Décembre 2012

Mathilde Sellami

1 er Décembre 2012.

 

Je bondis de mon lit, extirpée de mes songes par un énorme coup de tonnerre. L’orage doit être juste au-dessus de l’immeuble car les vitres de mon appartement vibrent à chaque grondement. Mon réveil n’affiche que 2 heures du matin et ma bonne nuit de sommeil semble compromise par la météo.  J’allume la lampe de chevet et je me lève. Dehors c’est la tempête, la pluie martèle les volets et le vent s’engouffre par le moindre espace mal isolé, faisant bouger mes rideaux. Comme je suis réveillée, autant profiter du spectacle. Je remonte les panneaux en plastique et colle mon nez à la fenêtre. Les éléments sont déchainés. Des éclairs brisent l’obscurité, illuminant la ville.  J’adore l’orage mais jamais je n’en avais vu un d’une telle intensité. C’est tout simplement magnifique, puissant,  impressionnant. Je comprends que pendant l’antiquité plusieurs peuples aient attribué ce phénomène à l’œuvre d’un dieu.  Tout à coup la foudre tombe sur l’immeuble d’en face et puis, c’est le noir.

J’ouvre les yeux et je me rends compte que je suis étendue sur la moquette. Je ne comprends pas trop ce qu’il s’est passé et comment je suis arrivée là. La seule explication logique c’est que je me suis évanouie. Ma lampe de chevet est éteinte et à tâtons je cherche l’interrupteur  du plafonnier. Mais lorsque je le trouve, j’ai beau appuyer dessus, je reste dans le noir. Mon réveil est lui aussi éteint.  L’orage a surement fait disjoncter le compteur. Naviguant à l’aveugle, je cherche mon téléphone portable sur ma table de chevet. Mais le sort semble s’acharner sur moi, car lui non plus ne fonctionne pas. Bizarre… Je sors de ma chambre. Mon but : arriver à la porte d’entrée car, sur les clés que j’ai laissées dans la serrure, j’ai une petite lampe dynamo. Je traverse mon salon, me cognant au passage dans le canapé puis dans la table basse. Il ne fait aucun doute que cette nuit me laissera des marques. Et boum… une chaise. L’orage gronde toujours aussi violemment et de temps en temps la foudre éclaire la pièce me permettant de me repérer un peu plus facilement. Mes doigts touchent enfin le métal froid de la poignée. J’attrape mes clés et trouve la petite lampe. Je tourne la manivelle et l’allume. Maintenant que j’ai un peu de lumière il ne me reste plus qu’à sortir sur le palier pour trifouiller le compteur. J’ouvre la porte et je me retrouve nez à nez avec mon voisin, Antoine. Surprise je sursaute tout comme lui. Ses yeux sont rouges, il devait surement encore être collé devant son ordinateur ou sur la console. Son visage est éclairé par la lumière vacillante d’une bougie qu’il tient dans sa main droite ce qui déforme ses traits. Il ressemble à un tueur psychopathe de film d’horreur, ce qui ne m’aide pas à calmer les battements de mon cœur.

-          Tu m’as fait peur ! s’exclame-t-il.

-          Et moi donc. Plus d’électricité chez toi ?

-          Non… Et ça ne vient pas du compteur. Je pense qu’il s’agit d’une panne de secteur. Les lampadaires dans la rue ne sont pas allumés.

Les lampadaires…  Je n’avais même pas remarqué qu’ils ne fonctionnaient pas.

-          J’étais tranquille à jouer à la console et puis je suis tombé dans les vaps et quand je me suis réveillé, plus rien ne marchait. M’explique Antoine.

-          Attend tu t’es évanoui ?

-          Oui.

-          C’est trop bizarre moi aussi.

Laurie la petite amie d’Antoine apparaît alors dans l’encadrement de la porte.

-          Alors comme ça, on est trois à être tombés dans les pommes. Dit-elle. Ton téléphone portable marche ?

-          Non.

J’essaie de ne pas le montrer mais je commence à être inquiète.  S’il n’y avait eu que la panne de courant… Mais nous sommes trois à nous être évanouis en même temps, et ne pas comprendre pourquoi, m’angoisse terriblement. Des scénarios défilent dans mon esprit. J’imagine des extra-terrestres débarqués, ou alors, nous venons d’entrer dans la troisième guerre mondiale et un pays mal attentionné vient de tester une nouvelle arme sur nous. J’ai toujours eu une imagination débordante et un flot d’hypothèses inonde mon cerveau. Je pense même à la soit disant fin du monde prédite pour bientôt. Prophétie que j’ai toujours trouvée ridicule. Là, c’est moi qui devient ridicule, il faut que je me ressaisisse, il ne s’agit que d’une panne de secteur rien de plus. Du moins j’essaye de m’en convaincre pour me rassurer.  Des pleurs  de bébé résonnent dans la cage d’escalier. Je tourne le faisceau de ma lampe vers les marches et Charlotte, ma voisine du dessous, surgit de l’obscurité avec son enfant dans les bras.

-          Je n’osais pas sortir et je vous ai entendu. Dit-elle d’une voix tremblante.  L’orage m’a empêchée de dormir, et puis j’étais dans la cuisine pour préparer le biberon de Sarah et là je ne sais pas ce qui s’est passé mais je me suis réveillée la tête contre le carrelage.

-          De plus en plus bizarre… Constate Laurie.

S’il y avait du courant, je serais tout de suite allée sur Google, et j’aurai tapé « qu’est ce qui peut faire s’évanouir quatre personnes en même temps ». Mais sans électricité, impossible de me servir de mon ordinateur, impossible d’allumer la télé pour regarder les infos. Et comme mon téléphone mobile ne fonctionne pas non plus, je ne peux pas contacter mes proches, je ne peux pas contacter Cédric mon petit ami. L’idée d’être coupée de tous ceux que j’aime me fait frissonner.

 D’autres voisins nous rejoignent. A tous il est arrivé la même chose. La violence de la tempête les a réveillés et puis sans raison, ils ont sombré dans l’inconscience. Personne n’a d’explication logique, j’ai l’impression d’être dans un film de science-fiction et, il n’y a pas que cet évanouissement général qui soit troublant. Le fait que nos appareils électriques indépendants ne marchent pas non plus est inquiétant. Une banale coupure de courant n’aurait touché que les appareils branchés en réseau.

-          Je pense qu’on devrait attendre que la tempête se calme, peut-être qu’il y aura du courant dans quelques heures. Propose Antoine.

-          Oui, je retourne sous la couette. Dit Laurie en disparaissant dans l’appartement.

Charlotte se tourne vers moi et me demande si je peux venir chez elle. Elle a peur toute seule. En gentille voisine, j’accepte de lui tenir compagnie. Elle m’installe sur son canapé avec un oreiller et un plaid. Quoi de mieux pour rester éveiller que les pleurs d’un bébé, combinés aux grondements de l’orage, sans compter mon inquiétude grandissante. Mais au bout d’une heure qui me parait interminable, le silence règne dans l’appartement et je sombre dans les bras de Morphée.

C’est le froid qui me réveille. Apparemment il n’y a toujours pas d’électricité et il n’a fallu que quelques heures pour que, sans chauffage, le petit trois pièces de Charlotte devienne un vrai frigo. Je n’entends ni pluie, ni orage. Tout est calme. Des coups résonnent à la porte. Encore dans la brume, j’aperçois une forme passer devant moi,  puis j’entends les bruits d’une clé qu’on tourne dans une serrure. Antoine est sur le pallier, je reconnais sa voix.

-          Il n’y a plus d’électricité du tout dans la ville ! C’est la merde !  Y’a des abrutis qui commencent à piller les magasins. Et ma voiture ! Elle ne démarre plus et y’en a plein qui sont abandonnées dans la rue. Le seul conseil qu’ils m’ont donné, c’est de rester bien enfermé chez nous.

Il a l’air complètement paniqué. Je me redresse d’un coup et je viens me poster à la porte où je commence à le questionner.

-          Comment ça des voitures abandonnées ?

-          Bah ouais, la plupart ne démarre pas. Je n’en  ai vu que quelques une rouler. Je suis descendu au poste de gendarmerie. Et bien ils ne savent rien et ils sont incapables d’expliquer ce que c’est que ce bordel.

Mon cœur se met à battre la chamade dans ma poitrine. Cédric, Cédric ! Il faut que je rejoigne mon homme. Et si je pars le chercher et qu’il en fait de même, et que nous ne nous retrouvons pas sur la route ? Mille et une pensée traversent mon esprit, toutes plus mauvaises les unes que les autres. Les gémissements de Charlotte me font redescendre sur terre.

-          Mais qu’est ce qu’on va faire ?

-          Attendre. Répond Antoine. Et si on sort faut faire gaffe.

Que faire ? Sortir et marcher pendant une heure jusqu’à l’immeuble de Cédric où rester là à tourner en rond ?  Si je reste ici j’ai plus de chance de le retrouver, je sais qu’il viendra, du moins je l’espère de tout mon cœur.

La décision prise, un autre problème majeur s’impose à nous. Nous réchauffer. Je commence à ne plus sentir mes orteils, et Charlotte s’inquiète pour son bébé. Nous décidons déjà de rester dans le même appartement, puis Laurie et Antoine partent chercher leur réchaud de camping. Moi, je vais dans mon studio pour prendre d’épaisses couvertures, tout en proposant aux autres voisins que je croise, de venir se joindre à nous.

Nous passons la journée assis sur  le canapé,  emmitouflés sous des couettes à boire du thé chaud, grignoter ce que les uns et les autres ont apporté et surtout à attendre qu’il se passe quelque chose. Surement le jour le plus long et le plus glacial de ma vie. Plus les heures passent, plus je commence à perdre patience et à ne pas voir l’intérêt de rester comme ça sans rien faire. Je m’apprête à bouger lorsque des voix se font entendre derrière la porte d’entrée,  et puis quelqu’un frappe. Charlotte ouvre. Un soldat se tient là, dans son treillis, arme à la main.

-          Madame… désolé de vous déranger mais nous avons ordre de vous évacuer. Dit l’homme.

-          Hein quoi ? S’étonne Charlotte.

-          Il n’y a plus de courant dans toute la ville, et les températures sont en chute libre. Pour éviter tout incident nous allons vous déplacer dans un lieu convenablement chauffé.

Nous essayons de protester, mais le soldat commence à se faire menaçant, d’ailleurs, il est accompagné de cinq collègues, alors nous finissons par les suivre docilement, après avoir pris quelques affaires. La concierge du rez-de-chaussée leur donne du fil à retordre mais elle finit elle aussi par obtempérer.

Ils nous font grimper dans un camion qui démarre pour nous emmener je ne sais où. Antoine avait raison. Les vitrines des magasins ont été explosées, certaines boutiques sont même en feu. J’entrevois parfois des militaires tenter de maitriser des groupes armés de pieds de biches, de barres de fer, de marteaux et de d’autres outils. Une nuit a suffi pour déstabiliser l’ordre établi ce qui explique la présence de l’armée.  Je ne reconnais plus ma ville. Nous arrivons devant un gymnase, où l’on nous fait rentrer. Des groupes électrogènes chauffent le bâtiment et nous sommes à peu près 500 civils à être entassés. Ce qui est sur au moins, c’est que nous n’aurons pas froid. Le confort est minimal, l’armée a installé des lits de camp ainsi qu’un petit buffet où l’on nous sert de la soupe. Laurie, Antoine, Charlotte et moi restons groupés. Mais certaines personnes n’ont pas l’intention de jouer les moutons et veulent plus d’explications. La tension commence à monter contraignant un soldat à prendre un porte- voix pour calmer les esprits.

-          Mesdames, messieurs, je vous demande le silence pour m’écouter quelques instants.

Très vite, les bruits de la foule se changent en murmure.

-          Je suis le lieutenant  Marc Frezer. Hier,  un très violente orage a frappé votre ville et déclenché une IEM.

Tout comme la plupart des civils je reste bloquée sur le terme d’IEM. Le lieutenant semble s’en apercevoir et s’empresse de nous donner des explications.

-          Une IEM est une impulsion électro magnétique. Habituellement l’orage ne déclenche que de petites perturbations, mais celui-ci était très violent au point même de vous faire perdre conscience. La réparation des installations électriques peut prendre plusieurs jours et en attendant que la situation revienne à la normale, nous vous garderons ici pour que vous ne subissiez pas le froid. Les autres habitants de la ville sont répartis dans différents lieux publics.

L’autre raison probable de ce confinement que le lieutenant n’évoque pas c’est d’éviter les débordements et les pillages qui comme j’ai pu le constater, ont déjà commencé. Bien que j’aie la forte impression que l’on nous cache quelque chose d’important ; comme tous les autres, je me tais , et je m’allonge sur le petit lit inconfortable.  Je mets le nez dans un bouquin que j’ai pris soin d’emporter, mais j’ai du mal à me concentrer sur ma lecture. Je suis très vite agacée par les ronflements de mes voisins et commence à m’apitoyer sur mon sort en pensant que la situation ne peut pas être pire. Mais je me trompe…  Quelques instants plus tard, le sol commence à trembler.

2 Décembre 2012.

 

La terre tremble encore. C’est la troisième fois depuis hier. La première fois, la foule rassemblée dans le gymnase a paniqué. Les séismes sont plus que rares en France et même si pour l’instant les secousses sont d’une faible intensité, sentir le sol vibrer reste impressionnant. Il doit être environ 10h et je suis complètement épuisée. Le bébé de Charlotte n’a pas arrêté de pleurer et il était loin d’être le seul. Laurie et Antoine supportent mieux que moi d’être confinés avec un tas d’inconnus. Je n’arrête pas de penser à Cédric. Où est-il en ce moment ? Que fait-il ? J’espère que nous serons bientôt réunis. Je décide d’aller dehors, histoire de prendre un peu l’air. Les militaires ne nous laissent sortir que sur le terrain d’athlétisme dont le contour est grillagé et ils ne nous lâchent pas des yeux. J’ai l’impression d’être prisonnière.

 Le ciel menace à tout instant d’éclater mais cela me fait du bien de marcher un peu.  A part moi, seuls les fumeurs ont osé braver le froid et errent sur le terrain comme des fantômes. C’est un drôle de dimanche. Habituellement je réserve ce jour pour une petite virée chez ma mère. Elle habite à la campagne, à 1h30 d’ici, peut-être qu’elle n’a pas été touchée par le tremblement de terre, enfin je l’espère, car bien sur, je n’ai aucun moyen de savoir si tout va bien pour elle.  Je commence à frissonner et à contre cœur je rentre dans le gymnase. Je fais un petit détour par le buffet où une femme en treillis me sert un très mauvais café, puis je retourne sur mon lit de camp inconfortable. Je reprends la lecture de mon livre. Il ne me reste que quelques pages avant que je ne sois confrontée à l’ennui et je les parcours vite, trop vite.  Bien que l’armée propose quelques animations aux enfants (jeux avec des ballons…) pour les adultes, à part compter les heures, il n’y a pas grand-chose à faire.

Le repas du midi brise les minutes interminables. Au menu, des pâtes… Je fais la queue avec Antoine et nous prenons chacun deux assiettes, pour Laurie et Charlotte.  Nous retournons ensuite dans notre petit coin pour déguster nos coquillettes. Elles sont collantes et sans saveur, mais ça se mange. Je m’apprête à enfourner une nouvelle fourchette dans ma bouche lorsque tout se remet à trembler. Mais cette fois ce n’est pas une petite secousse… J’ai l’impression que les entrailles de la terre se déchirent sous mes pieds. Les grand lustres en métal, accrochés au plafond se décrochent et viennent lourdement s’écraser sur le sol. Le bâtiment est vieux et ne résiste pas. Les murs se fissurent à une vitesse fulgurante. C’est la panique. Tout le monde se précipite vers les sorties. Je me fige de terreur lorsque je m’aperçois que dans la bousculade Charlotte est tombée avec son bébé dans les bras. Personne ne s’arrête pour l’aider c’est tout juste si les gens ne lui marchent pas dessus. Alors je me précipite vers elle. Je prends la petite Sarah dans mes bras. Elle pleure et crie, mais miraculeusement elle n’a rien contrairement à sa mère qui est inconsciente. Comment les sortir de là ? J’entends le plafond craquer, il va surement s’écrouler d’un instant à l’autre. Alors je me mets à crier désespérément

-          S’il vous plait, s’il vous plait aidez-moi !

Un militaire s’arrête. Il ne me demande pas quoi faire. Il soulève Charlotte et commence à la porter vers la sortie. Il est plutôt costaud  et il progresse rapidement. Boum un morceau de plâtre passe à 2cm de mon visage.  A mon tour je panique et je me précipite vers la sortie. Je ne pense plus qu’à sauver ma peau et celle de la petite chose que je tiens serrée contre moi. Je cours aussi vite que mes jambes peuvent me porter et je me retrouve en très peu de temps dehors. Je guette la porte pendant des secondes qui me semblent une éternité et l’homme costaud apparaît enfin. Il s’approche de moi, Charlotte toujours dans ses bras et nous contemplons tout deux le gymnase en train de s’écrouler. Un nuage de poussière nous englobe. Je tousse, je crache et j’essaie de protéger le bébé. J’avance à petit pas pour sortir de cette brume de gravats. De l’air vite . . .  Il me faut de l’air. Je ne peux pas courir, je commence à suffoquer… Le bébé, je ne sens plus le bébé respirer. Quelqu’un m’attrape le bras et me tire. Je me laisse trainer sur plusieurs mètres, mes yeux y voient de plus en plus clair et de l’air s’engouffre de nouveau dans mes poumons. C’est le grand costaud qui tient mon bras, il porte Charlotte sur son épaule, comme si elle était légère comme une plume. Il l’étend doucement sur le sol. Sans réfléchir je lui tends la petite Sarah. Submergée par l’émotion, je ne peux retenir mes larmes tandis que le militaire pratique un massage cardiaque sur le bébé. Une minute…. Elle ne respire pas…Deux minutes… Elle ne respire pas… elle… elle pleure. Je n’y crois pas, le grand brun l’a ramenée à la vie. Je remarque alors que son front est perlé de sueur.

-          C’était moins une. A-t-il soufflé.

-          Merci, merci.

Il me tend Sarah, que je prends dans mes bras. Je suis si heureuse que son cœur batte encore. Elle braille à m’en casser les oreilles, mais je m’en moque, elle est en vie. Je détache mes yeux de son petit visage d’ange et je regarde autour de moi.  Ma joie laisse rapidement place à l’horreur. Une vision apocalyptique s’offre à moi. Des gens courent, hurlent, pleurent. Beaucoup  sont recouvert de poussière grise à laquelle se mêle parfois du sang. Des débris de parpaings et de bétons jonchent le sol. Sous certains d’entre eux, on aperçoit une jambe, un bras, une main, un torse.  Le militaire me recommande de ne pas bouger. Il se lève et cherche à apporter de l’aide, autant qu’il peut. 

En quelques secondes, des secours s’organisent déplaçant des gravats, soignant les blessés. Je suis assise en tailleur sur  un bout de trottoir, avec le bébé dans les bras et je me sens complètement inutile face à ce désastre. Charlotte est toujours inconsciente, mais sa poitrine se soulève, signe qu’elle est encore en vie.

Une heure passe peut-être deux. J’ai l’impression de vivre un cauchemar, tout ça ne peut pas être réel. Il n’y a jamais eu de séisme de cette ampleur  en France. Mais si, pourtant tout ça est bien vrai. Nous sommes le 2 décembre 2012  et notre pays vient d’être secoué (c’est peu de le dire) par une catastrophe naturelle. Soudain j’aperçois le grand brun. Il se dirige vers moi, des bouteilles d’eau à la main.

-          Vous avez soif ? Me demande-t-il.

-          Oui merci…

Je prends la bouteille qu’il me tend et je donne un peu de ce précieux liquide à Sarah qui cesse pendant un bref instant de pleurer, puis je pense aussi à ma voisine. Je rince son visage plein de poussière et du bout des doigts j’humecte ses lèvres. Enfin à mon tour, je bois à grosses gorgées. Une fois désaltérée, je demande au militaire ce qu’il se passe.

-          Je n’en sais pas beaucoup plus que vous. M’explique –t-il d’un air désolé. Apparemment je ne suis pas assez gradé pour connaître la vérité. Tout ce que l’on m’a dit c’est que de nombreuses grandes villes de France ont été touchées. Nous sommes en train de préparer un site d’évacuation près d’une ferme à 25km d’ici.

J’acquiesce ne sachant pas quoi ajouter. Je ne veux pas partir d’ici. Pas sans Cédric. Mais comment le retrouver dans cet endroit en ruine. J’entends alors le vrombissement d’un moteur. De gros camions militaires font leur apparition. Des soldats en descendent et commencent à faire monter des civils à bord. Je pensais avoir un peu plus de temps pour prendre une décision, mais l’évacuation est en marche. Alors j’explique au grand brun que je ne peux partir, que mon homme est ici quelque part.

-          Je ne peux pas vous laisser ici, seule, les ordres sont des ordres Mes parents aussi sont quelque part dans cette ville mais je n’ai pas le droit de partir à leur recherche… M’annonce-t-il.

Je n’ai pas la force de courir pour m’enfuir et c’est à contrecœur que je grimpe dans ce fichu camion. Le grand brun qui m’a dit s’appeler Aatif monte dans un autre véhicule avec Charlotte et le bébé. Je ne le connais pas mais je lui fais confiance. Après tout il a risqué sa vie pour sauver ma voisine qu’il ne connaissait pas. Me voilà donc entassée avec un tas de d’inconnus. Je ne sais pas où sont passés Laurie et Antoine. Ils se sont enfuis si vite de la salle de sport j’espère qu’ils vont bien. Sur le trajet je ne peux m’empêcher d’écouter la conversation de mes voisins. Ils disent que les mayas avaient raison, ce mois de décembre sera le dernier. Je me refuse à y croire, surtout que cette civilisation a prédit un renouveau, un grand changement, pas une fin absolue de l’humanité et puis les tremblements de terre ne sont pas un phénomène nouveau.

Il ne faut pas longtemps avant que nous arrivions à la ferme. De nombreuses tentes militaires ont été plantées dans les champs et des lits de camps ont été installés dans le hangar. Je me sens très vite sale. Le passage des camions et la foule a rendu le sol boueux. J’ai un peu l’impression d’être dans un camp de concentration pendant la seconde guerre mondiale. Enfin je suis libre… Quoique si j’ai bien compris je n’ai pas le droit de partir.

Après avoir tourné en rond un moment, je finis par retrouver Aatif. Il est à l’infirmerie improvisée, avec Charlotte et la petite Sarah. Il voulait s’assurer que le bébé et sa maman étaient  bien installés. Il m’accompagne  pour faire le tour du campement de fortune. J’espère retrouver Cédric, mais les visages défilent sans que le sien ne se dessine parmi tous ces étrangers. Le militaire ne trouve pas ses parents non plus. Alors je finis par chercher un endroit à peu près calme  au fond d’un hangar où je prends place sur un lit inconfortable.  Je n’ai rien d’autre à faire que d’échafauder un plan d’évasion. Il n’est pas question que je reste ici. Il n’est pas question que je reste sans nouvelle de Cédric. Dès qu’il fera noir et que les gens commenceront à s’assoupir je me faufilerai dehors et marcherai jusqu’à la ville. J’en aurai surement pour plusieurs heures mais, je n’ai aucune raison de rester ici.

La nuit  glacée tombe très vite. J’ai beau être emmitouflée dans un gros sac de couchage, mes membres s’entrechoquent et mes dents claquent.  Je commence à penser que ce n’est pas une si bonne idée de partir. Mais cette situation est peut-être loin d’être terminée. Je ne peux pas rester seule dans ce trou, loin de ceux que j’aime. Et ce n’est surement pas ici que j’obtiendrai des explications sur ce qui se passe vraiment. Des ronflements s’élèvent dans la pièce, il est temps de m’évader.

Sortir du hangar est facile, mais une fois dehors j’ai l’impression d’être aveugle. Les nuages sont si épais qu’aucun rayon de l’astre lunaire n’arrive à les percer. Heureusement pour moi, j’ai ma petite lampe dynamo dans ma poche. Je ne peux pas l’allumer tout de suite, il n’y aurait rien de mieux pour me faire repérer. Mais il semble que dans mon malheur je sois chanceuse. Des militaires  se réchauffent dans un pick-up, et ils ont allumé les phares qui sont dirigés droit vers la sortie.  Je suis les faisceaux sans pour autant m’exposer en pleine lumière. Mon cœur bat la chamade, j’ai l’impression qu’il va exploser. Et puis sans que je m’en rende compte, je me retrouve sur la route, loin de la ferme. Je jette un coup d’œil derrière moi pour vérifier que personne ne me coure après. Mais non, il n’y a pas âme qui vive sur mes talons, je suis seule dans le froid, je suis seule dans le noir. J’allume ma lampe, je prends une grande inspiration et je commence à marcher.

Très vite, je me sens oppressée par le silence et le froid. Je suis si seule que je songe à faire demi-tour. Je ne suis pas Wonder-Woman, je suis juste moi et je me demande bien ce qui m’a pris de me lancer dans une mission de sauvetage. D’ailleurs peut-être que Cédric n’a absolument pas besoin de mon aide. Je suis tellement perdue dans mes pensées que je n’entends pas tout de suite le véhicule qui me suit, ce n’est que lorsque je me retrouve dans le champ de ses phares que je réalise que je ne suis pas seule sur la route. La peur s’empare de moi et bien que cela ne me serve à rien, je cours. Il ne faut pas longtemps à la jeep pour arriver à ma hauteur. Je cours toujours lorsque le conducteur ouvre sa vitre.

-          Lisa, arrêtez-vous.

Je sursaute en reconnaissant la voie d’Aatif et je trébuche. Je m’étale par terre de tout mon long, m’égratignant le menton contre le bitume. Le militaire stoppe aussitôt son véhicule et descend pour m’aider à me relever. Lorsqu’il se rend compte que je n’ai rien de grave il commence à m’enguirlander.

-          Mais qu’est-ce que vous fichez ? Vous imaginez que vous pouvez gagner la ville toute seule, à pieds ? Mais vous êtes folle où quoi ?

Il n’a pas tort, je me suis laissée emporter par une pulsion d’aventurière… Je mets quelques secondes avant de lui répondre.

-          Je ne peux pas rester là-bas. Il faut que je le retrouve…

-          Mais toute seule c’est de la folie ! Hurle-t-il.

Il semble vraiment contrarié. L’expression de son visage trahit que son esprit est entrain de cogiter à cent à l’heure.

-          Je viens avec vous. Déclare-t-il.

J’essaie de ne pas le montrer, mais je suis ravie.  J’aurai surement plus de chance d’arriver à mes fins avec ce grand costaud et au moins je serai en sécurité surtout qu’il est armé. Je grimpe côté passager et Aatif prend le volant. Le trajet qui m’aurait surement pris des heures à pieds ne nous prend qu’une vingtaine de minutes. La petite citée dans laquelle j’ai habité pendant trois ans ne ressemble plus qu’à une ville fantôme. Les bâtiments sont en ruines, les rues sont désertes, tout semble mort. J’indique le chemin à mon compagnon de route. Souvent nous sommes obligés de faire demi-tour à cause des débris qui obstruent le passage. Dans une ruelle, nous apercevons quelques hommes. Ils sont réunis autour d’un grand baril dans lequel ils ont fait un feu. Ils sont sans doute passés au travers du filet des militaires durant l’évacuation. Nous ne nous approchons pas, de peur qu’ils convoitent notre véhicule en état de marche.  Remarquant que le compteur du réservoir d’essence descend à vue d’œil, nous décidons de continuer à pieds. Dans le coffre de la jeep, il y a tout un matériel de survie. Bouteilles d’eau, masques à gaz, sacs de couchage, barres protéinées et sachets de nourriture déshydratée. Mais la seule chose que nous prenons avec nous sont deux grosses lampes à leds.

Nous venons à peine de faire cent mètres lorsque quelque chose se met à tomber du ciel.  On dirait de la neige. Très vite je me rends compte qu’il ne s’agit pas de simples flocons et j’ai de plus en plus de mal à respirer.  La matière s’infiltre dans ma gorge et dans mes poumons. Je tends ma main et saisi une particule de cette étrange substance. C’est gris, c’est épais, c’est de la cendre.

3 Décembre 2012.

J’ouvre les yeux. J’ai quelque chose sur la tête, on dirait un masque. Je porte les mains à mon visage pour retirer cette chose gênante, mes deux bras m’agrippent aussitôt.

-          Non ! Ne le retire pas !

Je me tourne sur la droite et je sursaute. Aatif  est assis derrière le volant et il porte un masque à gaz.

-          Surtout ne l’enlève pas, sinon tu vas retomber dans les vaps. J’ai bien cru que tu n’allais pas te réveiller. Me confie le militaire d’une voix un peu déformée.

-          Mais qu’est-ce qui s’est passé ?

-          La cendre, tu étais en train de t’asphyxier.

-          La cendre ?

-          Oui. Regarde.

Du doigt il me désigne le paysage. Des flocons gris tombent du ciel et forment une couche épaisse d’au moins cinq centimètres sur les bâtiments, les voitures, la route.

-          Merde. C’est Pompéi  où quoi ?

-          Franchement je ne sais pas ce qui ce passe. C’est peut-être la fabrique de textile qui a brulé. Je n’arrive pas à avoir un signal net sur ma radio, impossible d’avoir des infos. Et on ne peut pas enlever nos masques dans la jeep, y’a des trous dans la toile du toit. Me dit Aatif.

Je ne dis rien à mon compagnon de route, mais j’ai le sentiment que toutes ces cendres ne sont pas dues à un bâtiment en feu. Bien sûr je ne suis pas une experte, je n’ai vu ça que dans les films. Des films où des volcans se réveillaient et déversaient leurs torrents de cendres brûlantes sur le monde des vivants. Aatif m’interrompt dans mes réflexions et me propose de chercher Cédric ainsi que ses parents. Nous ne devons pas trop nous attarder ici.

Après avoir bu et grignoté des barres protéinées, nous enfilons chacun un k-way pour éviter d’être recouvert de cendres. Une fois équipés nous commençons à marcher dans cet univers apocalyptique sans croiser âme qui vive.  20 minutes plus tard, nous arrivons devant l’immeuble de Cédric. Il est en piteux état. La plupart des fenêtres sont brisées, les murs sont fissurés en de nombreux endroits. Je commence à me diriger vers l’entrée, mais Aatif m’attrape par le bras. Il ne veut pas que je rentre dans ce bâtiment qui, comme il le dit « menace de s’effondrer à chaque instant ». Mais je me dégage  et je fonce droit sur la porte d’entrée.  Il n’a pas le temps de me rattraper, je suis déjà en train de monter les vieilles marches en bois lorsqu’il rentre dans l’immeuble. Je grimpe les trois étages aussi vite que je le peux, faisant craquer le vieil escalier en bois. J’arrive sur le palier de l’appartement numéro 14. La porte d’entrée n’est pas verrouillée. Je rentre dans le petit T2 et je constate rapidement que Cédric n’y est pas. Dans le fond je ne suis pas si étonnée, je me doutais qu’il ne serait pas là. Mais je sais aussi que je m’en serai voulu si je n’avais pas tenté de le retrouver. En fouillant un peu je me rends compte que son sac de voyage n’est plus dans le placard, ainsi que quelques-uns de ses vêtements. Il a dû partir bien avant le tremblement de terre. Et puis tout à coup je me sens bête. Cédric a pris ses affaires, il est parti et il n’a sans doute même pas pensé à me retrouver, et moi qui me suis lancée à sa recherche…  Enfin peut-être que je me trompe, peut-être qu’il me cherche quelque part. Mais il faut que je pense à moi, à ma propre survie et surtout j’ai envie de comprendre ce qui se passe. Aatif m’appelle et me demande si tout va bien. Je lui réponds que oui, et je prends les escaliers. Une boule se forme dans ma gorge et les larmes me montent aux yeux.  J’accélère ma descente, et tout à coup crac . . . la marche se brise sous mes pieds et je tombe. J’ai l’impression qu’on déchire mon corps. Je suis coincée à la hauteur de la poitrine, mes jambes balancent dans le vide et des morceaux de bois m’entaillent le dos. Je hurle de douleur et j’essaie désespérément de m’accrocher à la rampe d’escalier, mais mes mains sont moites et je glisse. La douleur m’envahit et mes muscles se crispent. Deux puissantes mains saisissent mes poignets  et me hissent tant bien que mal en dehors de ce trou. L’opération est une vraie torture, le bois me lacère le dos dans l’autre sens. Et puis je me retrouve allongée sur les marches.

-          Ça va ? Me demande Aatif.

-          Mon, dos, j’ai mal.

Mon sauveur me tourne légèrement sur le côté et laisse échapper un juron, mais lorsque je lui demande ce qu’il y a il me conseille simplement de ne pas bouger. Il se redresse et descend prudemment les escaliers jusqu’au palier suivant. Je l’entends forcer la vieille porte en bois de l’un des appartements. Il revient très vite auprès de moi, une paire de ciseaux dans la main, de l’alcool, du coton et des pansements dans l’autre. Il pose ça à côté de moi et retourne dans l’appartement. Il revient cette fois les bras chargés de vêtements.

-Ne bouge surtout pas ! M’ordonne le militaire.

Il attrape les ciseaux et je l’entends découper mes vêtements dans le dos.

-          Lisa, il faut que tu sois forte, ça va faire un peu mal.

Je sens ses doigts se promener sur mon dos et toucher quelque chose qui n’a rien à faire là. Il tire dessus. « Un peu mal ? », le mot était faible. J’ai l’impression qu’il m’arrache la peau. Je hurle et me tortille  dans tous les sens.

-          Ne bouge pas Lisa. Me supplie Aatif.

De nouveau il retire quelque chose, sans doute un morceau  de bois de cet escalier pourri. Je hurle et me contrôle tant bien que mal pour ne pas bouger.

-          C’est presque fini, je vais désinfecter.

Le contact de l’alcool avec ma chair à vif est tout aussi douloureux, ça brûle, j’ai l’impression qu’un feu me consume de l’intérieur. Aatif m’applique des pansements puis il m’aide à me relever. Mes jambes vacillent quelques instants mais j’arrive à rester droite.  Mon masque est tellement embué que je ne vois plus rien. Je l’enlève rapidement en bloquant ma respiration pour l’essuyer  et je m’aperçois que mon manteau esttout déchiré. Je le soulève et constate que mon ventre est tout égratigné. Mon dos découvert me fait frissonner. Aatif me tend des vêtements et  en grand gentleman se retourne  pour que je me change. J’enlève le tissu en lambeaux que je porte. L’opération est délicate car, à certains endroits le textile est collé à ma chair. J’enfile ensuite un pull et une grosse doudoune. Ils ne sont pas vraiment à ma taille, mais au moins ils me tiennent chaud. Je ne change pas mon jean, qui a bien tenu le coup. Mais il me manque une chaussure. Mon sauveur retourne fouiller l’appartement après m’avoir demandé ma pointure et en revient avec une paire de baskets qu’un chien a surement mastiquée. Tant pis, je n’ai pas le choix, je chercherais mieux plus tard, l’essentiel c’est qu’elle soit à ma taille.

-          Il faut que tu voies un vrai médecin, le bois est rentré profond. Je pense que tu as besoin de points de suture. M’informe Aatif.

Il m’aide à descendre l’escalier, prenant soin de vérifier chaque marche pour éviter tout nouvel incident. Nous arrivons dehors. Je me retourne une dernière fois vers l’immeuble. Il est temps que je trace ma route et que je me soucie de moi. La cendre ne tombe plus, mais nous devons quand même garder nos masques car chaque pas que nous faisons soulève des particules qui pourraient nous tuer. Le trajet jusqu’à la jeep est interminable, et lorsque je prends enfin place sur le siège passager, j’ai l’impression d’être vidée de toute énergie et la fatigue de ma nuit blanche s’abat sur moi d’un coup. Après avoir vidé une bouteille d’eau pour hydrater ma gorge desséchée, je sombre dans un demi-sommeil comateux. De temps en temps je sors de ma léthargie pour m’apercevoir que nous sommes encore dans la ville et qu’Aatif s’arrête dans différents endroits.  Un moment je le vois disparaître dans une pharmacie dont le store métallique a été défoncé. Il en ressort les bras chargés. A peine a-t-il repris le volant que je m’endors de nouveau.

C’est un coup de frein brutal qui me réveille pour de bon. Aatif a violement pilé devant un immeuble.

-          C’est là qu’habitent mes parents ! S’exclame-t-il.

Il sort de la jeep et rentre dans le bâtiment qui semble avoir plutôt bien résisté au séisme. Je ne le suis pas, je n’en n’ai ni le courage, ni la force. Les minutes passent et il n’est toujours pas là.  Je remarque alors que quelque chose bougé à quelques mètres sur la route. Ça se rapproche doucement et je distingue à présent qu’il s’agit de trois hommes. Ils portent de grosses parkas à capuches, et des lunettes de ski. Pour protéger leurs bouches et leurs nez, ils ont mis des  masques comme on en utilise pour faire des petits travaux de peinture, l’un deux n’a même qu’un simple foulard.  Tous trois ont un gros paquetage sur leur dos. Je remarque aussi les barres de fer qu’ils tiennent à la main et cela ne présage rien de bon. Mon premier réflexe est de verrouiller toutes les portières. Ils se rapprochent… Ils sont là. Malgré leurs masques et la vitre de la voiture, j’entends parfaitement leur conversation.

-          Waouh, t’as vu son masque… Carrément mieux que les nôtres. Dit le plus grand d’entre eux.

-          Ouais je le verrais bien sur moi ! Ajoute celui qui porte un foulard.

Je suis paralysée par la peur qui m’envahit. Les intentions de ses hommes sont mauvaises, cela ne fait aucun doute et cette fois Aatif n’est pas là pour me défendre.

-          T’as vu y’a les clés sur la jeep. Remarque l’un d’entre eux.

-          Hey ma jolie, tu nous ouvres.

Je ne bouge pas d’un poil.

-          T’inquiète, on te fera pas de mal.

 Je n’y crois pas une seule seconde, donc, Je ne leur ouvre pas, mais je me mets à appuyer sans relâche sur le klaxon.

-          Tu veux la jouer comme ça ? Tu l’auras voulu. Crie le plus grand.

Il saisit sa barre de fer avec ses deux mains la soulève à la vertical puis  l’abat sur la vitre à côté de laquelle je suis assise. Le verre explose en mille morceaux et j’ai tout juste le temps de protéger mon visage. L’homme m’attrape par le col et essai de m’arracher à mon siège. Je me débats comme une forcenée et je lui décoche une droite en plein visage. C’est la première fois que je donne un coup de poing et bon sang ce que ça fait mal ! J’ai beau me défendre comme une diablesse, mon agresseur est plus fort que moi. J’ai déjà le buste et la tête dehors, lorsqu’Aatif se met à hurler.

-          Tu la lâches tout de suite !

Je le cherche des yeux. Il est debout, à trois mètres de l’homme qui me tient encore. Son arme est pointée droit sur sa tête. D’un coup l’homme me lâche et je me retrouve pliée en deux sur la fenêtre de la portière, la tête à 2 cm du bitume.

-          Maintenant cassez-vous ! Ordonne mon sauveur en tirant un coup en l’air.

Les trois hommes détalent comme des lapins. Aatif se précipite vers moi et m’aide à me rassoir.

-          Décidément ça va devenir une habitude que je te sauve la peau ! dit le militaire.

-          Pas ma faute cette fois.

J’ouvre la portière et éjecte les morceaux de verre du véhicule, en prenant soin de ne pas me couper, tout en demandant à Aatif s’il a trouvé une trace de ses parents.

-          Ils ont surement été évacués avant le tremblement de terre. Mais je ne comprends pas pourquoi ils n’étaient pas à la ferme. Me répond –t-il.

-          Mais y’avait pas d’autre site d’évacuation ?

-          Non, enfin, pas à ma connaissance

Nous voilà donc tous les deux seuls, enfin pas tout à fait puisque nous pouvons compter l’un sur l’autre. Je ne l’ai rencontré qu’hier, et il m’a sauvé la vie, trois fois. Tous ces malheureux évènements nous ont,  d’une certaine façon, liés.

Nous reprenons la route direction le site d’évacuation, mais avant de sortir de la ville nous marquons un arrêt à côté d’une petite superette, Aatif y rentre rapidement et en ramène du chatterton. Nous remplaçons le carreau brisé par un k-way.  La nuit tombe et nous nous éloignons enfin de l’agglomération. Il commence à pleuvoir, ce qui transforme la route couverte de cendres en piste de boue et nous contraint à rouler doucement. Les précipitations sont tellement denses que malgré les puissants phares de la jeep, on ne voit rien à plus de 10 mètres. Aatif est concentré sur la route et nous n’échangeons pas un mot. Les conditions météo empirent, un vent puissant se lève et un orage éclate, violent, comme la nuit où tout a commencé. Notre réparation de fortune ne tient pas le choc et je suis très vite trempée. Soudain une bourrasque déporte la voiture. Les pneus glissent sur la boue. Aatif tente de reprendre le contrôle, mais trop tard, la jeep atterri dans un fossé inondé. Les airbags s’ouvrent pour atténuer le choc mais celui-ci est tellement violent qu’Aatif perd connaissance. L’eau glacée s’engouffre dans l’habitacle par la fenêtre et m’arrive très vite jusqu’au genou. Je plonge les mains dans l’eau pour défaire ma ceinture. Merde elle est bloquée ! L’eau m’arrive déjà au nombril. Je tire, j’appuie, mais pas moyen de défaire la boucle. Je laisse tomber ma tentative, le temps de basculer Aatif en arrière pour éviter qu’il ne se retrouve le nez dans l’eau, et je lui retire son masque. J’enlève aussi le mien puis je recommence à essayer de me défaire de la sangle. Mais rien n’y fait, je suis accrochée à mon siège et l’eau, m’arrive jusqu’aux épaules. J’ai  si froid… L’eau monte encore… Elle m’arrive au menton… Elle m’arrive jusqu’à la bouche. Elle envahi tout l’habitacle.  Je ne peux plus respirer. Une dernière bulle d’air s’échappe de ma bouche et puis, plus rien.

  • Il y a un rythme qui donne de l'ampleur au récit et qui scotche le lecteur à son écran ! Bravo.
    Je file lire l'autre contribution au second concours.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Sdc12751

    Mathieu Jaegert

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