler aux copains pour les faire baver!

Deux jours plus tard, je croise la fille de ma logeuse dans le corridor. Elle rougit violemment. Moi aussi, de la voir rougir. Elle se décide à parler en voyant mon embarras:
- Je suis un peu idiote… j'aurais pas dû l'autre soir…
- Euh… non non, voyons… c'est moi…
- T'as été sympa avec ma mère…
- Euh… tu trouves?… alors tu sais ?
- J'étais derrière la porte… c'était bien pour elle… j'étais juste un peu jalouse…

Pourquoi je raconte cette fameuse nuit que je n'ai jamais osé révéler, pas même à mes meilleurs potes? Trente ans plus tard je m'y décide, peut-être à cause de la mort qui m'a frôlé récemment, sur ma moto lancée en pleine vitesse. Un choc, un flash avec l'apparition de Brigitte Bardot en chemise de nuit jaillissant du fond de ma chambre magmatique...

 

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