Dans sa cave
raphaeld
Chaque dimanche, il remettait ça. Son rituel à lui… Il y tenait à ses courses de formule 1, tellement qu’il les partageait avec tout le quartier… Fini de roupiller le petit lotissement ! C’est l’heure sacrée des bolides ! Crissez, vrombissez ! Le boucan des moteurs nous titillait l’apathie… Tout le voisinage poussait des gémissements faiblards, couverts par ses gueulements. Il jubilait dans son canapé… Tout enfoncé bien au chaud dans ses pantoufles… Et allez que j’me ressers une lichette ! Une par tour et par bagnole ! Vrrooouuum ! File dimanche, avec le caoutchouc cramé sur le bitume, à toute vitesse !
Ah ça, quand y’avait des tonneaux, d’la glace en miettes, il le faisait savoir. Les plaintes de deux cent damnés bombardaient le voisinage ! La grande tragédie ! Oh mais… Miracle ! Une sphère de plastique intacte remue dans la ferraille bousillée… Le pilote émerge des décombres ! C'est un phénix ! C’est trop beau… Allez, un p’tit coup pour l’émotion !
Daniel c’était un brave type, un de ceux qu’on n’en fait plus. Jamais contrariant, toujours serviable. Ses mains de plombier elles ont trifouillé notre maison de fond en comble. Quand y’avait un pépin du genre bricolo, du cuivre ou du plomb, on se grouillait d’aller sonner à sa porte. On y était accueillis par son sourire, une trentaine de petits soleils jaunes… Des vapeurs de pinard qui émanaient rien que de ses yeux… Deux secondes ! Il s’éclipsait au fond d’un tiroir, réapparaissait en bleu. On le guidait, tout en salopette et mallette, vers notre petit problème. Il lui fallait pas longtemps pour constater, analyser.
« Ah ben c’est bien du travail de bougnoule ça ! »
Puis se retournait vers mes parents.
« Enfin, façon de parler… »
Il était pas raciste Daniel, il le précisait bien ; seulement ses expressions qui l’étaient… Pas lui qui les avait inventées après tout… Pas responsable… Tout rempli d’amour au fond… C’est vrai que ma mère il l’aimait bien ; il lui apportait des fleurs toutes les semaines.
Pute de vie ! Elle lui en avait fait baver en long en large en travers ; trop plein d’amour, voilà ce qu’il était et ça lui avait joué des tours. Y’en avait trop dans son cœur pour une personne alors il faisait les yeux doux à la bouteille… Seulement sa femme est devenue jalouse, elle supportait pas la manière que Daniel zieutait sa boisson. Elle a fini par se barrer, et le Daniel il s’est retrouvé tout seul avec sa cave bien garnie.
Quand je rentrais de l’école parfois j’voyais ses pieds sur la table, pour mieux s’enfoncer du liquide dans le gosier. Il trônait devant la télé, cerné par une cour de verre, des litres vidés prosternés à ses pieds…
Chez lui c’était recouvert d’une matière jaune qui collait aux doigts. Surtout sur les interrupteurs, les poignées des fenêtres. Dans ses élans de sobriété il pouvait tenir de la conversation sans trop verser du côté xénophobe malgré lui… Il s’épanchait en conseils pour la maison, proposait ses services… Pour pas grand-chose, à l’œil, ça lui faisait plaisir ! Il aimait bien prendre l’air, se dégourdir les guibolles ; le problème c’est que la boisson c’est une amante exigeante… Elle te matraque vite la gueule si elle se sent délaissée… Ouais, elle peut t’en faire résonner d’la matière d’entre les oreilles ! T’y vois plus rond !
Sa femme passait tout de même de temps en temps… Voir comment se portait son ancien mari… Alors fatalement on finissait par être au courant. Le ton montait tout seul, c’est comme ça les jalouses. Elle se cassait, claquait la porte sur Daniel perdu dans ses goulots. Ça se calmait après coup, de chez Daniel on n’entendait plus rien, la télé se taisait. On n’osait plus parler à voix haute. Silence religieux.
J’étais un môme et je connaissais rien aux problèmes des grandes personnes. J’ai pas compris quand je les ai vus tous les deux pleurer dans les bras l’un de l’autre, tout à coup réconciliés à l’église… Déposer des baisers sur le bois noir… Lui qu’était d’ordinaire si joyeux, un vrai Bacchus, là il payait pas de mine. D’ailleurs tout le monde tirait la gueule. Recroquevillés sur les bancs… Ils cherchaient des larmes au fond de leurs godasses… J’me suis mis à les narguer, je pouvais moi me faire chialer sur demande. Je leur ai bien montré à tous…
Plus tard j’en ai versé des larmes, des vraies cette fois. Même si je ne comprenais pas pourquoi… C’était de voir ces lumières rouges tournoyer à côté de chez moi, j’aimais pas ça le rouge. Sur le brancard y’avait Daniel, aussi calme qu’après les visites de son ex-femme. On a appris qu’il s’était brisé les vertèbres au bas des escaliers, dans la cave. Sous le nez de ses bouteilles. Son pied avait ricoché sur un goulot…
Au fond du salon la télé continuait de rugir, plus fort que jamais…
Y a une énergie étrange dans le début, un peu anarchique, déstructurée, mais avec un bon effet, curieusement. Je crois, faudra que je relise.
· Il y a presque 11 ans ·Enfin j'ai été surprise oui, Mais dans le bon sens, on rentre très vite dans une sorte de liesse, quelque chose de criard un peu gouaille qui plante bien le décor. Puis après y a cette espèce d'humanité qui transperce un peu partout, un personnage perceptible et proche, que tout le monde peut s'approprier je crois. y a pleiiiiiins ce choses, et je te garde ça pour un pack, mais fallait quand même que j'en dise un peu.
hel
<3
· Il y a presque 11 ans ·poulpita
Muooh :)
· Il y a presque 11 ans ·raphaeld
Si, si ! Pour les raisons qu'invoque Hel. C'est sensible, dense et plein de reliefs. Une signature, chez toi.
· Il y a presque 11 ans ·poulpita
"tout en salopette et malette", un personnage bien campé, qui existe, j aime beaucoup, un truc qui me chiffonne dans l avant avant dernier paragraphe ("pleurer dans les bras l un de l autre"..trop obscur pour moi) qui casse peut être un peu le rythme...une virgule entre "école" et "parfois" pour moi...mais une belle plume, ça c est sûr.
· Il y a presque 11 ans ·marjo-laine
Hmm non je ne suis pas d'accord pour la virgule, mais c'est vrai que celle d'après fait bizarre. Je garde tes remarques en tête, merci !
· Il y a presque 11 ans ·raphaeld
J'adore. Après la première lecture, j'vois rien à redire. Peut-être une ou deux virgules, et encore rien que pour moi. Ouaip jolie histoire mec
· Il y a presque 11 ans ·mark-olantern
Cimer marko !
· Il y a presque 11 ans ·raphaeld