Dans la rue

le-fox

- Un sou en moins, c’est toujours ça de perdu ! Venez assister à l’agonie de ma fortune ! Elle se meurt, elle est morte, elle emprunte l’esquif en partance pour Cythère !

- Holà, mon bon richard. Si je peux vous soulager d’une cigue ?

- Je ne donne pas aux pauvres. Vous m’auriez demandé une livre, encore.

- Ah ! Il faut toujours que je voie trop petit !

  De rage, il piétine un parterre de nivéoles. On ne le reverra pas : c’est un individu sans destin, un être plat.

Un temps. Un espace.

- Il paraît qu’un fou va se brûler la cervelle sur un tas d’or !

- Que dites-vous ? Un type sans cervelle qui brûle son or ?

  C’est vrai, il faut hurler. L’accordéon joue trop fort, et il y a des travaux dans la rue, le vacarme des agrafeuses est insupportable. Comme le locuteur est aphone et  que l’interloc est sourd, cela pose parallèlement des problèmes d’ordre sémiologique.

Un temps. Un espace.

- C’est un monsieur avec un crâne d’œuf qui le tenait d’un autre, pas le crâne, qui me l’a dit : il y aurait en ce moment de l’argent qui brûle les doigts.

- C’est bien possible. Mais il n’y a pas que l’argent : prenez une allumette, par exemple.

Un temps. Un espace.

- Alors je lui dis « docteur, j’ai le cœur gros », et lui qui me parle cardiomégalie, je lui réponds non, nostalgie, et vous savez ce qu’il me dit ?

- Il s’agit bien de vos états d’âme, quand un pyromane se promène en liberté.

- C’est bien ça, comment le savez-vous ?

  Elle en reste ébaubie, la dame aux états d’âme. Comment qu’elle savait elle, la concierge, ce qu’il avait répondu lui, le docteur ?

Un temps. Un espace.

- Il paraîtrait comme ça qu’un copeau aurait éventré un ébéniste, vous y croyez vous à ça ?

- Fariboles ! Celui qui vous a raconté ça, ben çui là il doit avoir des tarentules dans le bocal ! La vérité vraie, toute crue toute nue, c’est qu’un cintré fout le feu aux loges de concierges.

- M’en fous, je suis pas concierge. Je suis professeur de danse.

  Son tutu en taffetas rouge dénonce son état à l’observateur avisé. Sur un homme ça fait drôle, pense l’autre gars, et puis sa pensée dérive sans faire attention sur des considérations plus générales quant aux mœurs de certains.

Un temps. Un espace.

- Tout le quartier des Innocents est en feu ! C’est horrible épouvantable ! Vous voulez une barbe-à-papa ?

- Pas étonnant, c’est un quartier chaud. Probable que le pyromane aura confondu les filles follieuses et les concierges. Mais dites donc, vous n’êtes pas bourreau, vous ?

- Je suis bourreau, mais les affaires, c’est plus ça. Alors je vends des barbes-à-papa. D’où ma question de t’t’ à l’heure.

- Sale type ! C’est que je suis condamné, moi ! En plus j’aime pas ça, moi, , la barbe-à papa.

  Ils n’ont rien pour se plaire. Ils conviennent d’un duel sur le champ.

  Les mêmes. Plus tard. Plus loin. Il y a aussi un mecton qui clocharde à l’envers, il sort des brassées de liards de ses fouillouzes, veut les donner aux passants, mais ils n’en veulent pas les passants, c’est louche tout ça. Il ne manque pas de ténacité le gonze, il affiche le carbi, il éclaire la soudure, il étale l’auber, il aboule l’artiche. Je vais y foutre le feu, qu’il gueule, si ça continue.

  Les autres, ils se battent avec application.

  Dans l’air, il y aurait comme une odeur de crâmé.

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