COURANT D'AIR

Apolline

Je suis une vilaine voyante et je vais vous le prouver !

Hier un homme a frappé à ma porte. Dès qu'il est entré, celle-ci s'est refermée d'un coup sec et tonitruant. V'lan : Juste derrière son dos. Un coup de vent magistral qui visiblement, l'avait laissé stoïque à part ma chatte épouvantée qui en deux temps trois mouvements s'était carapatée sous le canapé du salon. Je refermais vite mes fenêtres en profitant de cette introduction sonore pour demander à mon visiteur s'il n'était pas lui-même un courant d'air. Je lui offris en même temps un rire classé insaisissable qu'il me rendit bien entendu à la perfection. Ça commençait fort…

Puis, je priais mon hôte de s'installer sur le canapé pendant que Junon, ma chatte encore dérangée, sortit comme une flèche pour aller s'installer en face sur l'accoudoir du fauteuil scrutant le visiteur d'un air inquisiteur. J'allais la rejoindre, m'asseyant à ses côtés. Ainsi nos 4 yeux perçaient à volonté ceux du patient qui en faisait tout autant, me rendant bon gré mal gré, son « pas froid aux yeux » évident.  

Voyons voir…

Le regard creux, absent, une tête remplie de pensées abstraites, d'idées aussi clinquantes les unes que autres où se mêlaient une agilité, une ingéniosité parfaitement maligne.

Des pensées sans arrière-pensées puisque  le mensonge, ce fil conducteur, tenait bon sur son tissage de nœuds inextricables. Au fond du regard, opérait une armada de livres, une bibliothèque géante. J'avais à faire avec une encyclopédie ambulante qui savait tout sur tout.

Et absolument rien sur lui et ni sur ses besoins encore moins sur sa vraie place sous l'soleil.

Il ne savait pas qu'il se racontait des histoires, ne mettait rien en pratique par crainte de se faire fermer des portes. Il avait le cul sans cesse entre deux chaises, que ce soit à titre individuel ou collectif. Il avait longtemps sucé son pouce dans un confort, une mise à l'abri où les notions de valeur et de sécurité extérieures le contaminaient toujours dans sa fascinante tour d'ivoire.                          

Des rapports de pouvoir, de force, de chef, une éducation formatée pour réussir vaille que vaille. Une âme possessive, avide de savoir, d'intellect, de suprématie suprême. Un karma lourd de colères sur son dos, affirmant sa rage contre l'entourage jugé incapable ; une entrave pesante et longuement karmique reliée à la communication d'artifices, dans un refus de se remettre en question, de s'incarner tout simplement.  Incohérence mentale, attitudes contradictoires. Avec un sentiment de supériorité dominant,  une allure écrasante qui cherche désespérément à convaincre que tout le monde a tort. Il conserve l'illusion de son agilité perdue, celle qu'il a eu de séduire par sa faconde verbale, de ses rebonds d'aider ses compagnons, de les rendre intelligents. Tout est partie en fumée.

Arlequin au service de la fuite et de la dure réalité… Menteur, menteur, et encore menteur… Plus personne n'a envie de l'écouter. Sa parole est devenue transparente, insignifiante.  S'il persiste à recommencer ses mêmes erreurs  dans cette vie-là, il est foutu, il est foutu… Aaaaah... Ma tête est en train de se consumer. Mes oreilles se sont bouchées. J'ai plus de réseau. Ça va être archi compliqué…  

C'est Junon qui a tranché sur mon état exacerbé en bondissant sur le canapé dans une légèreté déconcertante. L'homme a un tantinet frémi en touchant son nez à maintes reprises pour se donner une contenance. Ou pas... un léger scan sur son pif ou j'entrevis aussitôt quelques lueurs d'une glissante poudreuse. Pendant que je sortais du tiroir de la tablée mon paquet de cartes blanches, Junon ma chouette s'est attardée sur une toilette minutieuse en se passant aux moins 12 fois la patte derrière l'oreille. J'en profitais pour m'emparer d'un autre paquet, extirper une bidî, l'allumer pour calmer le jeu, tous les jeux,  rejeter la fumée, loin très loin, ré-allumer la roulé, voir plus clair dans mon affaire.    

 « Battez m'sieur, coupez m'sieur ! …. Que voulez-vous  entendre ? » Demandais-je tout bonnement. Pendant que je déployais le jeu en forme de croix, en tirant encore sur ma feuille d'eucalyptus, Junon quitta le canapé prestement pour aller retrouver sa caisse. Et là, de bonne grâce, elle consentit à extraire quelques fientes improvisées pour ensuite revenir la queue dressée miauler à mes pieds. Ma chère amie de compagnie n'avait même pas daigné gratter sa litière. Décidément,  c'était vraiment trop compliqué….

Trop c'était trop, je vis mon invité soudain prendre les yeux rouges et éternuer à chaque carte retournée en déclenchant même quelques larmes fétides.

« Mais vous êtes tout dérangé Monsieur…  Seriez-vous allergique au chat ?... à la chatte ?... Je suis désolée mais il va falloir s'arrêter là. Ce n'est pas le moment de consulter l'oracle. Et de le forcer surtout. Car les cartes sont capables de mentir, vous savez. Et le mensonge,  ça vous parle non ? Vous le sentez, le détectez  n'est-ce pas ? Vous ne le supportez pas comme toutes ces gens qui trichent autour de vous. Votre âme le sait mais vous vous complaisez dans ce désastre. Vous emboitez le même pas dans votre trépas. Vous vous enlisez dans votre palais… Voyez là comme vous étouffez dedans.  Changez vite votre bouche Monsieur ! Chez moi la poudre de perlimpinpin, ça n'existe pas et donc je ne peux rien faire pour vous.

J'ai écrasé ma bidî au fond d'un cendrier, rangé les cartes, ouvert les fenêtres et puis ma porte, en grand, en très grand. L'homme muet s'est sauvé sur la pointe des pieds. Quant à Junon, elle avait regagné le lit de ma chambre pour sombrer d'un sommeil réparateur. Je suis partie la rejoindre, épuisée moi aussi d'avoir perdu mon temps, dans un mauvais rêve sûrement.  

Quelle drôle idée aussi d'avoir voulu me fourrer le nez dans le thème astrologique du Président Macro'. D'un coup, je fus prise d'un violent éternuement…  grrr…. C'était clair de chez clair, j'avais dû m'choper un très mauvais courant d'air.   

  • J'ai adoré! Je retrouve là ton écriture et quelle écriture! Heureuse de te retrouver après tant d'absences!

    · Il y a presque 5 ans ·
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    Colette Bonnet Seigue

    • Cela me fait plaisir ton message Colette, tellement plaisir... Et connaissant ton talent, je cours vite te lire !

      · Il y a presque 5 ans ·
      Ange

      Apolline

  • Une histoire bien menée Apolline ! Bravo

    · Il y a presque 5 ans ·
    W

    marielesmots

    • Merci Marie de ton passage, toujours source de réconfort !

      · Il y a presque 5 ans ·
      Ange

      Apolline

  • Bonjour apolline,

    Une lecture fort intéressante, où l'on pourrait se permettre de dire qu'il y a des courants d'air qui ne fond que passer en laissant derrière eux, un calme apaisant !
    Anges et démons, sont parfois de mauvais génies !
    Merci pour ce texte.
    Note 5/5.
    CDC.
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    Au plaisir de te lire.

    © Paul Stendhal
    C.E. le dimanche 09 juin 2019

    · Il y a presque 5 ans ·
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    Paul Stendhal

    • Merci Paul pour tes mots fort intéressants également !

      · Il y a presque 5 ans ·
      Ange

      Apolline

    • Merci beaucoup apolline !

      · Il y a presque 5 ans ·
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      Paul Stendhal

  • Une très passionnante et très instructive séance ! Et éclairante d'actualité ! Euh... Vous croyez que le mec reviendra vous voir ?

    · Il y a presque 5 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

    • D'abord merci Astrov pour votre lecture !
      Non ce mec ne reviendra pas. Il ne supporte pas les femmes ou la Femme ahaha...

      · Il y a presque 5 ans ·
      Ange

      Apolline

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