Constatation

redstars

Parfois, certaines choses nous permettent de constater que nos problèmes ne sont que de minuscules et infimes pépins de raisin. Des bouts de rien-du-tout, des larmes inutiles, des poussières qu'il est facile de balayer d'un revers de la main, en comparaison à d'autres.

C'était ainsi, à l'époque de la grande dépression.

Ma grande dépression.

J'étais de celles dont on conservait momentanément l'amitié parce que cette dernière était divertissante, et puis on se lassait, forcément ai-je envie de dire. On réalisait qu'on avait tant de choses à vivre encore, et que cette jeune fille nous permettait juste de constater combien tous ces projets méritaient de se voir réalisés. J'aidais inconsciemment les autres, et puis, après, on me reposait dans mon carton sur l'autoroute de la vie.

Et puis, qui sait, sa folie était peut-être contagieuse.

On évitait de me regarder au fond des yeux, de peur d'être entrainé par un océan malicieux, cruel et volage. On avait peur de ce que disait mon regard, cette impression démoniaque qui, si je puis dire, s'exprimait au-delà de mes pupilles.

Alors, plutôt que de me regarder dans les yeux, on préférait les fermer. C'est tellement mieux comme ça...

Lorsque l'on dégringole de son propre escalier intérieur, personne ne nous soutient.

Non.

Va-y, pête-toi la gueule, on te regarde d'en haut.

On se plait à penser que la personne se croit sur la scène d'une tragédie grecque intime et personnelle. On se dit qu'elle a besoin de se plaindre, besoin d'être au centre des attentions, alors jalousie aidant, on s'égare le plus loin possible.

Je n'ai guère de rancune. Ou si. Je ne sais pas, c'est délicat à définir, la rancune. On écrit des lettres, depuis l'hôpital psychiatrique, on attend une réponse, mais rien. Jamais de lettre, de carte postale, de petite attention. Nous voilà enfermés dans un lieu où personne ne désire entrer, pas même d'une porte extérieure.

Ceux qui venaient encore me voir étaient aussi inertes que moi : quel attitude adopter face à quelqu'un qui se laisse mourir ? La joie ? L'euphorie ? Non. On imite. On pose de frêles questions, on s'assoit, on sirote un café, on est là. Et ça, c'est tout ce qui compte.

Les mutilations sur mes bras permettaient de constater qu'il y avait deux types de personnes. Celles qui détournaient le regard, et celles qui analysaient, posaient leur doigt, leur main, touchaient, caressaient. Je me sentais vide, de voir ces regards fuyants ou ces paumes contre mes cicatrices. A peine plus vide qu'une coquille d'huitre avalée par un ogre.

Et soudain, au bout de dix ans, on renait.

On va mieux.

Ne restent que des trous de mémoires dû aux électrochocs.

Ne restent que les cicatrices, partout, laides et terrifiantes.

Les blouses blanches continuent d'hésiter sur votre cas. Borderline ? Bipolaire ? Leur cœur balance.

Là, soudainement, les gens reviennent.

Et leur « alors ça va ? » est acide.

Comme si ces années sans les voir n'avaient rien été. N'avaient pas existé.

On reprend là on a avait laissé l'amitié.

Je n'en ai voulu à personne.

J'ai répondu que ça allait.

  • Texte très touchant. Merci à Dary pour le partage. N'en vouloir à personne? C'est admirable et sans doute sage. Quand mon carnet d'adresse s'est vidé lors de la maladie, j'ai décidé d'en changer.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Img 1518

    divina-bonitas

  • Très beau texte qui me touche car je comprends au combien ta solitude intérieure étant moi-même une cabossée dans la même veine.Texte tout en retenu, ou l'on devine une tristesse et une fatigue sous chassante.Bien sur qu'ils ont peur , les autres. @Dary : merci pour tous tes partages.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Img 4806 orig

    la-vie-en-rose

  • merci :)

    · Il y a environ 11 ans ·
    Zt245dd

    redstars

  • tres bon texte, tout en retenu, tres beau, un texte fluide tres agreable a lire malgre la durete du sujet. bravo a toi

    · Il y a environ 11 ans ·
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    christinej

  • Merci à Dary pour ce partage.
    Mes mots seraient vains pour dire que je comprends. Ces "amitiés" en pointillés, je connais, mais je ne peux pas pardonner. C'est une chance de le pouvoir.

    · Il y a environ 11 ans ·
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    Choupette

  • Ton texte bien écrit, bien ressenti, me touche bp bp... 10 ans ou plus, ou moins, les épreuves de vie ne sont pas comparables. Apprendre à aimer nos cicatrices car elles font de nous, ce que nous sommes devenus, en nous réveillant enfin ! Prends soin de Toi et sois Libre ! Merci à Dary pour le partage !

    · Il y a environ 11 ans ·
    Ange

    Apolline

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