De l'autre côté du fleuve

reverrance



De l'autre côté du fleuve, parviennent, étouffés, les bruits des habitations. La ville, peu à peu, s'éteint. Quelques foyers de lumière et de vie persistent encore. La nuit n'est pas totale. Il lui faut rester tapi.

De ce côté du fleuve, elle finit de ranger la pièce. Puis elle fera un peu de couture, attendant qu'il rentre. Elle n'aime pas quand l'heure du couvre-feu est dépassée depuis longtemps.

De l'autre côté du fleuve, à l'affût du moindre son, il reste immobile, face à la ville au loin. Il se nourrit de ce qu'il perçoit encore, à s'en graver des souvenirs pour les jours à venir. Le temps s'étire. Il sait pourtant que, bientôt, il devra, très vite, jaillir des taillis pour traverser la plaine.

De ce côté du fleuve, le pull est rapiécé. Elle l'attend toujours. Elle commence à raccourcir le pantalon du père. Il pourra, à son tour, le porter.

De l'autre côté du fleuve, au signal, une quinzaine d'hommes ont surgi de la nuit, filant vers la montagne, fuyant vers la frontière. Aussitôt, dans les secondes qui ont suivi, des tirs en rafale les ont accompagnés.

De ce côté du fleuve, elle a tressailli au bruit lointain. Cette nuit encore, des fils partiront pour une vie meilleure, des fils dont on ne sait s'ils reviendront.

De l'autre côté du fleuve, la nuit est retombée. Plus rien ne perturbe le silence. Au sol, l'ombre d'un corps endormi.

De ce côté du fleuve, elle a veillé jusqu'au petit matin, jusqu'à entendre enfler la rumeur jusque devant sa porte. Le pantalon est prêt, pour la sépulture du fils.



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