Défense de déposer
jones
Défense de déposer des ordures ménagères, disait le panneau en haut de la rue. Même si je passais devant tous les jours, je ne l’avais jamais remarqué. Ahmed m’a accordé une bière à crédit. Je suis rentré, l’appartement était calme. J’ai mis la radio et une musique électro a infusé le salon.
Boum, boum, tchack, tchack, someone inside me, there’s one inside me, it’s you...
Je me suis servi un verre avant les pubs. J’ai laissé filer la musique sur des kilomètres et j’ai surfé un peu sur Internet. Ma home page, les sites les plus consultés, des news, des infos pas vraiment fraîches, des idées pas vraiment neuves, des trucs dont je me fous mais que je lis par paresse, parce que j’aime lire, dans le fond, sans prêter attention au fond. Gratter une casserole qui accroche pour passer le temps, pour croire ou pour encore espérer que ça changera quelque chose.
Nothing, nothing… Tempo binaire.
Mes mails. Des recommandations de textes, des pubs, des trucs noyés d’avance. J’ai pensé à ce type en vélo croisé dans un bar un peu plus tôt qui me parlait de la salade d’avocat qu’il voulait réaliser dans un geste parfait pour sa copine. Il y mettait des travers de porcs caramélisés, des sucrines, des suprêmes de pamplemousse, des tas de trucs qui mettaient l’eau à la bouche. Agité comme un shaker, il parcourait la moitié du centre ville pour trouver les bons ingrédients et clamait, sans emphase il est vrai, qu’il tenait cette recette d’une de ses ex. Je lui ai fait remarquer qu’il devait être un sacré client pour qu’une ex lui legs un piège à gonzesses. On a tous ri, mais il était bien amoureux et je l’ai vu dans ses yeux, sa barbe naissante et son agitation. D’ailleurs, il n’a bu qu’un verre et s’est tout de suite remis en quête de son absolu(e).
Le DJ de la station a envoyé Sbtrkt.
Je me suis roulé une clope pour apprécier malgré la sale pub avec les dents pourris sur le paquet.
Merde, c’était quand la dernière fois que j’ai été amoureux, que la gorge gonflée comme un paon, je lui ai lui dit que c’était moi et moi le seul, autour d’une salade d’avocat.
Avant de le voir, ce con avec sa gueule de Serpico des années 2O1O, j’avais comme une envie de cuisine. En regardant ma fille jouer avec mon téléphone dans le bar, attendant vaguement son cours d’art martial vietnamien, je sirotais ma bière et elle buvait sa limonade en faisant jouer ses mèches et ses doigts légers sur le clavier. J’ai pensé à des filets de poulets au thym, citron et lard avec une polenta aux courgettes snackée comme il se doit. Ouais, je vous jure, j’avais envie de faire ça ! Et l’autre avec sa salade d’avocat et son coup de je te caresse la cuisse sur le canapé après, m’a filé le bourdon. J’avais plus envie de rien, que de boire des bières et de prendre le tramway quand j’en avais marre. Marre de quoi ? De boire de la bière, pardi !
Ahou, ahou, hum, hum fait la meuf dans la musique.
Depuis qu’on ne fume plus dans les endroits publics, il faut commander puis sortir. L’extérieur du bar est comme une avenue sur le monde, un vivre ensemble forcé par la lutte, une solidarité de circonstance contre ce qui nous entoure. J’aime pas ce truc, je trouve qu’il est débile de lier amitié parce qu’on est fumeur et ostracisé, de fait. D’ailleurs pendant longtemps, on se reconnait. L’hiver, surtout.
Les pauvres cons à fumer dans le froid pour que les connards qui ne souhaitent rien d’autre que de mourir en bonne santé (et le plus tard possible) puissent imposer leur loi.
Ouais mais tu comprends, pour les enfants !?!
Ils n’ont rien à foutre dans un bar !
Tu veux aussi qu’on leur réserve une pièce Lego et Playmobil et qu’on serve des limonades toute la soirée. Bonjour, pour la conversation entre adultes sur la politique, le sport, les gonzesses, les mecs, les soirées, la culture, avec des gamins qui te réclament toutes les cinq minutes de revisser les boulons de leur Meccano. Et puis comment parler d’eux s’ils sont tout le temps là. Ça gonfle, non ??? Sont moins cons que nous, z’ont pas envie d’être tout le temps avec leurs parents. Pour ça qu’ils nous font chier, un jour ou l’autre !!
Ça a changé de groove, c’est plutôt genre Pulp Fusion. Ça balance un peu à droite et à gauche sans distinction. Musique de film, ambiance Blackploitation.
Je suis allé pisser et j’ai remarqué, le calme de l’appart, les fenêtres fermées, les chiottes qui sentent un peu, la chambre de la petite en bordel (c’est fou ce qu’elle peut mettre du souk dans ma vie), le frigo sale, la fin du championnat, aucun message sur mon répondeur, les bouquins et la déco qui n’a pas changé depuis des années.
Le type de la radio a dit que c’était fini, qu’il reviendrait et qu’il ne lâcherait pas l’affaire. Ce sont ces propres mots. J’espère bien parce que moi non plus.
Les pubs sont arrivées.
Défense de déposer !!!
Merci Lyselotte ;)
· Il y a plus de 12 ans ·Moi non plus, je ne cherche pas la polémique. Je voulais juste préciser certaines choses et voilà qui est dit ;)
jones
Bonjour tous,
· Il y a plus de 12 ans ·loin de moi l'idée de chercher la polémique, encore que parfois, j'adore ça ! là, je voulais juste essayer d’atténuer le commentaire de Stef qui me semblait à fleur de peau.
Ne change rien(pfffff, en plus, je me permets de donner des conseils !) à tes écrits...ils sont le reflet de ton âme et je te lis avec, à chaque fois, un plaisir renouvelé...
heureusement que l'écriture est libre et que chacun peut endosser le costume qui lui plait quand il lui plait.
lyselotte
Je ne peux pas m'empêcher de rebondir...
· Il y a plus de 12 ans ·Il y a tant de textes clairement autobiographiques, voire même de gens qui se racontent carrément sur le site, qu'il y a en effet une nette tendance à la confusion entre le "je" du narrateur et l'auteur lui-même. Ce n'est pas la première fois que je me fais la remarque.
Peut-être que le fait d'avoir étiqueté le texte "chronique" a eu tendance à installer la confusion ....???
Peut-être faudrait-il avoir deux classifications clairement identifiées, entre fiction et récit perso...? ou peut-être faut-il juste garder l'esprit et les yeux ouverts.
junon
Cependant, à Lyselotte, Stef et @ tous, merci de vos commentaires ;)
· Il y a plus de 12 ans ·jones
@ Lyselotte et Stef, peut-être aussi : Cette phrase fait débat à ce que je vois !?!
· Il y a plus de 12 ans ·Ne prenons pas les choses au pied de la lettre et peut-être est-il bon de rappeler ici le statut du "je" dans l'écriture. En l'occurrence, ce n'est pas parce que j'écris je que je suis ce je... on ne peut me prêter toutes les pensées et les affirmations du personnage même si j'en partage certaines. De plus, il me semble que le sujet de cette chronique c'est de peindre l'état des choses, à un moment m, vu par un personnage un poil dépressif. C'est ce qui explique, en partie, le ton et les "outrances" de la chronique...
Je serais chagriné que certains se sentent visés, interpellés par ce texte mais en aucun cas, je n'en retirerais une ligne...
Par choix et par conviction.
jones
c'est vraiment bien écrit. L'impression d'être là, à côté, de voir des personnes connues.... ça se lit tout seul, comme boire une bière, au final....
· Il y a plus de 12 ans ·bleuterre
Jones, quand je te lis, traine dans ma tête une musique lasse, une impression d'épaules ployées sous le joug d'une infinie fatalité...d'une infinie lassitude...oui, lassitude...
· Il y a plus de 12 ans ·"Les pauvres cons à fumer dans le froid pour que les connards qui ne souhaitent rien d’autre que de mourir en bonne santé (et le plus tard possible) puissent imposer leur loi".
Peut-être aussi pour ne pas perdre trop tôt ceux qui fument et à qui ils tiennent.
lyselotte
On retrouve bien la patte de l'auteur, la description d'un quotidien exsangue et oui c'est parfois insupportable de voir les autres heureux ...
· Il y a plus de 12 ans ·PS: bon choix de menu, je verrais bien un rosé de Provence bien frais pour accompagner ton poulet polenta et je ne trouve pas cela terrible le pamplemousse dans la salade d'avocats ...
Ne jette rien !
sophie-dulac
Je ne sais pas s'il s'agit de "sagesse", mais en tout cas, je t'ai suivi une fois de plus avec plaisir.
· Il y a plus de 12 ans ·Tu as une façon bien à toi de décrire ces moments où il semble ne rien se passer de spécial, et en faire des moments à part, uniques, et vivants.
junon
C'est pas le gars de Montpellier qui a fait fortune avec les ordures ? J'aime bien le rythme du texte et l'atmosphère qui s'en dégage !
· Il y a plus de 12 ans ·Eric Varon
Vive le Roi !! (des ordures) ;)
· Il y a plus de 12 ans ·Merci Mathieu
jones